Thierry Lentz est, à ce jour, un de nos historiens les plus importants. Dans l’esprit de Jean Tulard, il ordonne les études et les manifestations tournant autour de l’histoire et de la mémoire du Premier Empire. Hors de l’Université proprement dite –où opère cet autre excellent spécialiste de la période, Jacques-Olivier Boudon – à la Fondation Napoléon.
On doit à Lentz une œuvre considérable, à commencer par sa Nouvelle Histoire du Premier Empire (2002-2010). Il a mis en route et dirigé un autre monument d’érudition, La Correspondance générale de Napoléon Bonaparte (depuis 2004). Ce mois-ci il est paru Le Mémorial de Sainte-Hélène de Las Cases d’après le manuscrit original , la démarche et la mise en forme sont l’œuvre de Lentz et de son équipe.
Mais on parle peu de Lentz dans les médias bien-pensants. Étiqueté « à droite toute » (même si après un bref passage en politique, il n’a plus fait état de ses opinions), il sent toujours le soufre. Tant il est vrai que se consacrer à l’Empire Français reste, aux yeux des beaux esprits, une démarche quelque peu délictueuse.
On lui préfère Patrick Boucheron qui s’affiche à l’extrême gauche tout en reluquant du côté d’Emmanuel Macron vu par lui comme un « jeune Machiavel ». Un grand écart qui n’en est pas un. Boucheron est un bon spécialiste de l’Italie au XVème siècle. Il en excipe qu’il peut parler de tout. Il a mis en œuvre une Histoire mondiale de la France très surestimée dont l’éditeur (Le Seuil) s’est empressé de livrer des chiffres de vente invérifiables selon une vieille habitude, propre d’ailleurs à d’autres maisons.
Un patchwork indigeste inégal où se côtoient de bonnes et de mauvaises contributions. Une histoire de France nomade et métisse faite de l’étranger qui a fait la France et jamais du Français « de souche » qui est un pur fantasme. Très inquiet par la régression positiviste » de nombre de ses collègues, Boucheron milite pour une histoire engagée, militante qui parle au présent. Autrement dit, il apporte du grain à moudre à ceux qui veulent une Europe de la fusion, de l’ouverture sans restrictions au monde. Il plaît de Macron et à Mélenchon en passant par Raffarin et Juppé pour en rester, en tout cas pour ces deux-là, aux cœlacanthes.
Aux antipodes de Boucheron, Lentz… positiviste, oui, un brin nominaliste, oui. Il ne véhicule aucune idéologie, il s’en tient aux faits, sans donner de « leçons de l’Histoire ». Odieux, pire, « has been » !
Ses échappées hors de son champ sont rares. Une très forte Crucifixion de Velἀsquez (2011) et maintenant un Hitler au Berghof, 1922-1944 .
Un essai insolite et très risqué. Tout part, pour l’auteur d’un séjour dans un des plus beaux coins des Alpes bavaroises, autour de Berchtesgaden. Le futur Führer en fait son lieu de méditation et de vie intime, dès le début de son ascension politique. Sur des terres achetées à bas prix ou confisquées (au seul Juif de l’Obersalzberg, un chimiste de renom), Hitler fait construire un immense chalet, le Berghof. Ses proches l’imitent. Des bâtiments de service, des casernes suivent. Au sommet du mont Kehlstein (1894 m.) un refuge accessible par une route vertigineuse et un ascenseur de 135 m., creusé dans la roche.
Avec une grande minutie, puisant à de multiples sources, Lentz évoque la vie au quotidien au Berghof. Il réussit là un petit chef-d’œuvre car sur une matière aussi shakespearienne où se mêlent le sordide, le grotesque, l’abject et le tragique, il parvient à garder ses distances et à singulariser cet univers.
En matière d’arts et d’esthétique, Hitler avait des goûts de petit bourgeois. Le Berghof le rassurait car il le ramenait à une normalité de façade. Comment redouter le pire d’un homme qui aimait les enfants, était délicat et attentif auprès des femmes ; végétarien, plus que tempérant, aimant la randonnée et la contemplation de la nature ? Les monstres ne sont pas toujours couverts d’écailles, la gueule ouverte, ferrée de crocs, ils ont le plus souvent l’apparence de l’homme ordinaire.
Jean-Joël BREGEON
* Thierry LENTZ, Le diable sur la montagne, Hitler au Berghof 1922-1944, Perrin.
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