28/09/2017 – 07h30 Madrid (Breizh-info.com) – Une équipe de chercheurs espagnole a effectué le travail colossal de recensement de 4 millions de cas de violence meurtrière intra-spécifique (donc des meurtres commis entre membres d’une même espèce) chez un millier d’espèces de mammifères. Les espèces étudiées sont très variées, allant de la baleine à la chauve-souris, en passant par le rhinocéros et bien sûr l’homme.
Des cas de meurtres intra-spécifiques se retrouvent chez environ 40% des espèces étudiées, ce qui en fait une pratique assez répandue chez les mammifères.
Si les résultats donnent des taux de meurtres très variables selon l’espèce, on parvient sans peine à distinguer des groupes relativement homogènes quant à leurs « performances » meurtrières. L’ordre des chauves-souris est, malgré leur mauvaise réputation, clairement parmi les plus calmes puisque seulement 4 espèces commettent des meurtres intra-spécifiques sur les 80 que compte cet ordre. A l’opposé, l’ordre des primates montre une propension au meurtre très élevée, le grand prix de l’espèce la plus meurtrière étant néanmoins attribué au suricate (photo), espèce de la même famille que les mangoustes que Disney a mis en scène dans Le roi lion à travers le personnage de Timon. Presque 20% des suricates sont tués par leurs congénères.
L’infographie ci-dessous présente un arbre phylogénétique qui donne pour chaque espèce la probabilité qu’a un individu d’être tué par ses congénères :
Cette étude semble donner une bonne vision d’ensemble de la violence intra-spécifique chez les mammifères, mais plusieurs remarques sont à apporter :
- D’abord ne pas confondre meurtre et agression. Une espèce peut être très agressive sans toutefois être très meurtrière, et à l’inverse, certaines espèces peuvent être relativement paisibles mais suffisamment « armées » pour rendre leurs rares agressions fatales à leurs congénères. On admettra cependant sans problème une corrélation positive entre agressivité et meurtre au sein d’une même espèce.
- Avoir à l’esprit que les résultats sont une moyenne, qui ne rend pas compte des effets de périodicité de la violence chez certaines espèces (la période de reproduction étant chez certaines le seul moment où des agressions intra-spécifiques sont observables).
- Reconnaître enfin que les données récoltées pour certaines espèces peuvent être moins fiables que pour d’autres (sources différentes, actes d’agressions plus ou moins identifiables etc …).
Malgré ces réserves, les conclusions qu’on peut tirer de cette étude sont intéressantes.
L’homme est loin d’être la seule espèce chez qui le meurtre est commis de manière régulière. Et étant donné la prévalence élevée du meurtre chez les autres primates, on peut supposer que notre violence meurtrière est profondément inscrite dans nos gènes, déjà présente chez le dernier ancêtre commun aux primates plusieurs millions d’années auparavant.
Les résultats semblent montrer une propension au meurtre plus grande au sein des espèces au comportement social complexe et où l’apprentissage joue une part importante dans la formation de l’individu (les suricates et les différentes espèces de primates par exemple). Certes certaines espèces échappent à la règle, comme les bonobos, connus pour leur résolution pacifique des conflits, mais la tendance est là. Voilà qui semble donner raison au célèbre éthologue Konrad Lorenz, pour qui une des fonctions de l’agression était d’établir une forte hiérarchie au sein d’un groupe et donc de favoriser la transmission de connaissances, puisque les individus expérimentés sont souvent au sommet de la hiérarchie et que les plus jeunes tendent à imiter les dominants.
De la même manière, les individus des espèces territoriales sont plus enclins à tuer un de leurs semblables. Ce qui viendrait confirmer le rôle de répartition du territoire de la violence intra-spécifique là aussi identifié par Konrad Lorenz.
Ce genre d’étude devrait nous amener à nous questionner sur notre conception de la violence. Dans nos sociétés, la tendance à expliquer les comportements agressifs uniquement par des inégalités économiques ou des discriminations quelconques conduit à éluder le caractère profondément inné de ce « mal » dont on refuse toute manifestation.
Victor Séchard
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