La Corse face aux impasses de la « solution politique »

 Ce qui s’est passé en Corse ces derniers jours lors de la visite d’Emmanuel Macron devrait intéresser tout le monde, y compris ceux qui se sentent indifférents au devenir de cette île. On vient en effet d’assister à une collision entre un idéal et le réel, ce qui offre ainsi à tous une bonne leçon de politique. L’idéal en question  était celui de la démocratie.

Depuis des années maintenant les nationalistes corses ont pris le parti de jouer selon les règles : nombreuses victoires électorales, dépôt des armes du FLNC, tentatives répétées d’instaurer le dialogue avec le gouvernement français pour obtenir le droit d’appliquer ce pour quoi ils ont été élus (co-officialité de la langue, statut résident, rapprochement des prisonniers, statut d’autonomie de plein droit et de plein exercice) et régler, en somme, ce que l’on appelle le problème corse.

La solution à ce problème, précisément en vertu de l’idéal démocratique évoqué plus haut, ne pouvait être que politique : c’est la fameuse « soluzione pulitica » pour laquelle les Corses avaient manifesté en 2015. En revanche cette voie ne marche que si les deux parties en présence décident de la prendre. Du côté des militants corses, beaucoup n’étaient pas dupes, mais certains y ont cru — peut-être à cause d’un malentendu né lors la visite du futur président sur l’île durant sa campagne électorale — et c’est ce qui cause une si grande déconvenue aujourd’hui. Il y a donc d’une part cette sous-estimation du réel, qui veut qu’en politique ce soit celui qui détient la force qui décide, et que les victoires démocratiques n’aient qu’un poids relatif, y compris au pays des droits de l’Homme.

D’autre part l’illusion que, peut-être, les  intérêts des partisans d’une Corse autonome et ceux du Président pouvaient se confondre, ne serait-ce que ponctuellement, qu’à défaut d’être magnanime le président Macron pourrait être pragmatique. Cette deuxième erreur naît d’un malentendu sur l’idéologie de ceux qui s’opposent à l’autonomie (et donc a fortiori à tout projet d’indépendance) pour la Corse.

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Un ennemi à double face

Les réactions médiatico-politiques devraient aider à mieux cerner ce qui est en réalité un Janus à double face. Il y a d’un côté ce que nous appellerons le parti Jacobin. Alliant des gens de droite comme de gauche, d’une tendance nationale (défendant la sacro-sainte unité de la France) ou d’une sensibilité universaliste (invoquant sans cesse la République comme si c’était un totem magique que chacun aurait le devoir de vénérer), le parti Jacobin va de Florian Philippot à Manuel Valls en passant par Macron, Wauquiez et Mélenchon. Ce serait presque un parti unique s’il n’y avait ce que l’on pourrait appeler les indifférencialistes, qui vont encore plus loin dans cette logique et dont Apolline de Malherbe nous a offert une vibrante défense sur BFMTV. « Pourquoi résister ? » demande-t-elle avec morgue à Jean-Guy Talamoni.

Les langues et peuples disparaissent, ils sont remplacés, ainsi va le monde, aucune raison de s’en offusquer : laissez-vous mourir, tout va bien se passer. Sa réaction nous permet de toucher du doigt ce qui pose véritablement problème dans les revendications nationalistes : elles se basent sur l’existence d’un peuple autochtone et veulent, sans fermer toutefois définitivement la porte à d’éventuels nouveaux venus, lui permettre non seulement de perdurer, mais de rester maître chez lui. Ça, pour le parti jacobin comme pour les indifférencialistes, c’en est trop. C’est précisément pour cela que les offres faites par Macron dans son discours ce mercredi tombent toujours à côté.

Le statut de résident ? Non : pour régler le problème de logement modifions les lois montagneuse et littorale afin de permettre plus de constructions. C’est certes ouvrir la boite de pandore, mais c’est surtout faire fi des motivations profondes qui justifiaient l’instauration d’un statut résident : permettre aux Corses d’abord, et à ceux qui avaient la volonté de faire pleinement parti de cette société ensuite, de pouvoir habiter sur l’île et non créer encore plus de logements qui finiront sans doute par devenir des résidences secondaires, les mêmes causes donnant toujours naissance aux mêmes effets.

La co-officialité de la langue ? Non, il n’y a qu’une langue officielle, c’est le français, mais personne ne vous empêche de la parler, votre langue, si elle doit vivre elle vivra, sinon elle disparaîtra comme les autres, c’est la vie ! En revanche, le président Macron dans son immense mansuétude, s’engage à couvrir le territoire d’un meilleur réseau téléphonique, accepte de faire entrer la Corse dans l’article 72 de la constitution, bref il gère le problème corse comme si ce n’était pas un problème politique, mais purement économique, et ce parce que sa dimension politique est inaudible pour la tendance idéologie qu’il entend défendre.

À ce problème de fond s’ajoute une maladresse de forme qui rend la fin de non-recevoir adressée aux revendications nationalistes une tournure encore plus pénible. Inviter Chevènement qui reste dans la mémoire de tous les Corses le funeste ministre de l’Intérieur ayant mis en place le préfet Bonnet ; faire le mardi un discours insultant, allant jusqu’à dire qu’un crime comme celui de l’assassinat du préfet Érignac ne se plaide pas (Gilles Simeoni étant l’avocat d’Yvan Colonna, si tous les avocats peuvent se sentir visés par de tels propos, l’un devait l’être plus que les autres) ; faire fouiller Gilles Simeoni, Jean-Guy Talamoni et les trois députés nationalistes à l’entrée de la salle où le Président allait donner son discours et j’en passe. Tout était fait pour rappeler aux Corses leur position de faiblesse, et, d’une certaine façon, les humilier.

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Quel avenir pour la Corse ?

La situation étant parvenue à un tel point de blocage, que peut-il se passer pour les dirigeants nationalistes au pouvoir ? À très court terme, leur premier combat sera de fournir un énorme travail de préparation et d’argumentation afin de faire inscrire la Corse dans la révision constitutionnelle de juillet 2018 au sein de l’article 74 (actuellement réservé a la Nouvelle-Calédonie et à la Polynésie) et non dans l’article 72 comme le souhaite le Président Macron.

Ce dernier étant destiné aux collectivités locales telles que Paris, Lyon, Marseille, relevant donc du droit commun, mais permettant une marge minime d’adaptation. En revanche le principal défi sur la durée, si l’on s’entête sur la voie de la solution politique, sera de convaincre la frange dure des indépendantistes de ne pas reprendre le chemin de la clandestinité.

Mais cela ne peut se faire que si l’on trouve par ailleurs des alternatives viables ; les dirigeants devraient alors se montrer inventifs pour contourner les limites fixées par le gouvernement, mettre en place de nouveaux dispositifs imposant par exemple le bilinguisme de fait, à défaut d’obtenir une co-officialité de droit. Mais ces subterfuges restent encore à inventer et à mettre en place. L’avenir politique de l’île se décidera donc dans les semaines et les mois à venir et reste pour l’heure plus qu’incertain.

Paola Cesarini

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