30/01/2018 – 07h00 Notre-Dame des Landes (Breizh-info.com) –Nous l’avons écrit il y a quelques jours, la réouverture de la RD281 sur la ZAD de Notre-Dame des Landes – dégagée la semaine dernière de ses chicanes par les paysans et certains zadistes – ne sera pas un long fleuve tranquille.
La question des chicanes – qui embarrassent la circulation pour certains, monuments de la lutte pour d’autres – a en effet une importance centrale dans les dissensions qui n’ont pas manqué d’émerger ces dernières années sur la ZAD – elles éclatent maintenant au grand jour une fois le projet d’aéroport abandonné. Témoin le comité d’accueil fait par une vingtaine d’irréductibles ce vendredi 26 janvier lorsqu’ils ont montré leur derrière au convoi officiel dont faisait partie la préfète Nicole Klein.
Réouverture de la route : la préfète soutient les opposants contre le Conseil Général
Quelques minutes après, la préfète trinquait au jus de pomme avec les figures de la lutte paysanne sous le hangar de la Vacherie. Impensable il y a encore quelques semaines. Et tout aussi impensable, elle soutient la réouverture rapide de la route, souhaitée par les paysans et les riverains, face au conseil général de Loire-Atlantique qui renâcle et qui prétend que la réfection coûtera 3 millions d’euros, puis 1 million seulement. Finalement, ce ne serait pas plus de 600.000 €, affirme la préfète sur la base d’une expertise des services de l’État.
Présidé par celui qui dirige aussi le syndicat mixte aéroportuaire, le socialiste Philippe Grosvalet, le conseil général de Loire-Atlantique refuse de payer les travaux de remise en état de l’axe qu’il a lui-même fermé en 2013 – toutes ces années, le peu d’entretien qui a été fait a en réalité été effectué par les paysans. Et l’axe est resté emprunté par de nombreux riverains réduits à zigzaguer entre les chicanes.
Localement, l’activisme de Grosvalet n’est pas apprécié : « il a perdu, il a perdu, là c’est de la mauvaise foi. Lui il s’en fout, il n’habite pas là mais ça plombe les gens du coin », s’insurge un artisan de Fay-de-Bretagne qui « étai[t] poutant pour l’aéroport ». Un commerçant du Temple-de-Bretagne est plus direct : « tout ce qu’on veut, c’est ne plus entendre parler de l’aéroport et qu’on nous foute la paix. La réouverture de la route, ça fait partie du retour à la normale, le gouvernement a bien compris qu’on ne veut que ça. Si ceux qui ont eu raison accablent ceux qui ont eu tort, et ceux qui ont eu tort – mais qui gardent les leviers administratifs et donc la capacité de nuire – embêtent ceux qui ont eu raison, on ne se sortira jamais de cette histoire et les rancoeurs vont rester intactes ».
Des questions venant des « irréductibles » marginalisés qui mettent le feu aux poudres
Une chose est sûre : la passe d’armes entre Grosvalet et la préfète donne des arguments à ceux qui refusaient la réouverture de la route, imposée par les paysans (ACIPA, COPAIN44, GAB) aux zadistes, moyennant le maintien provisoire de la cabane-épicerie du « Lama fâché » situé en bordure de la RD281 et la limitation de la vitesse sur la route.
Sur le web, une partie des « zadistes irréductibles », opposés à ceux qui se sont intégrés aux structures paysannes, attaque tous ceux qui souhaitent une « normalisation » de la ZAD. Les attaques sont d’autant plus violentes que ces zadistes irréductibles, qui font certes du bruit dans les milieux militants d’ultra-gauche et sur le web, sont marginalisés sur le terrain.
Ainsi, le 24 janvier dernier, une lettre intitulée « déchicanisation, comme un malaise », revient sur la rancoeur de certains zadistes face à la réouverture de la route. Adressée à une zadiste présente sur place qui a soutenu la réouverture de la route, elle émane de Marc Georges Klein, un militant de Sarreguemines qui agit depuis 2005 au Chiapas (Mexique). Il craint que la réouverture de la route : « ne cristallise des divisions, voire de violentes oppositions et fractures internes, ce qu’attend vraisemblablement le pouvoir ».
Et demande à qui profite le crime – ce qui ne manquera pas de rouvrir d’autres fractures, notamment politiques ou matérielles : « Pourquoi si vite ? Pourquoi devancer l’ultimatum du pouvoir ? Cela sent (pardon, mais j’ai le nez exercé) le marchandage occulte, les arrangements de sous la table. Qui réellement négocia avec qui ? Qui s’engagea à quoi ? Et surtout : Qui lâcha qui(s) dans cette affaire ? ».
Les attaques sont parfois très brutales, comme cette autre lettre d’inspiration libertaire, dirigée contre le « PARTI de la force étatique portée par beaucoup d’autres composantes à Notre-Dame-des-Landes » qui « tente de réprimer l’expression contestataire et parfois radicale de la zad ». Et ce par des actions qui n’ont rien de démocratique : « beaucoup de formes d’oppressions intellectuelles, élitistes imposées et organisées par différents groupes et individus, d’un élan autoritaire, discriminant et fascisant. Par des menaces, coups de pression individuels ou collectifs, mensonges, des sabotages et détournements d’outils collectifs ».
Des attaques qui font sourire un habitant historique des abords de la ZAD : « ils ne vivent pas sur place, et plus ils viennent de loin et sont dans leur optique militante, plus ils sont violents. En gros, c’est eux qui ont la lumière car ils sont militants et nous on doit tout accepter car on est des ploucs. Mais c’est nous qui vivons, voire subissons la ZAD au quotidien. C’est nous qui devons accepter que des militants coupent les clôtures, s’attaquent parfois vivement aux gens du coin qui se promènent, refusent tout ce qui n’est pas de leur monde etc. Ah ils sont bien placés pour donner des leçons de morale ! »
Fin des chicanes et de la résistance contre l’ordre dominant
Marc Georges Klein reprend aussi le principal argument des « irréductibles », à savoir la portée symbolique de la route. Sa réouverture lui semble un symbole « franchement désastreux. Il y a comme un fantasme hygiéniste à l’œuvre dans cette opération. Effacer des traces, ce n’est jamais innocent. La route en question constitue l’une des plus fortes images (mémoire-trace-symbole) de la résistance […] route des CHICANES, c’est-à-dire des fragiles entraves, des « remparts de brindilles » que les exclus de l’ordre dominant, les impossibles, les irréductibles, les sans-titre et sans-nom, […] construisent, comme ils peuvent […] pour l’empêcher de parvenir à les écraser définitivement »
Dénonçant « l’angélisme » de l’ACIPA – et notamment de son porte-parole Julien Durand, souvent attaqué par l’ultra-gauche depuis qu’il a dénoncé à maintes reprises les « incontrôlables » sur la ZAD, il estime que la fin des chicanes revient à « déposer les armes avant qu’aucune garantie de paix n’ait été donnée par l’ennemi ». Et surtout «il ne s’agit donc plus de résister à l’ordre dominant (qui ne s’est pas miraculeusement aboli avec l’abandon du projet) », ce qui n’est en effet pas à l’ordre du jour, ni des paysans, ni des riverains. Le rêve de contre-société des zadistes a vécu, s’est effondré même avec les chicanes. Les zadistes ont quand même perdu, dès lors qu’ils ont gagné en apparence avec l’abandon du projet.
Jusque là, la lutte se faisait « contre l’aéroport et son monde », ce qui justifiait aux yeux de l’ultra-gauche d’associer la ZAD à des luttes qui n’avaient rien à voir avec l’opposition à l’aéroport – par exemple la construction d’une convergence anti-police avec les bandes délinquantes des quartiers sensibles, loger des migrants illégaux, aux abords de la ZAD et ailleurs, être une base arrière des luttes indépendantistes d’ailleurs (pays Basque, Chiapas…), accueillir des militants recherchés et/ou fichés S, faire des conférences anarchistes et anti-capitalistes, soutenir les mouvements LGBT ou vegan etc.
Toutes activités qui étaient vues avec indifférence par le mouvement paysan, à trois exception près : lorsque des locaux en faisaient les frais (attaque contre des chasseurs, motards ou promeneurs aux abords de la ZAD en 2013-2014), lorsque les paysans eux-mêmes étaient empêchés de travailler (clôtures coupées par les anti-spécistes, accrochages lors de coupes de bois dans les haies ou de traitements dans les champs) et lorsque les « lieux de vie » cachaient des trafics – nous en reparlerons.
Les gêneurs ont été invités avec plus ou moins de délicatesse à vider les lieux, à partir du printemps 2013, et ont soit quitté la ZAD pour d’autres luttes (Bure, Roybon, Ferme des Bouillons, No Borders dans les Alpes-Maritimes et près de Calais…), soit se sont déplacés aux abords immédiats de la ZAD voire plus loin où ils ont constitué des squats dans des « lieux périphériques ». Ni sous juridiction paysanne, ni dans le champ des forces de l’ordre. Bref, des zones grises.
Désormais, la priorité de la lutte – impulsée par les paysans et les structures militantes proches – étant de « tourner la page » et de « re-normaliser » la zone, ce sont nombre de zadistes militants encore sur place qui se retrouvent forcés d’avaliser la fin de la lutte – sur la ZAD du moins – contre le monde associé à l’aéroport, et le retour à la normale, donc aux normes sociales (loyers, impôts, présence des forces de l’ordre autour puis dans la ZAD, etc.).
La « zone non-motorisée », une ZAD contre la ZAD ?
Dans un second temps, il s’agit aussi pour les paysans de reprendre le contrôle sur la partie est de la ZAD , dite « zone non-motorisée » et située à l’est de la route des chicanes, englobant notamment les 100 Chênes ou le Lama Fâché. Moins habitée, elle est réputée être le fief des incontrôlables – ce qui n’est pas tout à fait vrai, il y en a aussi au centre-sud de la ZAD et même tout à fait à l’ouest (La Freusière, près de Bellevue). Cet été, une grande partie de sa superficie a été exclue des chemins de randonnée mis en place à l’initiative de l’ACIPA et qui passent presque partout dans le centre et l’ouest de la ZAD.
C’est aussi, pour ceux qui y vivent, l’ancien cœur militant de la zone autour de la ferme des Planchettes, détruite le 17 octobre 2012 (sauf son four à pain) : « La zad Est c’est quoi ? Bah c’est l’Est de la zone. C’est une partie en fait qui polarisait énormément l’activité de la zad avant 2012 et en fait en 2012 y’a plusieurs lieux qui ont été détruits, des lieux phares de la zad, là où était le cœur de l’activité militante. Forcément du coup petit à petit l’activité elle s’est décentrée sur l’Ouest. Maintenant à l’Ouest t’as énormément d’habitats « lourds » [des maisons en dur, la Rolandière, Bellevue…] et peu d’habitats « légers' » ».
Cette « zone non-motorisée » compte nombre de lieux dits au cœur de la lutte contre l’opération policière César en 2012 (le Sabot, No Name, les 100 chênes, le Far West) ainsi que plusieurs « lieux périphériques » constitués immédiatement à côté de la limite de la ZAD et accessibles depuis le Bois Rignoux. « Les militants qui y sont y logent des clandestins, on en voit régulièrement arriver. A pied ou à vélo, avec des malles, l’air complètement perdu. Ils ne parlent souvent pas un mot de français et n’ont pas l’air français du tout », nous explique un habitant historique des abords de la ZAD.
Certains des habitants de cette zone non-motorisée ont écrit une lettre ouverte, adressée surtout aux instances paysannes plus qu’à l’Etat : « Dans la zone-non-motorisé, nous n’avons pas piraté l’eau et l’électricité car nous vivons sans (avec parfois quelques panneaux solaires). Bien sur nous ne payons pas d’impôts. Mais la majorité des squatteurs de la zone-non-motorisé ne touche aucune aide. Parfois par choix et rejet de l’argent, aussi car beaucoup ont moins de 25ans et beaucoup sont étrangers. On ne vous demande rien, tous ce qu’on vous demande c’est de rien nous demander. »
Dans leur lettre ouverte ressort la fracture nette entre ceux qui refusent la propriété et ceux qui y aspirent, l’une des divisions les plus évidentes de la ZAD : « on se défendra si vous voulez détruire les cabanes de terre-pailles et couper les arbres pour créer des exploitations qui vous rapportent […] vous avez manipulé certains zadistes plus « anciens » avec vos « négociations » en leurs promettant une propriété. Afin qu’ils puissent demeurer légalement la ou ils on investie leurs vie et parfois fondé une famille. Vous avez profitez de ça. C’est malsain ».
Une lutte d’influence entre les habitants de la ZAD et les militants d’ailleurs ?
Pour les « irréductibles », il s’agit de la fin de l’expérience sociale de la ZAD en tant qu’espace d’ « autonomie définitive » qui refuse les lois communes et la mainmise de l’Etat. Voire, « une volonté de l’État de tuer dans l’œuf les alternatives mises en place dans la ZAD et de réaffirmer son autorité, l’État de droit comme ils disent » pour les anarchistes.
Ce point de vue n’est pas partagé par d’autres habitants de la ZAD – majoritaires même s’ils font moins de bruit. Autrement dit, nous confie Camille, « si l’on veut que notre expérience perdure, il faut accepter un certain cadre, ne serait-ce que par respect pour les paysans qui nous soutiennent et les riverains. A l’intérieur de celui-ci nous continuerons à être libres d’écrire notre avenir ».
Un habitant de la ZAD répond d’ailleurs fermement à la lettre du militant de Sarreguemines : « sur la zad, on accueille tout le monde. Personne n’a faim ni froid, voilà ce que tout habitant du lieu interviewé se plaît à rappeler. Donc l’aventure exceptionnelle survivra si cela est mis en pratique. Il n’est pas question de sacrifier ces personnes mais de les reloger dans la zone et de les aider à reconstruire ce qu’ils souhaitent et peuvent ailleurs que sur la route ». Et en l’occurrence, les cabanes situées sur la route des Chicanes n’étaient plus habitées.
Plus prosaïquement, il s’agit aussi d’une lutte de fond entre ceux qui habitent la ZAD ou y viennent régulièrement et les soutiens militants d’ailleurs, souvent proches de l’ultra-gauche anti-mondialiste, anti-capitaliste ou libertaire. Ainsi, dénonce l’un d’eux, « À la dernière AG il a carrément été dit que la priorité dans les tours de parole serait donnée aux habitant.es et aux gens qui viennent souvent, parce que les autres comprennent pas trop les enjeux. C’est aberrant ! Les personnes qui n’habitent pas la zad, elles ont juste le droit de venir faire des chantiers et de fermer leur gueule sur les trucs merdiques qui sont en train de se dérouler ? ».
« Le tri a déjà commencé, nous ne tarderons pas à nous étriper »
Bref, outre les fesses à l’air au passage de la préfète, c’est surtout le tri sélectif des zadistes qui est chaque jour plus prégnant. Un texte mis en ligne sur Facebook ce dimanche 28 janvier revient sur cette prise de conscience des militants poussés vers la sortie par les organisations paysannes : « Le tri a commencé, si vous passez par là, attention vous entrez dans la ferme des animaux ! Nous ne tarderons pas à nous étriper, si nous ne nous organisons pas en grand nombre à montrer nos légitimités à rester ». Les remous autour de la réouverture de la RD281 dite « route des chicanes » semblent indiquer que les diverses composantes de la lutte ont déjà largement commencé à s’étriper. Le printemps promet d’être chaud…
Émilie Lambert
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2 réponses à “Notre-Dame-des-Landes. Les zadistes irréductibles montrent leur derrière à la préfète et leurs dissensions avec les paysans”
Très bonne article qui permet de mieux appréhender la complexité du sujet , je reste optimiste , Notre-Dame reviendra aux Landais historiques & ensuite les nouveaux habitants y feront leur place, épaulé par les anciens, sans non plus en faire un pari à la Mopiti … Kenavo !
Bon article ; pour le moment , il faut laisser décanter …. Les paysans locaux s’ occuperont des récalcitrants . Reste le problème des Migrants clandestins et des fichés S ;