Après Céline, Maurras ! Qui sont les censeurs ?

Au début de chaque année, un recueil des commémorations nationales est publié sous la houlette du Ministère de la Culture. Un Haut Comité présidé par l’écrivain et académicien Danièle Sallenave veille à son élaboration. Il est composé de personnalités représentatives de chaque domaine. Pour l’histoire, Jean-Noël Jeanneney et Pascal Ory  valident les articles relevant de ce thème.

Cette année devait y figurer, en même temps que Paul Claudel ou le philosophe Alain,  pour le 150e anniversaire de sa naissance, Charles Maurras écrivain, journaliste, poète et polémiste monarchiste, fondateur de l’Action française.  C’est l’historien Olivier Dard professeur à la Sorbonne qui avait  écrit le texte  sur Maurras.

Dès la parution du recueil, ce fut un tollé dans les mêmes milieux et chez les mêmes personnalités qui amenèrent il y a quelques semaines les éditions Gallimard à renoncer à la réédition des pamphlets de Louis-Ferdinand Céline.

Le premier à se manifester fut Frédéric Potier, le patron de la DILCRAH (Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT) créée par Sarkozy en 2012, en déclarant : « commémorer c’est rendre hommage. Maurras, auteur antisémite d’extrême droite n’a pas sa place dans les commémorations nationales ». Il fut vite rejoint par la LICRA, SOS Racisme, Alexis Corbière le lieutenant de Jean Luc Mélenchon, Manuel Valls et l’hebdomadaire L’Obs, toujours vigilant.

Mais c’est surtout Serge Klarsfeld le célèbre chasseur de nazis qui devait se distinguer dans cette affaire, exigeant  le retrait immédiat du recueil maudit.

Il est vrai qu’en matière de censure Klarsfeld est un récidiviste. En 2011 Céline figurait parmi les 500 personnalités  pour lesquels le ministère de la Culture Frédéric Mitterrand souhaitait des célébrations nationales (à l’occasion du cinquantenaire de sa mort). Serge Klarsfeld alla jusqu’à rencontrer Sarkozy à L’Élysée déclarant : « Frédéric Mitterrand doit renoncer à jeter des fleurs sur la mémoire de Céline, comme François Mitterrand a été obligé de ne plus déposer de gerbe sur la tombe de Pétain ». Le ministre de la Culture obtempéra immédiatement et retira Céline de cette liste, estimant que, selon les termes Klarsfeld, « les immondes écrits » de l’écrivain empêchaient que la République lui rende hommage.

Sur son excellent blog : La République des livres Pierre Assouline écrit : « cette fois, Serge Klarsfeld n’aura même pas eu à se déranger. Le principe de précaution a frappé plus vite que l’éclair, et le honteux rétropédalage a suivi. “Pour lever l’ambiguïté sur des malentendus qui sont de nature à diviser la société française” a dit la ministre Nyssen en prenant cette décision. (…) Faire l’impasse sur Maurras, sur son rôle, son impact, son existence, c’est se condamner à ne rien comprendre de l’histoire intellectuelle, morale et politique de ce pays pendant un demi-siècle ». Il ajoute dubitatif : « On verra bien si cela suffit à calmer ceux qui ont fait pression pour qu’il soit viré des commémorations ».

 Eh bien non ! Les  policiers de la pensée viennent  de découvrir que dans le catalogue des célébrations nationales figurait aussi l’écrivain Jacques Chardonne mort en 1968… Encore un maudit, le romancier préféré de François Mitterrand dont il fut lu quelques lignes à Notre Dame de Paris lors de la cérémonie nationale de ses obsèques. Libération  ressort une citation du Ciel de Nieflheim — un symbole des errements et drames de l’époque — paru en 1943  à quelques exemplaires et sans éditeur, où Chardonne écrivait : « quand Israël est roi un pays est perdu ». Un péché  pour lequel il ne peut y avoir ni rémission ni absolution.

Une poignée d’universitaires et de militants  dont François Heilbronn de sciences Po appelle au retrait du nom de Chardonne. L’Humanité crée un fantomatique « comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire » (sic).

En 1990, lors des débats précédant le vote de la  loi Fabius-Gayssot, l’historienne  Annie Kriegel, alors journaliste au Figaro, avait dénoncé « une insupportable police de la pensée ». Ses craintes se sont révélées parfaitement fondées et aujourd’hui l’ancien magistrat Philippe Bilger peut écrire que « Françoise Nyssen n’est plus ministre de la Culture, mais ministre de la censure ».

Dans la même veine, Le Point note : « La vie intellectuelle française contemporaine consiste pour l’essentiel à passer l’histoire au peigne fin pour débusquer les mal pensants et leur intenter des procès rétrospectifs ». Il pose la question de savoir si tous ces délateurs ne jouaient pas contre leur camp. Le premier d’entre eux,  Klarsfeld, le reconnait implicitement  à propos de Céline dont il a obtenu la censure : « aucun appareil critique ne tient le coup devant le torrent célinien ».

François Cravic

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