21/01/2018 – 06h20 Notre-Dame des Landes (Breizh-info.com) A Fay-de-Bretagne, dix kilomètres à peine au nord de la ZAD, l’aéroport, c’est le sujet qu’on s’ingénie depuis des années à éviter. Quelques heures après l’annonce de l’abandon, le soulagement est de mise. « J’étais pour, mais au moins plus personne ne me posera la question », explique une habitante. Ce commerçant, qui était pour aussi, en avait «surtout assez du sujet. Pour, contre, sans opinion, on voulait surtout que ça s’arrête ».
Corinne était « contre. Mais c’était compliqué d’en parler au quotidien, tout comme pour ceux qui étaient pour. Les opinions étaient trop tranchées ». Au cœur de cette polarisation, « les médias. On est tous tombés dans le piège » Cliché du zadiste crasseux contre celui de l’élu local forcément dans la magouille- voire qui aurait des terres sur la ZAD et serait directement intéressé par leur vente à Vinci, notion d’ordre public et d’intérêt général contre protection de la nature et environnement.
Sans oublier la « manne céleste avec l’emploi qui nous a été promise depuis des décennies par les politiciens », complète Eric, qui a déménagé du nord du Castelbriantais pour Héric, « à cause du boulot. Ici il y en a. Chez nous, ça fait des années que les élus – famille Hunault en tête – laissent tout tomber, les usines fermer, en nous disant que de toute façon il y aura l’aéroport et que tout ira mieux. Eux, ils doivent vraiment se sentir mal maintenant et tant mieux ».
Même si le sujet des emplois, une fois décortiqué, s’avère être un nouveau bobard des tenants du projet, auquel tous ont abondé, de la CCI au Parti Communiste Français. « C’est clair que la classe politique locale sort du sujet complètement laminée », estime Florian, un jeune homme d’une vingtaine d’années, qui habite près de Blain. « Qu’ils étaient contre, mais pas assez courageux pour l’ouvrir, ou qu’ils étaient pour tout en sachant que ça n’apporterait bien moins que ce qu’ils disaient. Ils ont laissé les gens se déchirer pour des prunes ».
Le référendum, un instantané des divisions en cours dans le coin
Car des déchirements, il y en a eu. A Notre-Dame des Landes même, certains ne se parlent plus. « La consultation [ceci n’est pas un référendum] n’a rien arrangé. Il a juste fait un instantané des divisions en cours. Blain, presque deux tiers pour, un tiers contre. Bouvron, Héric, la Chapelle-sur-Erdre coupés en deux, moitié pour, moitié contre. Fay, Vigneux, Casson, Grandchamp, Malville, le Temple-de-Bretagne, deux tiers contre, un tiers pour. Notre-Dame des Landes, trois quarts contre, un quart pour », se remémore un habitant. « Les gens savent qui est pour, qui est contre. D’autres ne se parlent plus, parfois au sein d’une même famille. Abandon ou pas, il faudra des années pour refermer les blessures, et ça ne marchera que si ceux qui ont eu raison – ceux qui étaient contre – n’accableront pas ceux qui ont eu tort ».
« Nous on avait des terrains à vendre sur la ZAD, ça fait des années que ça dure, ma mère en est morte, plusieurs membres de la famille ne se parlent plus, on est fâchés à vie. Enfin on était fâchés, parce que maintenant la question ne se pose plus, on va peut-être pouvoir commencer à se réconcilier », confie, ému, un paysan qui habite à quelques kilomètres des pistes prévues et qui ne fait pas partie de la lutte. « J‘étais pour. Pour vendre les terres et aller ailleurs. Je pensais qu’on ne pouvait pas s’opposer à l’Etat. Tous les notables du coin étaient pour. J’ai eu tort ».
Ce commerçant, à une quinzaine de kilomètres de la ZAD, confie qu’il « n’aurai[t] jamais investi dans [son] commerce s’il n’y avait pas eu l’aéroport. Je savais que je pouvais voir sa valeur augmenter mécaniquement ». Cependant, bien qu’il ait été « pour l’aéroport, par intérêt, il faut le reconnaître », quoique « pour mes clients, je n’avais pas d’opinion, ce n’est pas très bon pour le commerce, surtout sur ce sujet là », il n’est « pas attristé par la fin du projet. Au vu de la démographie dans la commune, j’ai et j’aurai de plus en plus de clients, il y a toujours Nantes et Saint-Nazaire à quelques dizaines de kilomètres, du boulot dans la commune il y en a et il y en aura, les jeunes d’ici ont un avenir et donc de l’argent à dépenser dans mon commerce. Donc je trouverai tout de même à le vendre ». Quant aux blessures sociales causées par l’aéroport, il « espère que la raison gagnera : on n’est pas à Vierzon ou dans le fin fond des Ardennes, la Loire-Atlantique reste un département qui réussit, aéroport ou pas ».
Ces communes où l’union pour l’intérêt général était entravée par la question de l’aéroport
Dans nombre de communes, l’union pour l’intérêt général – notamment le sauvetage ou le développement des commerces locaux – demeure irréalisable. Car toute initiative en ce sens semble entravée par la question de l’aéroport – dans ces petites communes, la position de chacun est connue, quoi qu’il fasse pour rester discret, et fait l’objet de commentaires ou de rumeurs. Derrière elle, il y a d’autres enjeux : la notion d’intérêt général , d’emplois pour les jeunes, le soutien ou non des notables – y compris quand ils sont contre le projet, la lutte contre la désertification, la foi ou non dans la « manne céleste » de l’emploi apporté par le projet.
A Bouvron en particulier, les habitants n’arrivent guère à faire corps autour de leurs commerces, de leurs activités, pour défendre ce qu’il reste et en attirer d’autres, malgré une démographie dynamique. Tout n’y décline pas, mais face à une mairie visiblement pas à la hauteur des enjeux ni soucieuse du sort des commerçants, l’union est impossible. Et en 2014, malgré d’importants sujets de mécontentement, la composition d’une liste d’opposition au maire Marcel Verger (PS puis LREM) n’a pas été possible.
Résultat des courses, il a été réélu à 100% des voix, mais par un quart des électeurs – la moitié des électeurs n’est pas venue, un quart a mis des bulletins blancs. Seulement, un maire mal élu et une marée de bulletins blancs ne font pas une claque électorale… ni un avenir. Pour lequel ne se dessine guère, outre le déclin, que la déviation dont les travaux ont commencé – et qui n’ont pas donné lieu à une opposition violente et systématique, bien que Bouvron soit à moins de 15 kilomètres de la ZAD. Il n’y aura plus de manne céleste, ni l’Etat, ni Vinci ne feront pleuvoir les sous. L’avenir de Bouvron – ou son absence – appartient aux bouvronnais eux-mêmes.
Louis-Benoît Greffe
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2 réponses à “Notre-Dame des Landes : dans les villages alentours, divisés, il faudra des années pour refermer les blessures”
Mopiti, une réaction ?
Où est le problème? Ceux qui ne voulaient pas de cet aéroport ont gagné et ont démontré au passage que d’un côté à l’autre de la Méditerranée, résister à un pouvoir d’invertis corrompus, ça finit toujours par payer.
Les autres? Vous avez pu vous passer de cette grosse verrue depuis 50 ans qu’on vous la promettait, j’espère que vous ne comptiez pas trop dessus, ni sur la parole de vos dirigeants?