De Simenon à La République en marche, rien ne change

A la Libération, en 1945, Simenon vit des heures difficiles. Sa vie durant l’occupation lui vaut des reproches et même des accusations. Retiré en Vendée, il a poursuivi son œuvre romanesque, signé des contrats d’adaptation avec la société de production allemande Continental, donné des articles à des journaux prônant la collaboration.

Après le 6 juin 1944, il a donné quelques gages aux résistants locaux mais cela n’a pas suffi. Il a aussi un frère cadet, membre du Rex, le parti de Léon Degrelle. Il est impliqué dans une opération de représailles qui a coûté la vie à 27 notables wallons. Simenon voit son frère, traqué, et lui conseille de s’engager dans la Légion étrangère. Christian sera tué en Indochine en 1947.

Le comité d’épuration sanctionne Simenon, une procédure judiciaire est ouverte, elle fait long-feu. Mais Simenon quitte la France pour s’établir au Canada puis aux Etats-Unis. Il ne revient en Europe qu’en 1955. En 1954, il a publié « Maigret et le ministre » qui en dit long sur les mœurs politiques.

Son héros est un ministre intègre, avocat vendéen, confronté à un terrible scandale qui ne le concerne pas mais qui ressort pour atteindre le gouvernement. Auguste Point est écœuré. Les agissements de Mascoulin, roi du B.T.P., sans scrupules qui a les mains sales sont démasqués par Maigret. Les deux hommes s’apprécient et échangent. Le ministre évoque ses débuts en politique, à la Libération, dans une « chambre toute neuve ». Edifiant :

« Point était grave, soucieux. S’il ne se mêlait jamais de politique, Maigret n’était pas sans connaître quelque peu les mœurs parlementaires. D’une façon générale, les députés, même appartenant à des partis opposés, même si, à la tribune, ils s’attaquent férocement, entretiennent des relations cordiales qui rappellent, par leur familiarité, les relations d’école ou de caserne.

Point : « … on s’était juré qu’il n’y aurait plus de tripoteurs.

C’était immédiatement après la guerre et le pays était soulevé par une vague d’idéalisme. On avait soif de propreté.

– La plupart de mes collègues, en tout cas une proportion importante de ceux-ci, étaient, comme moi, nouveaux à la politique.

Maigret :  « Pas Mascoulin.

– Non. Il en restait un certain nombre des anciennes Chambres, mais chacun était persuadé que les nouveaux venus créeraient l’atmosphère. Après quelques mois, je n’avais plus tout à fait autant de confiance. Après deux ans, j’étais découragé. »

« … Vous vous souvenez du titre fameux : La République des Camarades. On se rencontre chaque jour. On se serre la main comme de vieux amis. Après quelques semaines de session, tout le monde se tutoie et on se rend mutuellement de menus services.

« Chaque jour, on serre un plus grand nombre de mains et, si celles-ci ne sont pas très propres, on hausse les épaules avec indulgence.

« Bah ! Ce n’est pas un mauvais bougre. »

« Ou bien :

« Il est obligé de faire ça pour ses électeurs. »

« Vous me comprenez ? J’ai déclaré que, si chacun d’entre nous se refusait, une fois pour toutes, à serrer des mains sales, des mains de triporteurs, l’atmosphère politique serait du même coup purifiée. »

Les écuries d’Augias, Monsieur de Rugy…

Jean Heurtin.

Crédit photos : DR
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