« Vous êtes dans le monde mais vous n’êtes pas du monde » (Jean 17, 14-18)
Du problème d’épouser sans recul l’esprit du temps et d’adopter sans juste mesure son langage dont l’apparente modernité actuelle, porte les germes d’une cruelle péremption programmée. Dans notre recherche d’information, nous absorbons la communication étudiée d’un journalisme habile à diffuser son message de façon rapide et efficace, et ce, par une mauvaise économie du vocabulaire riche et divers de la langue de Molière. De fait, les médias se postent en première ligne, dans la propagation d’un phrasé stéréotypé, assis sur une syntaxe directe et percutante, avec un goût immodéré pour la redondance lexicale.
Malgré nous, en tant que consommateur, nous ingérons aussi au quotidien l’ingénieux maquillage du marketing, doué pour farder la part d’ombre de toute entreprise dans une mélasse de bons sentiments et de valeurs altruistes.
Journaleux, marketeux, communicants, la plupart seraient bien inspirés de se munir d’un dictionnaire des synonymes afin d’éviter les sempiternels lieux communs révélateurs d’un lourd appauvrissement de leur mode d’expression. À grand renfort d’anglicismes, ces professions se plaisent au maniement d’un vocabulaire « dans le vent », conceptualisé, soit disant en lien avec les mutations de notre mode de vie.
La gastronomie et ses chefs en mal d’inspiration, la décoration et sa cohorte « d’home stager », de créateurs d’espace, ne sont pas en reste dans le recours à une terminologie pompeuse.
Aussi sûr que la barbe hipster pourra se prévaloir dans 10 ans, d’une cote de modernité semblable à la coiffure afro de nos jours, cet article se propose de prendre un peu d’avance sur l’œuvre de ringardisation du temps !
- « Alors l’idée » : Au nombre affolant de son occurrence, il semble que l’’imagination de nos contemporains n’ait jamais été aussi fertile. Dès lors qu’il s’agit d’exprimer une pensée, un projet, une initiative, il ne viendrait à l’idée de personne d’introduire autrement son raisonnement que par « l’idée ».
- After work : Il y a 10 ans, la personne désireuse de se soustraire à ses obligations familiales devait mettre les pieds dans le plat et arguer devant son conjoint(e) d’une soirée entre collègues. Aujourd’hui, la piteuse dérobade aux contraintes domestiques, s’enrobe dans l’hypocrite appellation de « l’after work » qui prolonge dans la convivialité déguisée les relations de travail.
- Road trip : Pour votre prochain voyage, ne dites pas à vos amis que vous allez faire une balade en voiture, une pérégrination, une escapade, un petit tour, une tournée, non donnez plutôt à votre séjour une tonalité baroudeuse et aventurière, en parlant de « road-trip ».
- Revisiter (en cuisine) : La grande tocade des chefs repose sur la réinterprétation systématique des classiques de notre patrimoine culinaire. Si le gastronome en à l’eau à la bouche, eux en ont que ce mot à la bouche : « revisiter » ! au moyen d’une déstructuration du plat proche souvent de la défiguration.
- « Suite parentale » : Tout est une affaire de présentation des choses, un décorateur ne parle plus de chambre à coucher mais de suite parentale. Avec sa salle de bain attenante et son dressing intégré, elle est face aux assauts incessants de la marmaille, le dernier bastion de l’intimité du couple.
- French « touch » : À employer obligatoirement quand on parle du succès entrepreneurial d’un français à l’étranger, même pour l’ouverture d’une simple boulangerie.
- Convivialité : Sans doute le mot le plus dangereux à entendre pour tout adepte de l’art de vivre, car le prêche de la convivialité est le meilleur alibi à la médiocrité et la pingrerie d’une réception du type fête des voisins, sur fond de gobelets en plastique et rosé pamplemousse…
- Incontournable : Se dit de toute adresse à la mode. À force d’entendre cet adjectif solennel au ton assertif relatif à la moindre recommandation, une envie de contourner l’incontournable pourrait bien avoir raison de son abus.
- Vins de copains : la locution magique des cavistes quand il s’agit d’écouler le petit rouge de grillade et le blanc anémique pour les fruits de mer. Se conçoit toujours dans la quantité, car le gosier des copains à souvent la même étanchéité qu’un tonneau des danaïdes.
- « By » : Bye bye la préposition par ! Pas assez branché. Désormais toute entreprise qui soigne sa com’ « globish » en revendiquant la forte individualité de sa ligne créatrice se doit de lancer son produit par un « by » !
« By » Raphno
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3 réponses à “Petit florilège, des 10 expressions les plus agaçantes de notre temps”
Petit addendum (c’est du latin, ne tapez pas!)
-Mais ça c’était avant: on fait autre chose maintenant, mieux ou pire on ne sait pas
-Et soudain, c’est l’horreur: C’est alors que, ou bien soudain.
-Featuring: composition du groupe ou distribution du film ou de la pièce
-Sextape: film de boules impliquant à l’insu de leur plein gré deux individus ou davantage…
-Clash: dispute
-Vent: on se le prend plutôt qu’une observation
-Tacle: expression de footreux, réflexion à deux balles, vacherie justifiée ou non mais toujours publique.
-Mode…ON et Mode…OFF: signifie je vais sortir une énormité, mais suivant votre réaction, je vous dirai que je plaisante, tu penses ou que je m’affranchis un instant de mon obligation de réserve ou de discrétion pour vous en glisser une.
-Normales saisonnières: on dit NORMES saisonnières quand on comprend un tant soit peu le sens des mots.
-En temps réel: simultané, direct, instantané, sans décalage. Si vous me trouvez du temps « irréel » je veux bien l’essayer si c’est légal.
Et on termine par l’horrible, l’abominable:
-DU COUP: Bordel, ces 2 mots sont pire que des tentacules! Impossible de s’en débarrasser! Ils commencent et terminent toutes les phrases au point qu’on ne plus se concentrer sur leur signification! Successeur de « Dans le genre », cousin de « Ambiance… » apparenté à l’abominable « YOU KNOW » des anglos-saxons. Du coup, il faudra une génération pour déconditionner les victimes, du coup. Aaaargh!
N’oublions pas: à très vite pour dire à très bientôt, changé de logiciel pour dire changé de mode de fonctionnement, win-win pour dire que les deux parties y trouvent leur compte.
A cela on peut ajouter l’élocution affectée de la voix du narrateur de tous les reportages et même de certains documentaires. Insupportable.
Les français sont d’une vanité et d’un dérisoire…
C’ est réaliste et « en même temps » affolant ;)