09/11/2017 – 06h00 Rennes (Breizh-info.com) – L’accès à l’eau potable est, en ce début de XXIème siècle, un enjeu géopolitique majeur. En ouverture du « festival des solidarités », qui se tiendra à Rennes le vendredi 17 novembre 2017, une conférence intitulée « Le combat pour l’accès à l’eau potable pour tous dans le monde » sera donnée à 18h30 par Alain Boinet, fondateur de Solidarités International, une ONG dont la mission première est de permettre l’accès à l’eau potable pour tous. Celle-ci intervient notamment dans le cadre de l’aide aux populations frappées par les conflits, les épidémies et les catastrophes naturelles.
« Malgré le fait que l’accès à l’eau potable et à l’assainissement soit reconnu comme un Droit de l’homme depuis 2010, près de 3,5 milliards d’êtres humains n’ont encore aujourd’hui d’autre choix que de boire une eau dangereuse pour leur santé. 2,4 milliards (40% de la population mondiale) ne disposent toujours pas de latrine. 2,6 millions de personnes meurent chaque année de maladies liées à l’eau, ce qui fait de l’eau insalubre, fléau méconnu et silencieux, une des premières causes de mortalité au monde. Les acteurs humanitaires que nous sommes mènent contre ce fléau un combat quotidien, sur le terrain, mais aussi en luttant auprès des instances nationales et internationales pour faire entendre la voix de celles et ceux à qui nous venons en aide chaque jour’ » explique-t-il.
En 2016, SOLIDARITÉS INTERNATIONAL est intervenue, avec près de 2000 employés nationaux ou internationaux, dans 19 pays pour secourir près de 4 millions de personnes, consacrant près de 92% de ses ressources à l’action humanitaire directe, dont 75% dans des contextes de conflits : Liban, République démocratique du Congo, Mali, République Centrafricaine, Birmanie, Soudan du Sud, …
Nous avons interrogé Michel Lever, qui est le délégué pour la Bretagne de l’ONG, pour mieux comprendre son combat, mais aussi les grands enjeux de demain sur la question de l’accès à l’eau potable.
Breizh-info.com : Pouvez vous présenter votre association et ses combats ?
Michel Lever : Je représente l’association Solidarités International en Bretagne.
Depuis plus de 35 ans, l’association d’aide humanitaire est engagée sur le terrain des conflits et des catastrophes naturelles. Notre mission est de secourir le plus rapidement et le plus efficacement les personnes dont la vie est menacée, en couvrant leurs besoins vitaux : boire, manger, s’abriter.
Voici deux vidéos qui présentent notre mandat humanitaire, ainsi que notre combat en faveur de l’accès à l’eau potable pour tous
Breizh-info.com : quelles sont les mesures que vous préconisez pour permettre cet accès de tous à l’eau potable ?
Michel Lever : En 2010, l’Assemblée générale des Nations unies a reconnu l’accès à une eau de qualité et à des installations sanitaires comme un droit humain. En 2015, lors de l’Assemblée générale des Nations unies, les pays ont eu la possibilité d’adopter un ensemble d’objectifs pour éradiquer la pauvreté, protéger la planète et garantir la prospérité pour tous à horizon 2030. 17 Objectifs du Développement Durable (ODD) ont été définis avec, pour chacun d’entre eux, des cibles spécifiques à atteindre dans les 15 prochaines années. Un vote entériné par 195 pays pour “ changer le Monde ! ”.
Parmi les 17 ODD, l’ objectif n° 6 “ Garantir l’accès de tous à l’eau et à l’assainissement et assurer une gestion durable des ressources en eau ” a enfin été prise en compte. Un combat pour lequel nous avons milité depuis plus de 10 ans auprès des institutions nationales et internationales.
SOLIDARITÉS INTERNATIONAL est partie prenante, notamment par l’action d’Alain Boinet, des efforts des organisations humanitaires pour le respect des engagements de développement durable de l’ONU. Nous œuvrons aussi auprès du gouvernement français pour qu’il respecte ses engagements en ce qui concerne l’aide française au développement.
L’ONG édite chaque année le Baromètre de l’Eau, de l’Hygiène et de l’Assainissement, accessible en ligne : Baromètre de l’eau 2017. Enfin, notre combat quotidien auprès des populations les plus vulnérables apporte l’illustration la plus concrète de notre engagement.
Malgré les engagements pris avec les ODD et les huit cibles relatives à l’Objectif 6, nous sommes très sceptiques quant aux capacités des États et de la Communauté Internationale de tenir leurs engagements ! Nous ne percevons ni la volonté politique suffisante ni la mobilisation des moyens indispensables pour y arriver vraiment dans les pays les plus pauvres victimes d’un conflit ou d’une catastrophe.
Rappelons aussi que les ODD 2015-2030 ne constituent pas un objectif contraignant pour les États et que ceux-ci sont responsables de leur mise en œuvre. Nous savons que beaucoup d’États parmi les moins avancés (PMA), les plus fragiles ou en crise n’y parviendront pas seuls, sans solidarité et sans le soutien d’une gouvernance internationale. Il y a aujourd’hui pas moins d’une trentaine d’agences des Nations unies impliquées dans le domaine de l’eau.
Depuis longtemps, nous avons demandé la création d’une coordination mondiale pour l’eau et l’assainissement permettant de gagner en cohérence, en synergie, en efficacité. Celle-ci pourrait prendre la forme d’un Comité Intergouvernemental comme le propose le Partenariat Français pour l’Eau. Ceci est indispensable, ne perdons pas de temps.
Breizh-info.com : les pays européens ne sont ils pas, à l’heure actuelle, les plus investis dans cette mission ? Que font les gouvernants des pays qui ont le moins accès à l’eau ? Où va l’argent qui leur est envoyé via notamment l’aide française au développement ?
Michel Lever : Concernant la France, il faut d’abord souligner les aspects positifs que constituent l’existence d’un cadre d’intervention eau-assainissement 2014-2018, un effort notable de communication et de transparence, une augmentation continue des budgets dédiés à l’eau et à l’assainissement. Ainsi, 2016 est une année historique pour l’Agence Française de Développement qui a consacré 1,2 milliard d’euros à l’eau et à l’assainissement, contre près de 800 millions en 2015 et 550 millions en 2014.
Cependant, de manière générale, l’aide de l’AFD, qui est une banque, se fait principalement sous forme de prêts (93% en 2016) au bénéfice de pays émergents et en zone urbaine. La part de subvention est extrêmement réduite (17 millions en 2016) et celle transitant par les associations humanitaires et de développement très faible (5,1 millions d’euros en 2014). C’est pour cela que nous demandons au gouvernement français avec Coalition Eau que la France mobilise dorénavant 100 millions d’euros de dons par an, qu’elle consacre 50% de son APD pour l’eau et l’assainissement pour les Pays les Moins Avancés (PMA) qui n’ont pas les capacités de contracter des emprunts, enfin que 50% de son APD soit dédiée à l’assainissement (toilettes), trop oublié alors qu’il joue un rôle déterminant dans la contamination de l’eau.
L’autre instrument de l’État français est le Centre de crise et de soutien (CDCS) du ministère des Affaires étrangères et du développement international dont le budget du Fonds d’Urgence Humanitaire (FUH) est réduit à 13 millions d’euros pour 2017. L’augmenter est juste une nécessité.
Avec la participation de 6 représentants des ONG humanitaires et de développement membres de Coordination Sud, nous avons rencontré le Président de la République début septembre. L’engagement du président Macron porte sur une augmentation « inconditionnelle » de l’effort budgétaire, ceci afin que 0,55 % de la richesse nationale soit consacré à l’aide publique au développement d’ici la fin du quinquennat. Emmanuel Macron propose un programme financier pluriannuel pour y parvenir. Le président s’est engagé à procéder à cette augmentation dès le budget 2018. Nous saluons cet effort, mais la France doit aller plus loin et garder en ligne de mire la cible des 0,7 %, déjà atteinte par d’autres pays comme le Royaume Uni ou l’Allemagne. L’annonce d’une relance des discussions sur la taxe sur les transactions financières au niveau européen, après les législatives allemandes, est un autre motif de satisfaction pour les ONG.
Cette annonce montre que l’argument d’une prétendue perte de compétitivité du fait de l’instauration d’une TTF ne tient plus. Le gouvernement doit encore s’engager à porter le taux de cette taxe à 0,5 %, et à l’affecter intégralement à la lutte contre la pauvreté, les inégalités et les changement climatiques pour répondre aux besoins des populations les plus vulnérables. Emmanuel Macron s’est également montré favorable à une augmentation significative de l’aide consacrée aux programmes humanitaires afin de placer la France dans de la moyenne des pays donateurs.
Nous pouvons vous assurer que l’ONG que nous sommes dépense l’argent de la manière la plus efficiente qui soit pour répondre aux besoins des populations qui en bénéficient : la confiance de nos bailleurs qui financent nos projets et les très nombreux audits financiers déclenchés sont là pour le prouver. Vous pouvez d’ailleurs consulter Le rapport d’activités 2016 de SOLIDARITÉS INTERNATIONAL.
Par ailleurs, la plupart de nos interventions se font dans des contextes politiques très instables de conflits armés, dont les populations sont les premières victimes, où peu d’ONG s’engagent. Il semble que les responsables de ces conflits aient d’autres priorités que l’approvisionnement en eau et le bien être des populations. Nous ne pouvons répondre à la question en ce qui concerne les chefs d’états qui bénéficient de l’AFD.
En ce qui concerne l’utilisation de l’argent de l’AFD, nous pensons en effet qu’il faudrait augmenter significativement la part dédiée aux projets humanitaires et de développement .
Breizh-info.com : L’Afrique fait partie des continents les plus touchés par ce non accès à l’eau potable. Quelles pourraient être les conséquences d’une explosion de la démographie sur ce continent selon vous ?
Michel Lever : Le dérèglement climatique qui amplifie sécheresses et inondations chasse de chez eux des populations toujours plus nombreuses. Ces dernières années, en moyenne, 22,5 millions de personnes se sont déplacées chaque année à cause du climat ou des catastrophes météorologiques.
On estime que d’ici 2020, 60 millions de personnes pourraient migrer des parties dégradées de l’Afrique subsaharienne vers l’Afrique du Nord et l’Europe. D’ici 2020, la moitié de la population mondiale vivra dans des régions soumises au stress hydrique. Entre 1990 et 2025 la population africaine augmentera de 169% et pourrait provoquer un recul de l’accès à l’eau puisque le dynamisme démographique augmente mécaniquement la demande en eau et donc la pression sur la ressource.
La planète comptait 3 milliards d’habitants en 1960 et 7 milliards en 2011. Il y en aura 8 milliards en 2024 et 10 milliards en 2056. Et depuis 10 ans, l’accès à l’eau potable et à l’assainissement recule dans les zones urbaines dont la croissance démographique est plus rapide que les capacités de mise en place des services essentiels : il y a urgence !
Propos recueillis par Yann Vallerie
« Festival des solidarités », à la MIR de Rennes (7 quai Châteaubriant).
Crédit photo : DR
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2 réponses à “Accès à l’eau potable pour tous. Pour Michel Lever (Solidarités International), « il y a urgence » [Interview]”
Bonjour Boris, pourquoi votre chaîne YOUTUBE est totalement vidée de son contenu ???
Bien entendu, la cause de l’alimentation en eau est louable. En Afrique noire, cependant, l’action des ONG a un côté tonneau des Danaïdes — pardon pour le jeu de mots. Votre interlocuteur déplore l’insuffisance des budgets d’aide internationaux. On peut le comprendre puisque sans ces budgets les ONG ne vivraient pas. En revanche, il semble constater l’explosion démographique comme un élément du contexte qu’on constate sans pouvoir agir dessus. Peut-être serait-il plus raisonnable de chercher à adapter la démographie aux ressources en eau que l’inverse ?
L’un des pays où Solidarité International est la République démocratique du Congo : moins de 15 millions d’habitants à l’indépendance en 1960, plus de 80 millions aujourd’hui, avec un taux de fécondité pratiquement inchangé mais un taux de mortalité infantile bien inférieur. A ce jour, cela compte bien plus que le réchauffement climatique ! Avant de se demander si la France donne 0,55 % ou 0,7 % de son PIB, il faudrait se demander à quel point les pays nécessiteux font leur part de l’effort indispensable — au moins en évitant un accroissement exponentiel de leurs besoins.