Loire-Atlantique : pourquoi y a t-il un hameau du Télégraphe à Treillières ?

29/10/2017 – 06H00 Treillières (Breizh-info.com) –  Treillières est une commune au nord de Nantes. Son losange étiré jouxte Nantes et va jusqu’au sud de la ZAD de Notre-Dame des Landes où la croix de la Noë Verte somme une borne marquant les limites de Treillières, Grandchamp, Fay et Vigneux – Notre-Dame des Landes n’existait pas alors. Au sud, à l’autre bout, il y a un hameau du Télégraphe. Pourquoi ce nom, alors qu’il n’y a pas de poste – contrairement au hameau de Gesvres ?

Il s’agit en fait d’un télégraphe, vraiment. Celui de Chappe. Claude Chappe invente en 1794 un télégraphe visuel avec des signaux à bras perchés sur des sémaphores posés en haut de tours rondes, carrées ou même de clochers. Fabriqués dans l’administration du Télégraphe puis à Paris dans l’atelier Guillaume Jacquemart (Atelier pour la confection des télégraphes et autres machines, passage du Désir, faubourg Saint-Denis, numéro 88), ces sémaphores étaient constitués d’un mat de 7 mètres de haut peint en bleu ciel, d’un bras principal de couleur noire nommé « régulateur », de 4,60 m de long sur 0,35 m de large , de deux ailes noires sur les côtés du régulateur nommées « indicateurs », de 2 m sur 0,30 m, d’un contrepoids gris pour chaque indicateur, les « fourchettes », d’un système de manœuvre au pied du mat, en salle de travail – la pièce la plus haute de la tour – nommé « manipulateur » et de poulies et cordes. Le mat et les structures des régulateurs et indicateurs sont en chêne, les tours, le plus souvent en pierre, parfois en briques.

Le télégraphe ne fonctionnait pas la nuit ni par mauvaise visibilité. Quand tout allait, un stationnaire en poste un quart d’heure après le lever du soleil observait les signaux transmis depuis la tour précédente à la lunette et le reportait sur son sémaphore. Il se relayait avec son collègue à midi, qui veillait jusqu’à un quart d’heure avant le coucher du soleil. Généralement, il fallait 9 minutes pour transmettre un symbole via une quinzaine de tours (150 à 250 km). Les inconvénients résidaient dans l’importante masse salariale nécessaire et le fait que le système ne fonctionnait pas la nuit ou par mauvais temps. Ceci posait des problèmes non seulement aux nouvelles, mais aussi aux chemins de fer, nous apprend Le Breton (13/2/1844), quotidien nantais d’alors.

Développé à partir de 1794, le télégraphe Chappe atteint la Bretagne en 1798-1799 avec la mise en service de la ligne Paris – Brest. En 1832 une ligne Avranches-Nantes, qui traverse la Haute-Bretagne, est construite. Les tours, distantes de 9 à 15 km, sont construites sur des points hauts – à défaut on prend le clocher d’une église. Ainsi, les révolutionnaires voulaient détruire la cathédrale de Nantes en faisant prolonger à travers le massif de la façade l’actuelle rue du Roi Albert percée par Jean-Baptiste Ceineray à partir de 1777 sur les anciens remparts du XVe. Elle a été sauvée car les clochers faisaient un très bon support pour un éventuel sémaphore Chappe.

Cependant le développement du télégraphe électrique, dont la première ligne est lancée en 1845 le long du chemin de fer entre Paris et Rouen (137 km), enterre le télégraphe Chappe. Les lignes du télégraphe Chappe de Bretagne sont ainsi arrêtées dès 1854, les bâtiments pour l’essentiel vendus, les sémaphores démontés. Il reste aujourd’hui une petite quinzaine de tours qui ont été maintenues ou restaurées ; l’une d’entre elles se trouve à Saint-Marcan en Ille-et-Vilaine, située sur la ligne de Paris à Brest. Transformée en poulailler, elle a été restaurée entre 1999 et 2002 par la communauté de communes de Pleine-Fougères pour 260.000 €, appareillage y compris.

Quelques autres sont restaurées et ont gardé leurs sémaphores, à Annoux (Yonne), Bailly (Yvelines) sur cette même ligne Paris-Brest, Baccon (Loiret) où elle est devenue une tour de séchage pour les pompiers, Gradignan (Gironde), Haegen (Bas-Rhin), Marcy (Rhône), Narbonne (Aude), Sainte-Foy les Lyon ou encore Sollières-Sardières (Savoie).

A Treillières en l’occurrence, il s’agissait d’une tour ronde, portant le numéro 514 (national) et le numéro 24 sur sa ligne, située en limite de la commune d’Orvault, non loin du lieu-dit Pierre Plate. En service de 1832 à 1854, elle était à 66 mètres de haut – un repère IGN se trouve toujours à proximité. C’était une tour ronde, le mécanisme étant perché à 7.6 m de haut. Dans le département, il y en avait d’autres : deux à Derval, à la Bruère (n°200) et Lurion (n°201), une à Nozay (n°502), une à Saffré (n°584), une à Héric (n°277), une à Grandchamp des Fontaines (n°263), une à Treillières en limite de la commune d’Orvault donc, et un sémaphore donc sur le clocher sud de la cathédrale de Nantes (n°482).

De la tour de Treillières, il ne reste à priori rien – pas plus que des autres dans le département – si ce n’est le nom du lieu-dit. Et pour cause, avant la tour, il n’y avait rien. La carte détaillée date de 1889, le bornage de la commune de 1830, les cadastres récents de 1947 et 1978, elle passe entre les mailles des documents d’archives. Pas de tous cependant : le cadastre napoléonien date de 1839 et on la trouve, le Thélégraphe de Pierre plate, dans une solitude royale, sur le bord de la route, au sud du chemin vicinal qui s’embranche sur l’ancienne route nationale à la Croix Verte et très au nord de la Pierre Plate, ainsi que de la zone industrielle qui précède. Une carte d’état major des années 1850 l’indique aussi – petit triangle au bord de la route.

En rapprochant la carte d’état major du plan cadastral actuel et des cartes récentes, tout porte à croire que cette tour était pile au niveau des maisons qui sont dans le sud du hameau, devant un champ qui sépare la zone industrielle (Gedimat) des hangars de la ferme. Le remploi de matériaux anciens étant alors courant – d’autant que c’était de la bonne pierre et du bon bois d’oeuvre – il est fort à parier que les maisons situées à l’emplacement de la tour ont été construites avec ses matériaux.

On arrive aussi à reconstituer l’emplacement d’autres tours. Ainsi, celle qui était à Grandchamp des Fontaines était au sud du hameau de Curette, un peu à l’ouest du carrefour de l’ancienne nationale et de la RD326. La tour d’Héric demeure introuvable. Celle de Saffré était située au sud du bourg, un peu au sud du hameau de la Guerlais, sur une colline culminant à 70 mètres. Il y a maintenant un château d’eau à cet endroit. Celle de Nozay était au sud-est du bourg, un peu à l’est de la Ferme de Beaulieu, à mi-chemin de Saffré, à environ 60 mètres de haut.

Au sud de Derval, la tour du Télégraphe était en limite de la commune de Jans, un peu à l’ouest du lieu-dit La Justice sur le tracé actuel (et ancien) de la nationale, à l’époque presque au milieu de nulle part au sommet des landes de Lurion (60 m). La RD44 déviée pour passer sous la nationale serait établie pile sur les vestiges de la tour. Au nord de Derval la tour se trouvait sur une colline à 67 m de haut à l’est de la Bruère, entre l’actuel et l’ancien tracé de la nationale. Sur cette crête où la vue porte à plusieurs kilomètres, il y a de nos jours une sorte de télégraphe moderne : une tour de télécommunications.

Louis-Benoît Greffe

Crédit photo : breizh-info.com
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