Gilles Simeoni, président du conseil exécutif de Corse, réclame la reconnaissance du « peuple corse » dans la Constitution. « C’est pour nous un objectif symbolique et politique important parce que pour nous le peuple corse existe. Il est une réalité historique, culturelle et politique », souligne-t-il (Le Figaro, mardi 23 janvier 2018).
Ce n’est pas la première fois que la notion de « peuple corse » apparaît dans le débat politique ; il en avait déjà été question en 1991 lors de l’adoption du « statut Joxe » – du nom du ministre de l’Intérieur de l’époque Pierre Joxe (PS). Afin de contourner l’inévitable hostilité du Conseil constitutionnel, M. Joxe avait placé l’expression « peuple corse composante du peuple français » dans le texte de loi au lieu du simple « peuple corse ». Mais cette astuce fit long feu car la disposition en question fut censurée par les « Sages ». Pourtant la Corse gagne de nombreux avantages grâce au « statut Joxe », la faisant sortir du peloton des régions ordinaires. Collectivité à statut particulier, elle dispose d’une Assemblée de Corse (et non pas d’un conseil régional) élue selon une loi électorale spécifique, d’un conseil exécutif (distinct de l’assemblée territoriale), de compétences élargies…
A la vérité, il en sera ainsi tant qu’une révision constitutionnelle ne gommera pas l’expression qui bloque toute tentative de reconnaissance des différents peuples qui constituent la République française : le « peuple français », notion essentiellement politique et juridique. Le préambule de la Constitution démarre en effet en fanfare : « Le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l’Homme (…) tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946, ainsi qu’aux droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement de 2004. » Notons que la Déclaration, le préambule de 1946, la Charte de 2004, le préambule de 1958 ont valeur juridique depuis la décision du Conseil constitutionnel du 16 juillet 1971.
Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen : « Les représentants du peuple français » (26 août 1789).
Préambule de la constitution du 27 octobre 1946 : « Le peuple français proclame à nouveau » (article 1).
Charte de l’environnement (1er mars 2005) : « Le peuple français proclame…».
Il n’y a donc pas place pour le « peuple corse » ! Même si Gilles Simeoni insiste : « Nous souhaitons que dans le cadre de la révision constitutionnelle soit inscrite et reconnue la spécificité de la Corse » avec « un article qui soit consacré à la Corse » (Le Figaro, mardi 23 janvier 2018).
Et comme aucun gouvernement de droite ou de gauche n’osera dynamiter la notion de « peuple français », Gilles Simeoni et Jean-Guy Talamoni devront se contenter des possibilités offertes par l’article 72 de la Constitution : « Les collectivités territoriales de la république sont les communes, les départements, les régions, les collectivités à statut particulier et les collectivités d’outre-mer régies par l’article 74. Toute autre collectivité territoriale est créée par la loi, le cas échéant au lieu et place d’une ou de plusieurs collectivités mentionnées au présent article. »
Ils peuvent attendre du gouvernement l’attribution de compétences supplémentaires mais certainement pas la reconnaissance d’une quelconque « autonomie ». « Moi l’autonomie, je ne sais pas ce que c’est », leur a déjà déclaré le Premier ministre Édouard Philippe (Le Figaro, 24 janvier 2018). Certes, la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie bénéficient d’une large autonomie, mais ce sont des collectivités d’outre-mer.
Bernard Morvan
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