Annaïck Chauvel est la fondatrice de Nimuë, à Paimpont. Elle édite des grilles et kits de broderie au point compté diffusés dans le monde entier.
La broderie, une activité pour vieilles dames ?
Tous les âges brodent ! En quinze ans, le marché a beaucoup évolué. Quand j’ai créé Nimuë en 2002, la broderie cartonnait, un salon spécialisé attirait 60.000 visiteurs à Paris. J’ai choisi au départ une thématique de niche, très petite, le Fantastique, qui allait avoir un effet international énorme avec la trilogie du Seigneur des anneaux et la série des Harry Potter. Puis l’économie a changé, d’abord aux États-Unis, ensuite chez nous depuis 2012. Les acheteurs ne flambent plus, ils n’achètent plus pour un oui ou un non. Aujourd’hui restent surtout les passionnés de broderie. Mes clients sont plutôt des actifs citadins, majoritairement des femmes, qui ont une culture de l’image, ils sont souvent cinéphiles.
Vous avez dirigé autrefois le Centre de l’imaginaire arthurien du château de Comper. Cette expérience vous a-t-elle inspirée ?
Mon métier est d’aider les gens à libérer l’imaginaire qui est en eux. Le château de Comper offrait plusieurs supports possibles, les expositions, les spectacles, les contes… Là, je n’ai que la broderie, mais à la base c’est pareil : on touche les gens en créant de l’émotion et du sens. Mes broderies sont des tableaux, pas de la décoration. Par ailleurs, oui, la mythologie arthurienne est une source d’inspiration. Il n’y a pas si loin du thème du chevalier errant à la création d’entreprise[1]. Quand je me suis lancée, je n’ai pas cru un seul instant que ça pourrait ne pas marcher ! Et le destin était au rendez-vous : je suis arrivée au bon moment, sur un marché en plein essor où l’on pouvait encore se faire un nom. Dès mes débuts, j’ai aussi obtenu un prix professionnel de l’entreprise la plus dynamique et la plus originale. J’ai connu quinze années assez faciles, finalement – mais beaucoup d’autres ont échoué.
Comment choisissez-vous les œuvres que vous éditez ?
C’est fondamental, j’en parlais justement hier avec l’illustratrice Séverine Pineaux : si l’on n’est pas en amour avec ce qu’on fait, le destinataire ne sera pas aussi touché. Le choix des illustrations est essentiel, mais il n’est pas tout. Je me demande toujours quelle expérience on va pouvoir créer en jouant sur une gamme limitée de vingt ou trente couleurs de fil. Le but est de créer un cheminement, de placer des micro-événements dans le cours de la broderie afin d’enrichir le propos, de susciter l’émotion et, à la fin, de sortir du lot. Les brodeuses (ce sont en grande majorité des femmes) vont y passer des heures, il faut que ça soit amusant, que ça procure une expérience incroyable. Ce processus de conception réclame un coup d’œil particulier, et aussi beaucoup de temps.
Qui sont vos artistes ?
Ce sont soit des Bretons, soit des gens d’ailleurs venus en Bretagne. Je ne l’ai pas fait exprès, il y a un truc, là : ceux qui ne sont pas d’ici vivent ici ! Nous nous connaissons tous, c’est un petit milieu. Beaucoup travaillent aussi avec l’éditeur Au bord des continents à Morlaix. Il faut que leurs images me parlent, qu’elles aient une identité, une singularité qui les distingue. Et aussi que la broderie leur apporte quelque chose. Un illustrateur me disait l’autre jour : « j’ai ouvert une page Facebook et les premiers à être venus sont les brodeuses, car elles utilisent beaucoup internet ». Les illustrateurs évoluent. Il y a eu un moment où les spécialistes du fantastique ne produisaient plus rien de transposable en broderie. À présent, je commence à travailler avec de nouveaux illustrateurs, plus contemporains au moins dans le traitement. J’édite par exemple une Bigouden d’esprit Arts déco qui aurait pu être peinte par Mucha.
Vous êtes installée à Paimpont. Le site n’est-il pas trop petit pour vous ?
La France même est trop petite, je l’ai compris dès 2002 et je n’ai jamais eu peur d’aller à l’international. Aujourd’hui, Nimuë est le nom qui vient à l’esprit dans les pays de broderie quand on veut faire original. Je suis présente chaque année au salon de Cologne, d’importance mondiale dans mon métier. Toute ma documentation est bilingue depuis ma participation à un salon professionnel à Columbus, aux États-Unis, en 2005. Cependant, on ne peut pas aller partout, il faut être choisi, pratiquer un marketing viral, correspondre au marché. La mythologie est vivante dans les pays de l’Est. Lors de ma dernière exposition à Moscou, beaucoup de visiteurs sont venus me voir avec des questions très précises. J’ai pu leur apporter des réponses cohérentes, en partie grâce à mon expérience du Centre de l’imaginaire arthurien. Ils ont vu que je ne surfe pas sur une mode. Et aujourd’hui, mon entreprise n’existerait pas sans internet. Quand des brodeuses de Sibérie se rendent dans l’une des 4.500 merceries russes, elles savent exactement laquelle de mes créations elles désirent car elles l’ont vue en ligne.
Comment la Bretagne est-elle perçue par le public des brodeurs ?
La Bretagne a la cote ! On est partout identifié avec sympathie. Les entreprises de broderie sont nombreuses en Bretagne, les gens sont créatifs. Nous sommes moteurs sur ce marché avec des figures de proue comme Pascal Jaouen, spécialiste du glazik venu de la broderie traditionnelle et excellent communicant, qui a su mettre la broderie sur le devant de la scène. Mais il y a aussi des acteurs très connus dans d’autres techniques. Et puis il y a Brocéliande. Quand je rencontre une mercière aux États-Unis ou ailleurs, Nimuë représente pour elle un univers : la Fée dans la forêt avec le château !
Nimuë, 25 rue du Général de Gaulle, 35380 Paimpont. Site web : https://www.nimue.fr/
[1] Annaïck Chauvel prononcera bientôt une conférence sur ce thème à Rennes Business School.
Illustration : DR, photos Nimuë
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