Attention, cet article contient des révélations importantes sur l’intrigue des films abordés.
Le transhumanisme est un thème qui nous concerne tous en nous amenant à nous poser des questions existentielles. Quelles sont nos compétences actuelles en la matière ? Quelles sont les recherches effectuées ? Dans quel but ? Faut-il le combattre, le développer autant que possible ou y mettre des limites ? Comme tous les grands sujets de société, le septième art s’y intéresse de près.
Qu’on y soit favorable ou non, le transhumanisme est incontestablement la manifestation de progrès technologiques majeurs. Il fait donc principalement l’objet de films de science-fiction futuristes, mais l’aspect philosophique prend souvent le dessus. La question de l’intelligence artificielle y est également étroitement liée, le développement de celle-ci étant l’aboutissement de la constitution d’un corps mécanique parfait ou surhumain.
Les prémices : le transhumanisme comme outil, un joli rêve !
L’une des raisons d’être du transhumanisme est de soigner ou de remplacer un membre ou un organe manquant ou défectueux. Ce n’est finalement qu’une aide médicale un peu plus poussée que les autres qui permet aux mutilés, blessés et autres malades de retrouver leurs capacités physiques grâce à un coup de pouce de la technologie. On peut légitimement juger cela utile à notre bien-être et considérer la chose de la même manière qu’une paire de lunettes qui permet de corriger un œil handicapé ou qu’un sonotone qui compense une perte additive.
C’est par exemple ce qui arrive au personnage de Luke Skywalker dans L’Empire Contre-Attaque, épisode de la saga Star Wars sorti en 1980. Le jeune héros a perdu une main en combattant son ennemi Dark Vador au sabre laser, mais se fait ensuite greffer une main mécanique avec un revêtement imitant la peau et lui permettant même de retrouver sa sensibilité.
On retrouve cette fonction médicale simple et noble du transhumanisme dans Starship Troopers, l’un des films favoris des amateurs de science-fiction. Pour tenir un fusil, il est plus facile d’avoir deux bras !
Le principe paraît identique dans Robocop, sorti en 1987, mais si les opérations permettent de sauver la vie d’un homme, elles transforment sa conception de la réalité et lui donnent des compétences surhumaines, faisant presque davantage de lui une machine. Une première question morale se pose, faut-il sauver un homme à tout prix si nous en avons les capacités et quelles que soient les conséquences ?
Le transhumanisme, facteur de souffrances
Entre la fin des années 1990 et le début des années 2000, deux positions s’affrontaient par films interposés.
La première était un signal d’alarme sur les risques du transhumanisme et de ses dérivés, à savoir qu’ils ne pouvaient amener que souffrances et inégalités dans la société.
Deux œuvres ayant marqué les esprits à leur sortie vont dans ce sens, bienvenue à Gattaca (1997) et The Island (2005). S’ils paraissent à première vue opposés en tous points, tant au niveau de l’ambiance que du message, ils sont en fait complémentaires.
Bienvenue à Gattaca nous présente un monde ou le transhumanisme se manifeste par une sorte de PMA (procréation médicalement assistée) extrême permettant de donner naissance à des enfants presque-parfaits, sans la moindre faille physique, en établissant qui plus est un certain nombre de leurs traits de caractère. Ces humains génétiquement modifiés constituent l’élite de la société tandis que les enfants nés naturellement sont cantonnés aux tâches subalternes. Deux « bugs » interviennent pourtant dans la matrice simultanément lorsqu’un homme amélioré et un homme « providentiel » s’accordent pour échanger leur rôle. Pour accomplir ses rêves, ce dernier va prouver que son infériorité physique et intellectuelle supposée est largement compensée par sa détermination. Son alter ego, lui, a compris par ses échecs que la perfection n’existe pas malgré tous les efforts de la science.
Ancien nageur professionnel, il n’est jamais parvenu à atteindre la première place d’un podium, entraînant une remise en question totale et un désespoir qui n’était pas censé toucher un être conçu « sur mesure ». Son parcours comme son destin donne les scènes les plus émouvantes du film, mais elles permettent également de s’interroger sur la course à l’excellence, lorsque poussée à l’extrême, elle exclut toute humanité.
Engagement moral, parti pris pour la loi naturelle, message subliminal ou prosélytisme notons aussi que la scène du début du film associe en tout cas la conception naturelle d’un bébé à la Croix du Christ.
La situation est inversée dans The Island. Dans un futur proche et dans le plus grand secret, une société a réussi à mettre au point une technologie de clonage particulièrement aboutie. Malheureusement pour les clones, et ce qu’ils ignorent, c’est qu’ils ne sont qu’un moyen pour les puissants d’assurer leur avenir, une sorte de police d’assurance en chair et en os sur laquelle il sera possible de prélever toutes sortes d’organes en cas de besoin. Évidemment, l’un des clones parvient à déjouer les plans qui lui étaient destinés et à libérer ses semblables. L’ambiance positive dégagée par cette « happy end » n’altère pas pour autant le message du film, c’est-à-dire que beaucoup d’hommes ne considèreront jamais les « clones » ou autres « êtres génétiquement créés » comme leurs égaux, ce qui entraînera forcément leur marchandisation voire leur mise en esclavage.
L’intelligence artificielle et le transhumanisme pour assurer l’avenir de l’humanité
La deuxième position défendue par les cinéastes du début du 21e siècle était tout autre : les hommes créés ou modifiés avec l’aide de la science et les intelligences artificielles en général peuvent être bienveillants et nous enrichir, c’est une minorité ostracisée à défendre et à promouvoir.
Dans I Robot, les robots font partie du quotidien des hommes. S’ils jouissent d’une certaine intelligence, les lois de la robotique (établies par l’écrivain russe de science-fiction Isaac Asimov) les empêchent d’avoir une volonté propre. Un nouveau modèle va pourtant enfreindre ces lois et développer son imagination, ce qui va mettre le personnage principal de l’histoire (joué par Will Smith) devant ses contradictions. On ne peut plus sceptique sur les qualités morales des androïdes et remettant en cause leurs talents, il va petit à petit les considérer comme ses égaux, l’arrogance du personnage mise en scène au début du film se transforme ainsi en tolérance totale.
La méthode employée pour délivrer un message similaire est plus subtile et poétique dans l’homme bicentenaire, sorti en 1999 et dans lequel Robin Williams joue « Andrew », un androïde avec une soif d’apprendre sans limites, essayant pendant près de deux cents ans de se rapprocher le plus possible d’un être humain. Après avoir développé son intelligence, il se fait greffer des reproductions d’organes pour remplacer ses circuits électriques, et forcément… il découvre l’amour. Son visage souriant, sa bonhommie, sa bienveillance et sa détermination ne peuvent que rendre le public empathique. Avec la manière douce, le film finit par nous faire accepter l’idée qu’une machine soit considérée comme un humain à part entière et qu’il puisse même vivre une relation sentimentale et charnelle avec une femme. L’humanité n’est plus qu’un point de vue.
La loi naturelle est à nouveau bousculée dans Avatar, sorti en 2009 et qui n’est autre que le plus grand succès commercial de l’histoire du cinéma. Comme dans l’homme bicentenaire, une relation amoureuse interespèces peut voir le jour grâce aux capacités acquises par l’homme dans les manipulations génétiques. La morale de l’histoire est à nouveau que la volonté d’un individu compte davantage que les règles de toujours et qu’il ne faut donc pas hésiter à utiliser tous les moyens technologiques nécessaires pour arriver à ses fins. Il n’est pas interdit d’y voir un message de propagande en faveur du transhumanisme et de ses étapes intermédiaires comme la PMA, rentrées dans le débat public en Occident peu de temps après l’arrivée d’Avatar sur les écrans du monde entier.
L’intelligence artificielle sur un piédestal… pour mieux faire notre autocritique
La dernière génération de films traitant du transhumanisme ou des relations entre les humains et les machines prend une autre direction. Elle ne cherche pas à orienter le spectateur sur le bien-fondé ou non de ces évolutions technologiques, mais à nous questionner sur les raisons qui nous poussent à nous attacher à ces intelligences artificielles et à ces machines.
Dans Ex Machina (2014) comme dans Her (2013), les intelligences artificielles paraissent plus sensibles et disposées à faire le bien que les hommes, en cela leur humanité est paradoxalement plus développée que la nôtre. Cela séduit des hommes solitaires en quête d’affection et d’amour, ils en tombent amoureux, un certain malaise s’en dégage, mais nous pouvons les comprendre. Nous comprenons également qu’il s’agit en fait d’une critique de l’individualisme du monde moderne plutôt que d’une ode au transhumanisme. Pour bien entériner cela, les deux films finissent d’ailleurs par un rebondissement durant lequel l’être artificiel prend le rôle du grand méchant.
L’aspect cynique de ces histoires laisse entendre que les problèmes liés au transhumanisme ne sont que le reflet des manques de notre société ou de ses attentes déraisonnables. Si nous ne pouvons plus aimer notre prochain, une machine le fera à notre place, si nous ne voulons plus avoir de maladies, l’eugénisme éliminera les faibles « dans l’œuf », si nos exigences physiques sont sans limite, des êtres génétiquement modifiés pourront franchir tous les obstacles, devenir des êtres humains parfaits, nous obliger à concevoir l’humanité comme un point de vue et bouleverser la société.
Le constat est clair, l’évolution des mentalités sur le sujet incontournable du transhumanisme trouve un écho au cinéma. Qui influence qui ? Il y a certainement une émulation, ce qui n’est pas forcément un mal et peut faire avancer le débat. Les réflexions suscitées par les films les plus récents sont moins utopiques, binaires ou manichéennes qu’auparavant mais toutes les évolutions sont possibles pour les prochaines années. Nul doute que nous sommes plongés dans un débat sans fin que le cinéma saura exploiter années après années.
Alexandre Rivet