21/01/2018 – 19h25 Nantes (breizh-info.com ) – Les paysans l’avaient annoncé, les irréductibles zadistes ont du obtempérer : la route RD281 qui traverse la ZAD en son milieu, des Ardilières au Bois Rignoux, sera dégagée de ses chicanes et rendue à la circulation normale. Jusque là encombrée de divers obstacles – cabanes, épaves, barricades – disposés en chicane, elle ne pouvait être empruntée qu’à vitesse lente, et était cependant ouverte à la circulation.
Un communiqué a été diffusé dans la ZAD pour inviter à un chantier collectif afin de rouvrir cette route : « Aujourd’hui, l’ensemble du mouvement fait le choix de la rendre plus ouverte et accessible à nos voisin-es (sic) et aux riverains des bourgs alentour. On vous invite donc à venir lundi 22 janvier, dès 10h au « Lama Faché » autour d’un café, pour reboucher les trous et enlever les chicanes ». Les barricades et cabanes – dits « bâtis de conflits » dans le jargon de la ZAD – seront enlevées, les cabanes n’étant plus habitées, l’épicerie à prix libre installée sera déplacée.
Des ralentisseurs provisoires, puis pérennes, seront installés par la suite – la route devrait rester limitée à 70 km/h voire à 30 par endroits, étant empruntée par nombre de piétons qui vont dans tel ou autre lieu habité de la ZAD. En effet, « les deux côtés de la route sont très habités, beaucoup de gens circulent à pied, à vélo, avec ou sans chiens ». Au cœur de la gestion à venir de la route, tout comme de sa réouverture, la notion de « commun », c’est à dire de bien partagé. Ce qu’étaient d’ailleurs les landes – à Notre-Dame des Landes comme ailleurs avant leur partage et leur mise en culture entre 1830 et les années 1950.
Sa réouverture – que Françoise Verchère avait annoncé dans nos colonnes le jour même de l’officialisation de l’abandon de l’aéroport – est lié à la fin du projet aéroportuaire : « cette route était et restera un symbole de notre résistance commune, et c’est tout-e-s ensemble que nous mettons en œuvre son usage partagé, puisque qu’il n’y aura pas d’aéroport ».
Le mensonge de la décision collective et le coup de force des paysans
La réouverture de la route n’est en rien une décision collective – dénoncent certains zadistes. En effet, elle montre surtout qui commande et la reprise en force du « tri sélectif des zadistes » dont nous parlions récemment. Les paysans avaient de toute façon prévu de dégager la route en début de semaine : « les quelques irréductibles n’auraient pas fait le poids devant nos tracteurs… et s’ils ne dégageaient pas, on aurait pu les aider », nous explique ainsi un riverain qui avait prévu de venir donner un coup de main pour le dégagement de la route.
Au contraire, la question de la route des chicanes était un des points majeurs de dissociation entre les zadistes paysans – ceux qui exploitent sur place, ou se sont intégrés – associés aux paysans et aux riverains, et les anarcho-autonomes qui voulaient maintenir la route, et avec elle leur contre-société. En théorie, sans loi, en pratique, avec leur loi contre celle des habitants historiques, au nom du refus de toute « démarche autoritaire ».
« La phrase concernant la D281, alias « la route des chicanes », n’a JAMAIS ÉTÉ VALIDÉE COLLECTIVEMENT. Cette phrase a été rajouté pendant les conférences de presse à la Vacherie mercredi après-midi par un petit comité de rédaction autodésigné », assène un occupant de la ZAD. Le 18 janvier une AG a eu lieu sur la seule question de la route, sans parvenir à une décision claire. Mais, « suite à un coup de pression de Julien Durand de l’ACIPA en toute fin d’AG, affirmant que l’ACIPA et COPAIN viendrait de toute façon lundi et mardi pour « nettoyer »/ »libérer » (/rendre au monde de l’aéroport) la route, une partie de l’AG s’est plus ou moins rangé à cette position ». Résultat, contrainte et forcée, la décision de rouvrir la route a finalement été prise.
Elle augure de lendemains difficiles pour les zadistes, qui s’interrogent : « comment peut-on se dire « bon, il n’y a plus de menaces d’expulsions donc on peut/il faut dégager la D281 », alors qu’il est toujours affirmé par les représentant.es de l’État que les squatteur.euses seront expulsé.es au printemps ? ». D’autant que la présence de gendarmes mobiles – casernés en partie à l’école du Gaz (Saint-Etienne de Montluc) et au Croisic – qui tournent autour de la ZAD interroge. Et ce même s’ils ont renoncé à contrôler aux Ardilières (entrée nord de la ZAD) après qu’ils aient fait un contrôle le 20 janvier vers midi et qu’ils se sont retrouvés immédiatement face à un attroupement de zadistes pas vraiment enchantés de les voir sur place.
Le prochain bras de force risque de concerner les cabanes – elles sont pour la plupart irrégulières et construites en zone inconstructible – remarque cet autre zadiste : « c’est un vieux classique, l’ACIPA nous a habitué à ça, ne pas se soucier des débats de l’AG du mouvement et imposer sa propre décision. On peut même entendre des hauts gradés de l’ACIPA se dire que de toute façon les zadistes vont devoir comprendre que les cabanes doivent dégager… ».
Les riverains en revanche se réjouissent – beaucoup d’entre eux empruntent la route des chicanes au quotidien, ou ne le font plus et s’obligent à un gros détour car il faut y rouler très lentement : « depuis 4 ans des discussions ont lieu. À aucun moment n’est tenu compte des avis des habitant.es des bourgs alentours. À aucun moment n’a été admis que commun ne veut pas dire moi mais nous. À force de concessions à sens unique au bout de 4 ans il a fallu trancher ». Ce riverain renvoie la charge au « refus de composition de quelques personnes fraîchement débarquées ou connues pour leur amour du clivage ».
Pressions internes et externes sur la ZAD
Un autre zadiste, présent depuis cinq ans, a lu un communiqué à l’AG du 18 janvier qu’il a mis en ligne dans sa totalité. Il fait le bilan des pressions internes et externes qui pèsent sur la ZAD…de quoi montrer que les zadistes n’ont pas gagné, et ont même peut-être déjà perdu, n’en déplaise à Retailleau qui ne fait pas montre, une fois de plus, d’une grande clairvoyance politique.
Parmi les pressions externes, il range les contrôles pratiqués par les forces de l’ordre aux abords de la ZAD – aux accès des voies rapides proches de la ZAD, près de l’église de Vigneux-de-Bretagne, aux Ardilières, dans la zone de l’Erette (accès à la route Notre-Dame des Landes – Granchamp et au lieu périphérique du Haut Fay), au super U de Vigneux, à Treillières, à la Pâquelais, sans oublier des patrouilles de motards qui tournent entre divers carrefours aux abords dont le Chêne des Perrières.
« Ces contrôles vont s’abattre en priorité sur les plus précaires dont les véhicules et les papiers sont loin d’être en règle. A force d’amendes et de retraits de permis (certain.e.s pourraient même passer en justice) l’ensemble sera incité à aller migrer ailleurs sous peine de matraquage général au printemps, chose que personne ne veut évidemment ». Par esprit de revanche, «il est à craindre que des arrestations aient lieu dans le coin, peut-être même une intervention express sur un/des lieux ciblés de la zad afin de livrer un.e ou des coupables idéaux à la vindicte populaire qui se déchaine, furieuse d’avoir loupé une guerre ».
Ce dont un agriculteur proche de l’ex-futur aéroport nantais doute : « sur la ZAD, non, ça peut vite tourner au vinaigre, il y a trop de monde qui peut arriver en un rien de temps. En revanche autour de la ZAD, parfois assez près, parfois plus loin [l’Ancre Noire est à 10 km], il y a des lieux qui sont occupés par des incontrôlables qui n’ont fait que saper le mouvement et qui poursuivent leurs propres objectifs. Rien à voir avec la lutte anti-aéroport. Ils profitent seulement de la situation, mais qu’ils ne s’imaginent pas qu’on les protégera contre la police ».
A cela s’ajoutent des pressions internes : « une partie du mouvement veut absolument « nettoyer » en « urgence » la D281 comme s’il y avait un contrat à validité temporaire à respecter avec l’État ». Une sorte d’auto-gestion ou de « délégation de service public » de nettoyage de la ZAD, sans guère de risque politique – ce sont les paysans qui font l’effort et les politiciens qui encaissent les bénéfices auprès de l’opinion.
« Il y a d’énormes pression de la part de certaines personnes, toutes tendances confondues, pour que la route redevienne « normale ». Parmi ces personnes il y a des paysan.e.s fatigué.e.s de galérer à manœuvrer quotidiennement pour passer. Il y a des habitant.e.s, historiques ou non, sincèrement épuisé.e.s par la lutte et qui pensent qu’après ça, tout sera enfin terminé. Il y a des personnes, d’ici ou d’ailleurs, qui se sont fait agresser sur cette route et ont besoin d’une justice à la hauteur de leur peur », résume le zadiste.
Après la RD281, la fin des cabanes ? Le rêve de contre-société des zadistes s’effondre
Mais ce nettoyage de la route n’est qu’une première étape : « il y a des personnes qui veulent commencer par nettoyer la route, puis les cabanes aux abords, puis les cabanes au milieu des champs, puis « nettoyer » toute la zone des vestiges de l’occupation ». Après quoi, la légalisation ou le départ de ceux qui refusent : « leur but est que chaque habitant.e paye loyer, factures, charges, dans des maisons, que les cabanes soient détruites… bref de faire cesser le squat et de légaliser la zone. Puis, sans doute, devenir une zone pilote d’agriculture éco-responsable ».
Selon certains zadistes – pas tous, puisque d’autres, majoritaires, se sont rangés à la position des paysans – il s’agit en réalité de céder sans conditions aux desideratas de l’Etat et au « capitalisme vert ». Voire des ambitions politiques : « bien évidemment la plupart des « invités officiels » des medias ont un cursus de personnalité politique éligible, comme si certains voulaient ressortir des cendres de leurs pactes passés avec feu le PS ». Ou EELV et le Parti de Gauche, tout aussi moribonds. En revanche, les réseaux de La France Insoumise ont réussi à tirer leur épingle du jeu et se sont singulièrement renforcés tant à Notre-Dame des Landes même qu’à travers les collectifs locaux de soutien dans toute la Loire-Atlantique.
Émilie Lambert
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