13/11/2017 – 11H00 Lorient (Breizh-info.com) – Jean-Joseph Kergren, un vieux militant breton, est décédé le 23 octobre dernier à l’age de 91 ans. Il a été enterré au cimetière de Kerentrec’h à Lorient le samedi 28 octobre. Lors de la cérémonie religieuse qui avait eu lieu la veille en l’église Notre-Dame de Chatou, dans les Yvelines, lieu de son dernier domicile, Dominique Delorme avait brièvement retracé une partie de son parcours militant, qu’il nous a fait parvenir par email et que nous reproduisons ici.
JEAN-JOSEPH KERGREN EN SEPT MOTS
BRETON Jean-Joseph Kergren était breton et … ça crevait les yeux. Nous connaissons les stéréotypes du petit Breton, courageux, droit, fidèle, travailleur, têtu etc.
En fait, il n’était pas vraiment petit, plutôt grand et costaud même, mais têtu … oui, on peut le dire. Comme un Breton.
Il y a dans la préface de la pièce « Ar Baganiz » (Les Païens), de l’écrivain brestois Tanguy Malmanche, une phrase qui dit : « Il y a, en tout Breton, du prêtre, du maître d’école et du gendarme ; du prêtre, parce qu’il croit volontiers à l’incompréhensible, du maître d’école, parce qu’il aime à faire partager aux autres sa croyance, et du gendarme, parce qu’il a dans sa façon de l’exprimer quelque chose de péremptoire. »
Quand j’ai lu pour la première fois cette phrase, j’ai pensé à Kergren. Vivant dans un environnement qui ne partageait pas forcément tous ses engagements, il ne s’est jamais renié et il n’a jamais voulu transiger avec ce qu’il considérait comme un devoir. Servir et sauver la nature de son peuple, défendre les droits de ceux qu’il connaissait bien et dont il était fier.
PATRIOTE. Son premier engagement – que je connaisse – fut dans la résistance à l’occupant allemand durant la guerre. Dans les Francs-Tireurs et Partisans (FTP), une organisation dépendant du Parti Commmuniste. Même si plus tard, et en particulier à la Libération, le PCF ne fut pas toujours sympa (délicieux euphémisme !) pour les patriotes bretons, l’avant-guerre, et surtout l’avant-avant-guerre, avaient été très différents. Du temps de l’immédiat après-guerre dans les années 20, lorsque l’URSS réclamait l’autonomie alsacienne, « jusques et y compris son rattachement à l’Allemagne, » nombre de militants bretons étaient aussi des militants communistes ou ouvriers. Dans le cas de Jean-Joseph, c’était d’abord, je le crois, un réflexe naturel de résistance et les FTP de la région de Lorient étaient efficaces. Je l’ai, comme d’autres, interrogé sur ses activités durant cette période et il est resté humble, comme d’habitude, me disant qu’il n’avait surtout été qu’un simple courrier entre Lorient et Pontivy. En fait, il a pris part aussi à un certain nombre d’opérations clandestines depuis le marquage des terrains de parachutage, la collecte du matériel, le transport des explosifs jusqu’aux lieux d’utilisation. Bref, il a fait beaucoup de choses, mais c’était pour lui quelque chose dont il ne voulait pas se vanter. Une attitude rarement rencontrée chez la plupart des gens. Pourtant, lui était ainsi et, en le voyant travailler dans les diverses branches des mouvements bretons, nous avons tous toujours remarqué la même attitude.
HUMBLE. Il ne sortait pas de la cuisse de Jupiter et il aimait les humbles. Il avait pour ses parents et encore plus peut-être pour ses grands-parents une admiration sans bornes. Une admiration pour ceux qui ont toujours eu – comme le dit la vieille formule celtique d’avant le Christianisme, « une pensée droite, une parole juste et des actions honorables. » Je crois que leur exemple lui servait un peu de boussole.
Cette humilité confinait presque au complexe d’infériorité. Il se voyait toujours en « commandant en second » et refusait les postes de « pacha » du bateau. Et pourtant c’est le plus souvent grâce à lui que la galère voguait. Il laissait la direction à d’autres mais il était toujours à leur côté pour que les grandes idées qu’ils avaient eues ensemble puissent se réaliser dans la pratique et que les choses avancent. D’ailleurs, si le pacha commençait à faiblir, à être moins performant, Kergren n’hésitait pas à le lui dire, voire à lui chercher un successeur qui permettrait à l’organisation de progresser. Il lui est arrivé de perdre des vieux amis pour cette seule raison d’exigence de vérité. Mais c’était la cause bretonne qui importait et pas les susceptibilités de tel ou tel qui avait démérité. Et quand personne au départ ne voulait être le pacha, il lui est arrivé d’être bien obligé de s’y coller.
Cette humilité se remarquait seulement par rapport à ses camarades. Pas dans la société car les gens prétentieux ne l’impressionnaient pas une seconde même s’il ne le montrait généralement pas.
CHEMINEAU. Le cheminot -OT, celui du chemin de fer, il l’était, bien sûr. Mais il était aussi celui qui chemine. Jean-Simon Mahé, président de la Fédération des Bretons de Paris, à l’époque où une kyrielle d’associations dites « folkloriques », après la dernière guerre et la répression qui l’a suivi, illustraient cette formule magnifique « Les cercles celtiques sont l’école de la fierté bretonne, » Jean-Simon Mahé donc, a eu un très joli mot lorsque nous avons parlé de la mort de Jean-Joseph Kergren : « C’est un de ceux avec qui nous avons toujours cheminé ». Et c’est vrai que Kergren (beaucoup d’entre nous l’ont toujours appelé par son nom de famille) était partout.
Une manif à Nantes pour l’unité administrative ? il était là ! une permanence de nuit tout seul dans une banlieue pourrie à l’opposé de Chatou en région parisienne pour Radio-Pays, la radio des minorités de l’hexagone à l’époque ? il était encore là ! Une recherche à faire pour organiser, administrer, aider, une association qui démarrait, on le retrouvait à nouveau. Jamais pour prendre les places d’honneur mais toujours pour servir et faire avancer la chose en question. Tranquille et bosseur. Il nous a tous aidé à cheminer. Et parfois il nous a fait honte parce que nous n’avions pas toujours sa constance et son opiniâtreté.
RASSEMBLEUR. Qui connaît vraiment la liste de toutes les associations qu’il a contribué à créer, qu’il a aidé à marcher, à survivre ou à croître ? Il fut un des fondateurs du MOB, le Mouvement pour l’Organisation de la Bretagne, le premier mouvement breton para-politique créé après la guerre et la répression anti-bretonne qui avait suivi. Les autres fondateurs étaient d’autres résistants comme Pierre Lemoine mais aussi bien Yann Fouéré qui avait été sous-préfet sous l’occupation allemande, directeur du quotidien « La Bretagne » interdit à la fin de la guerre et qui vivait encore proscrit en Irlande. Yann Fouéré était aux côtés de Jean Le Gall, un ancien du service d’information de l’Etat-Major allié, du géographe Yann Poupinot et d’autres personnalités bretonnes de tous bords. Kergren fut aussi un des leaders de l’Entente Culturelle Bretonne avec Pierre Laurent et Hervé Le Menn, Kergren contribuait à des tas de bulletins, Kergren a participé à la création de la Coop Breizh, de Radio-Pays avec Jean-Claude Segaud. Kergren a toujours eu à coeur de maintenir une présence bretonne forte dans les cercles fédéralistes et durant trente ans il a représenté avec Pierre Lemoine notre pays dans les congrès de l’UFCE, l’Union Fédéraliste des Communautés Européennes. Kergren regrettait ne pas parler l’anglais, l’allemand ou le danois qui sont les langues les plus utilisées à l’UFCE mais il y allait quand même. Parce qu’il pensait qu’il devait le faire.
PROPAGANDISTE Quand il m’avait recruté à KerVreizh pour le MOB, il avait immédiatement voulu que je serve à quelque chose et m’avait demandé d’organiser à HEC une réunion pour y parler du problème breton et peut-être recruter de futurs militants. Car il sollicitait toujours tout le monde pour « monter » des petites opérations dont certaines ont eu des conséquences lourdes.
C’est dans le milieu des années 60, dans le petit groupe du MOB dont il s’occupait, qu’un garçon qui s’appelait Maêl Courtial a eu le premier l’idée du « Bzh » un auto-collant semblable au « F » national, ce signe obligatoire que les citoyens d’un état – et eux seuls – devaient obligatoirement arborer, à l’époque, pour que leur véhicule puisse circuler à l’étranger. La loi était bien observée et la même dans le monde entier, et il n’y avait pas de place dans cette loi pour tel ou tel signe identitaire qui ne ferait pas référence à un état autorisé et existant au plan international. Courtial et Kergren avaient compris l’impact d’une nouveauté – et la subtile sémantique nationaliste d’un signe auquel personne n’avait encore pensé, un signe qui n’aurait jamais dû exister, mais qu’il fallait aussi aménager pour qu’il ne soit pas immédiatement interdit. Ils l’avaient intelligemment nuancé, avec des minuscules par exemple, un écusson, tout cela pour qu’on n’ait pas de raison juridique de l’interdire. Ils se donnèrent là encore beaucoup d’efforts pour le lancement mais le succès suivit rapidement. L’idée fit des petits dans le monde entier, dans toutes les communautés ethniques et dans tous les groupes, depuis le régionaliste sentimental jusqu’au nationalitaire ethnique intransigeant. Une brèche subtile, mais visible de tous, dans le jacobinisme indifférencié.
De la même façon, et même si cela paraît étonnant aujourd’hui où le Gwenn ha Du, le drapeau breton blanc et noir, d’argent et de sable, envahit nos espaces visuels à propos de tout et de n’importe quoi, il faut rappeler que dans les années 60, ce drapeau était quasiment absent de l’espace public – l’opprobre de l’après-guerre avait frappé – et quasiment inconnu des Bretons eux-mêmes. Kergren et ses copains du MOB avaient imaginé d’assister aux grands matchs internationaux et d’y soutenir, contre la France, avec des drapeaux bretons, les autres pays celtes, Irlande, Ecosse, Pays de Galles. La percée eut lieu lors d’un match gagné par Nantes contre je ne sais plus qui, au Parc des Princes. Un jeune du MOB courut vers l’équipe gagnante au milieu de la pelouse et leur offrit le drapeau, au moment même où les photographes arrivaient. « Qu’est-ce que c’est ? – Le drapeau breton, bien sûr ! » La photo des footballeurs nantais autour du drapeau fit la couverture de Paris-Match, et c’est ainsi que nombre de Bretons restés au pays apprirent à quoi ressemblait leur drapeau nationaliste.
Le dernier mot c’est HONNEUR. Le moment est venu, Kergren, hor mignon kozh, de te dire adieu ou plutôt au revoir. Tu es parti vers l’autre monde, vers cet Avalon où sont les héros. Un dernier « kenavo ! » donc, un mot que tous ici connaissent, voire utilisent, et qu’on connaît aujourd’hui largement au-delà des frontières de la basse Bretagne. Littéralement, kenavo signifie « Jusqu’à ce qu’il sera » (« ken a vo ») et donc la formule se complète et il existe des tas de variantes dans tous les coins de basse Bretagne : kenavo ar c’henta gweled, (à nous revoir), ken àrc’hoazh (à demain), ken ar wezh nesan (à la prochaine fois), kenavezo ar blijadur (au plaisir de vous revoir). Et tant d’autres. A toi Kergren, tes vieux amis auront envie de dire Kenavezo ar Joa hag an Enor d’ho kwelout adarre, en pensant au jour où nous aurons la joie mais aussi l’honneur de te revoir.
Ta famille et tes amis, nous prierons tous pour toi, mais toi aussi nous te prions de continuer à nous donner le courage et l’inspiration que tu as fournis à tant d’entre nous.
Dominique Delorme
Crédit photo :DR
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