L’actuelle crise en Catalogne permet au monde entier de découvrir ou redécouvrir un minuscule territoire autonome au cœur des Pyrénées : la Val d’Aran. Pays étonnant et méconnu, la Val d’Aran est une particularité qui s’enracine dans la longue histoire de ces vallées pyrénéennes isolées.
En voiture, sur l’A64 de Toulouse à Tarbes, une direction sur la gauche attire l’attention du conducteur: Val d’Aran. LE Val d’Aran pour certains, LA Val d’Aran pour d’autres, ce territoire oublié se mérite au bout d’une route sinueuse où défilent des villages nichés sur les bords de la Garonne. Ici se succèdent des vallées pyrénéennes encaissées et empreintes des dernières traces d’un paganisme de feu, d’eaux vives et d’animaux.
Un statut d’autonomie dans le statut d’autonomie
La Val d’Aran (« era Val d’Aran » en occitan gascon) est officiellement un comarque de la Generalitat de Catalogne. Un comarque est une sorte de canton dans l’état espagnol. Mais Aran est un comarque un peu singulier car il bénéficie depuis 1990, au sein de la Catalogne déjà autonome, d’un statut particulier qui ferait pâlir d’envie la Corse ou un TOM quelconque.
En effet, la Val d’Aran est dirigée par un « sindic », président de l’exécutif aranais, le « conselh generau » organe doté de larges pouvoirs. Bien entendu, ce « conselh » n’a rien à voir avec son homonyme français, véritable nain en matière décisionnel. Au-delà des aspects purement administratifs déjà forts avantageux : activités liées à la montagne, fiscalité, enseignement, « réalité nationale occitane » (selon les termes du nouveau statut de 2006), Aran bénéficie de dispositions linguistiques inimaginables dans l’Etat français : l’officialisation de la langue occitane partout sur le minuscule territoire mais également partout en Catalogne-sud.
Pourtant, d’un point de vue uniquement démographique, Aran ne représente qu’une infime partie de la population catalane, moins de 10 000 habitants (sur les 7,5 millions d’habitants de la Generalitat), dont une grosse partie d’étrangers à la vallée. Dans l’éducation, la langue aranaise (appelée localement « aranés ») a une place prépondérante, notamment en primaire où dans les petites classes, l’occitan est la seule langue utilisée et enseignée. Au fur et à mesure, le catalan et l’espagnol prennent une place croissante mais l’aranais est toujours présent.
Une langue aranaise omniprésente
Sur place, la langue occitane est partout, notamment dans l’ouest du territoire. Noms de commerce, communication municipale, panneaux d’explications historiques, panneaux indicateurs, tout ou presque est écrit en occitan. Depuis 1991 la toponymie a même retrouvé sa forme originelle aranaise. Il n’y a donc plus de noms de lieu en espagnol ou catalan à Aran mais uniquement des formes aranaises (« Casa dera vila » au lieu de « ayuntamiento », « setmana santa » au lieu de « semana santa », etc…).
Du fait de leur situation géographique, les aranais ont la réputation d’être parfaitement plurilingues. Effectivement la plupart maîtrise l’occitan, l’espagnol et le catalan mais pour ce qui est du français on est plus dans le domaine de « l’utilitaire formel ». A part dans certains commerces, éventuellement où la connaissance du français est plus globale. On sent, par contre, un très fort attachement à la langue aranaise et à son lien avec la grande Occitanie (Etat français et 12 vallées italiennes) même si cette question occitane reste relativement floue dans l’esprit des autochtones. Il y a la connaissance de « l’ensemble occitan », dont Aran serait une sorte de point pyrénéen extrême mais cette connaissance s’arrête là. Le très joli et très pittoresque musée ethnologique d’Aran à Vielha, la capitale, fait une large part à cette « réalité nationale occitane » mais dans les faits, les aranais sont plutôt centrés sur eux-mêmes, la Catalogne et l’Espagne plutôt que sur leurs frères d’outre-Pyrénées.
Une vallée fermée
La raison de cette situation linguistique et nationale étonnante réside dans la géographie des lieux : La Val d’Aran est une vallée très encaissée, surmontée des principaux pics pyrénéens dont le Pic d’Aneto, point culminant des Pyrénées (3404m, situé dans l’Aragon voisin). Particularité géographique : longtemps le Val d’Aran n’avait… aucune voie de communication digne de ce nom avec l’Espagne. Il existait bien deux cols, mais le premier était uniquement accessible à dos de mules et était fermé une bonne partie de l’année et le second, celui de Bonaigua se situe à plus de 2000m d’altitude. On imagine aisément la difficulté d’y accéder dès l’arrivée des premières neiges. De surcroît, ce col ne donne que sur la Catalogne et son franchissement est suivi d’une longue descente sans aucune habitation ou hameau durant des kilomètres. Pour vouloir le passer, avec les moyens de l’époque, il fallait clairement être motivé par une raison impérieuse !
Au final, jusqu’en 1948, date à laquelle fût percé un tunnel de communication avec l’Aragon, le tunnel de Vielha, le meilleur moyen de communiquer avec la Val d’Aran était le col du Portillon (qui donne sur Bagnères de Luchon) et la route qui longe la Garonne et débouche à Saint-Gaudens. En clair, historiquement la Val d’Aran ne pouvait communiquer physiquement qu’avec des territoires de langue occitane gasconne, d’où le maintien de l’idiome aranais jusqu’alors. Ces contraintes géographiques ont également amené le fait que jusqu’à la révolution française, Aran était dépendante religieusement de l’évéché de Saint-Bertrand de Comminges, en Occitanie donc, avant d’être rattachée -à cause de la réorganisation « départementale » des évéchés à celui d’Urgell en Catalogne-sud.
Traditions païennes pyrénéennes
En Val d’Aran, la culture humaine s’enracine dans le temps long : on fête notamment le feu. Le feu des païens déguisé sous la fête de la Saint-Jean. Du Pays Basque et ses parades d’hommes cerfs aux contes occitans pyrénéens, il ne faut pas beaucoup remuer la braise pour trouver quelques traces des rites les plus anciens. Ainsi à Les et Artíes il est de tradition de brûler un sapin lors du soltice d’été et de faire virevolter les « halhes », les brandons incandescents, au-dessus des jeunes têtes du village rappelant ainsi les antiques rites d’initiation ou de purification.
Dans d’autres villages, des bûchers et des traditions similaires préparées tout au long de l’année rappelent à l’église que « le premier évangile » est toujours ouvert dans les contrées les plus sauvages de l’Europe. En Aran, l’église a, depuis longtemps, le magistère des âmes… mais elle agit en bonne entente avec les croyances anciennes.
Un socle ethnique préservé (à part des espagnols)
Pour l’instant, le dit culte catholique ne semble pas être par trop concurrencé par d’autres cultes plus exotiques et, en tout cas, franchement étrangers à l’Europe de l’Ouest. Peu de musulmans au Val d’Aran, du moins je n’en ai pas rencontré.
Le socle ethnique local n’étant entamé que par quelques immigrés d’Amérique du sud venus gagner leur tortilla dans les réputées stations de ski aranaises. Et la glisse semble constituer le principal danger et… le principal revenu de la vallée.
Car, outre les sud-américains, plutôt discrets, on remarque beaucoup de riches espagnols (dont la famille royale) se souciant de la culture et de la langue aranaise comme d’une tapas. Leur influence transformant certains villages du Haut-Aran (Salardú par exemple) en lunapark pour riches madrilènes, sans parler du Col de Bonaigua précédemment cité qui ouvre toujours sur un paysage splendide mais qui est aujourd’hui défiguré par des remontes-pentes criards, héritage caractéristique de la ruée vers l’Or blanc.
Aran plus espagnoliste que la Catalogne
Or blanc et attachement pécunier. Le récent référendum catalan a confirmé une tendance lourde de la politique en Aran : les aranais votent moins nationalistes et plus souvent « espagnoliste » que leurs cousins d’outre-Bonaigua. Effet de la richesse induite par les sports d’hiver et le tourisme, ici on peut être espagnol, catalan et aranais, les filières locales des partis espagnolistes, Unitat d’Aran et, dans une moindre mesure CDA, s’occupant de canaliser les véléités de « frontisme catalaniste ».
Mais la Val d’Aran a aussi ses indépendantistes farouches désirant ardament l’indépendance de la Catalogne afin de négocier un futur statut encore plus avantageux pour le Val d’Aran. La très remuante députée CUP Mireia Boya en est l’une des figures de proue. Le fait amusant de cette vie politique en minuscule est que beaucoup des protagonistes portent souvent les mêmes noms de famille. Signe d’un socle ethnique encore solide au Val d’Aran même si menacé par l’immigration espagnole.
Olier Le Metayer
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2 réponses à “Aran : Une république au cœur des Pyrénées [Reportage]”
« Or blanc et attachement pécunier. » Or blanc et attachement « pécuniaire » ! Ah, ces bretons qui en savent pas parler la langue de l’occupant…
Le val d’Aran est une vallée complètement ouverte sur la France, sans col à franchir. Les habitants faisaient très souvent leurs études à Toulouse, leur courses à Saint Gaudens ou à Toulouse. Compte tenu des prix élevés dans le val, certains s’installent en France dans les villages situés le long de la Garonne et vont travailler quotidiennement à Lez, Bossost ou Viehla.