Nantes : l’herbe et les ruines poussent dans les cimetières

31/10/2017 – 07h00 Nantes (Breizh-info.com) – Dans les cimetières nantais, la mairie, sous couvert d’améliorer l’écologie, ne désherbe plus. Des carrés entiers où poussent les herbes folles, et ce sont souvent les parties les plus historiques qui tombent à l’abandon. Tombes disloquées, croix guillotinées, plaques en train de tomber ou à terre en morceaux, allées enherbées, ni les tombes (privées) ni les allées (publiques) ne sont en état. Quant aux tombes historiques ou de personnages remarquables, difficile de les trouver : elles ne sont pas signalées. Petite promenade dans plusieurs cimetières nantais.

La Bouteillerie : la jungle urbaine s’étend dans l’ancien cimetière

Nous avons commencé par allé à la Bouteillerie. Il est ainsi nommé – selon une légende tenace – car lorsque la Ville de Nantes l’a acheté en 1774 pour en faire le cimetière commun des paroisses Saint-Clément, Sainte-Croix, Saint-Denis, Saint-Laurent, Saint-Léonard, Sainte-Radegonde, Saint-Vincent et de la collégiale Notre-Dame – il aurait appartenu aux Chartreux tous proches (actuelle Visitation rue du Maréchal Joffre). En réalité c’était là que se trouvaient les chais de l’évêque de Nantes, qui y faisait mettre son vin en bouteilles.

 

De nombreuses personnalités nantaises y sont enterrées, notamment Ange Guépin, René Guy Cadou, Camille Mellinet, Evariste Colombel, Jules Grandjouan, la meurtrière Léa Papin, la famille des docteurs Sourdille, César Jules Decré, Léon Maître… sans oublier plusieurs curés de Saint-Clément, de supérieurs d’ordres religieux, d’aumôniers de la caserne (comme l’abbé Théophile Mainguy) et les tombes collectives des sœurs de la Visitation et des Ursulines. Et un très imposant carré militaire pour 1781 soldats français, anglais, belges, russes, polonais, allemands et issus des anciennes colonies françaises, tous unis dans le repos éternel.

Seulement, si l’ordre règne dans le carré militaire, pour trouver les tombes des personnalités nantaises, à part celles qui, comme les Sourdille, disposent de leur chapelle (à condition qu’elle soit encore entretenue), c’est difficile. Rien n’est en effet signalé. Le diocèse n’a pas plus d’égard pour les tombes qu’il est censé entretenir – celles d’anciens chanoines de la cathédrale ou des curés de Saint-Clément notamment.  Difficile est le sort des tombes de supérieurs d’ordres religieux, comme celle du R.P Paul-Julien Jubineau, chanoine théologal de la Cathédrale et supérieur des Missionnaires de l’Immaculée Conception – sa tombe se disloque et a perdu sa croix.

A l’entrée du cimetière, un panneau posé par la mairie de Nantes prévient que les carrés A, B, D et Z ne sont plus desherbés et que ces carrés seront végétalisés « pour une gestion plus respectueuse de l’environnement et de la biodiversité ». Dans les sections concernées les espaces sablés « seront entretenus mécaniquement ou manuellement 2 à 3 fois par an, des carrés vides et des allées sablées sont progressivement engazonnés, certains espaces inter-tombes sont ensemencés ou plantés de vivaces couvre-sols, des murs d’enceinte sont végétalisés […] de nouveaux espaces verts sont créés, ils renforcent l’ambiance verte des cimetières et créent des espaces plus intimes ».

En réalité, c’est toute la partie ancienne, y compris ce qui est sous les arbres, hors des adjonctions de 1890, 1898 et 1918, qui ne sont plus desherbés. « Il y a deux cimetières en un », constate une bénévole qui entretient les abords des tombes abandonnés, renouvelle les fleurs etc. « L’ancien, totalement à l’abandon avec ses tombes disloquées et la nature qui reprend ses droits, et le nouveau, avec des allées bien sablées et un carré militaire tenu… au carré ». Elle trouve la situation « scandaleuse. Oui à l’écologie, mais là c’est de l’abandon pur et simple ».

Nous arpentons ensemble des allées, elle s’arrête : « ici, il y a carrément un arbre entre les tombes », dont les dalles se disjoignent ; « ça, ce n’est pas de la mauvaise herbe, c’est un arbre sur un espace commun qui est en train de dégrader les tombes autour. Les racines, ça pousse. Là, ce n’est pas de l’écologie, c’est du laisser-aller ». Un peu plus loin, dans le nouveau cimetière, elle me montre une haie, manifestement à l’abandon. « On voit la lavande là, y en a partout, elle n’a pas été taillée depuis très longtemps ». Le reste de la haie est dans un état guère reluisant. « On a l’impression que la Ville n’en a rien à faire des morts… sauf pour encaisser les concessions qui ne sont pas données ».

Saint-Donatien : quelques tombes en vrac mais pas d’herbes folles

Pourtant, entretenir un cimetière, c’est possible. Près de l’église Saint-Donatien meurtrie par l’incendie du 15 juin 2015 et en travaux, le cimetière du même nom est le dernier, à Nantes, qui se presse autour de son église. Au milieu, la chapelle Saint-Etienne est, avec ses murs gallo-romains, le plus vieux édifice religieux nantais encore debout, même si elle a été largement remaniée. Elle est en friche et n’est pas mise en valeur.

Le cimetière autour est à peu près propre. Les herbes folles n’y poussent pas. Tout juste peut-on constater l’état désastreux de tombes historiques tout près de la chapelle, sur son côté nord et le long du mur oriental du cimetière, au droit de la chapelle. On trouve dans ce cimetière l’ensemble du clergé de Saint-Donatien, une partie de ceux de Sainte-Elisabeth – comme l’abbé Francis Jallais (1877-1955), « vicaire de cette paroisse en 1902, chargé spécialement du quartier de Sainte-Elisabeth », à l’angle sud-est du cimetière de la Bouteillerie, sans oublier la tombe commune des directeurs sulpiciens et séminaristes du Grand Séminaire de Nantes qui se trouvait rue Livet de 1826 à 1905 – ses bâtiments accueillent aujourd’hui le lycée du même nom.

On peut encore s’arrêter à la tombe de Mme Marie-Thérèse le Lasseur (1773-1842), veuve de Louis Clair de Becdelièvre, ancien page de Louis XVI, qui invite à la prière : « Mon Jésus miséricordieux : 100 jours d’indulgence. Doux cœur de Marie soyez mon salut : 500 jours d’indulgence ». Là encore, les tombes historiques, même si elles sont nettement mieux entretenues qu’à la Bouteillerie, ne sont pas signalées – la paroisse, toute proche, pourrait peut-être s’en charger. Le devoir de mémoire n’est pas seulement une prérogative publique : il est aussi au cœur de la transmission religieuse et culturelle, depuis des siècles.

Miséricorde : la mémoire de Nantes livrée aux herbes folles et à l’oubli

Autre cimetière emblématique, celui de Miséricorde, au nord-ouest du centre-ville. Acquis en 1791 puis transformé en champ de bataille le 29 juin 1793 lorsque les Chouans qui attaquent Nantes par le nord (alors que les Vendéens donnent l’assaut au sud, à Pirmil) sont arrêtés à quelques mètres de là, place Viarme, où Jacques Cathelineau est mortellement blessé. Nantes est toujours républicaine quand le soir tombe, et avec elle la Révolution, la Terreur peut continuer et le sang coule à flots.

Organisé sous le Directoire, agrandi en 1816, 1830, 1847 et 1890 il est organisé autour d’une allée monumentale longée de chapelles funéraires. D’autres se trouvent sur les côtés et accueillent des grandes familles souvent issues d’autres villes du département – ainsi de la famille Merlant (Fay-de-Bretagne) ou des Jollan de Clerville (Blain). Le « Père Lachaise nantais » est au XIXe LE cimetière où il faut être enterré pour compter parmi les grands.

Guist’hau, Ceineray, Cambronne, Mangin, Bellamy, Cassegrain, Decré, Dubigeon, Grandjouan, Lefèvre-Utile, Haudaudine, Say, René Waldeck-Rousseau, Dobrée, Jules-Élie Delaunay, Jean Simon Voruz, les parents et la sœur de Jules Verne, Louis Pommeraye, Léon Jost, Eugène Alexandre Livet, le chocolatier Godfroy Goldstein – toujours enterré dans le cimetière protestant où était à l’origine enclavé le carré israélite – Joseph-Fleury Chenantais auquel on doit la manufacture des Tabacs ou encore l’église Notre-Dame de Bon-Port, à travers les allées, c’est toute l’histoire de Nantes et de ses rues qui défile.  Un petit tour dans les carrés israélites et protestants situés plus près de la rue d’Auvours, séparés par des murs du cimetière principal, permet d’en aborder d’autres facettes.

Cependant, là encore les tombes importantes pour l’Histoire de Nantes ne sont pas signalées, et l’aménagement touristique se limite à un (beau) panneau à l’entrée qui rappelle l’histoire du cimetière et la présence de la colonne du 30 juillet 1830. Celle-ci, qui commémore l’insurrection du même jour et ses dix morts, est dans un état magnifique.

En revanche, les tombes historiques tout autour – nous sommes dans la partie historique du cimetière, la plus ancienne – non. Le long de la clôture, une partie vraiment embroussaillée est à l’abandon, encerclée par des barrières de chantier. Des champignons s’en donnent à cœur joie sur la terre grasse. Là encore, beaucoup de chapelles funéraires sont délaissées par leurs familles. Certaines sont magnifiques – l’une d’elle est néogothique, l’autre rappelle un enfeu Renaissance, comme il y en avait nichés dans le mur gallo-romain aux Cordeliers. Un autre encore est sous-terrain, on y accède par un escalier. Les croix forgées ou découpées sur les portes font admirer l’art funéraire du XIXe siècle, dans son immense variété.

Il y a quelques tombes religieuses, dont celle des Jésuites – un grand bloc solide et secret. Celle des religieuses de Notre-Dame de Charité, « fondation à Nantes 1809 » en bon état général et qui comporte – fait rare pour des tombes religieuses, si ce n’est dans un cimetière dédié comme celui de l’abbaye de Saint-Gildas des Bois – une liste complète des sœurs enterrées avec leurs dates de naissance et de décès. Ou encore celle – bien moins entretenue – des Frères des Ecoles chrétiennes, avec une plaque par frère enterré sous les deux croix.

Là encore, l’écologie a fait des ravages. Les herbes folles, voire les arbrisseaux poussent dans les allées, surtout dans la partie historique. A gauche de l’entrée, sitôt passées les chapelles funéraires, tout semble à l’abandon. Un panonceau lui-même vétuste annonce une « zone d’expérimentation d’enherbement des surfaces sablées », demandant aux familles de « ne pas gratter le sol, ni de déposer des objets en-dehors du monument, ni d’utiliser des produits pour nettoyer la tombe ».

Il est précisé qu’une « grande partie du cimetière ne fait plus l’objet de traitement chimique depuis 2014 ». Le mot chimique est en trop. Une grande partie du cimetière ne fait plus l’objet de traitement du tout et la nature y reprend ses droits. Sur une tombe transformée en carré de verdure, des bouteilles en plastique (pour l’arrosage?) traînent en tas. Un caniveau sous une borne à eau est bouché par les feuilles. Le lierre qui recouvre une tombe d’un édredon vert déborde dans tout le carré. Les anges d’Horace Daillion qui ornent la belle tombe d’Aristide David sont plus que largement dévernis.

En revanche les tombes d’Eugène Alexandre Livet, de Joseph-Fleury Chenantais et d’Edouard Normand, « ancien maire de Nantes, administrateur des forges de Montataire, fondateur de Couëron »  sont entretenues et en bon état. Celle de Chenantais a même été restaurée par la mairie pour la somme de 8000 €. Peut-être serait-il possible de rendre à la mémoire nantaise son lustre et de restaurer les tombes des plus illustres personnages de la ville – ou le faire faire par  des entreprises de réinsertion ou des lycées professionnels – puis les signaler afin que nantais et visiteurs de la capitale bretonne les (re)découvrent et connaissent mieux leur histoire ?

Louis-Benoît Greffe

Crédit photos : Breizh-info.com
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