Pour la première fois les Mémoires de Hermann Bickler (1904-1984) sont publiées en français. Nos confrères d’Alsace Actu en font la recension. Et nous transmettent en exclusivité ci-dessous la photo d’une correspondance entre ce dernier et Olier Mordrel.
Une publication inédite et des révélations en pagaille
Sous le titre Un pays particulier : Souvenirs et considérations d’un Lorrain, il s’agit de la traduction inédite de Ein besonderes Land : Erinnerungen und Betrachtungen eines Lothringers, publié en 1978.
L’ouvrage traduit par les éditions Neues Elsaß-Lothringen Verlag, contient également des annexes inédites jamais publiées jusqu’alors, pas même en allemand. Des révélations inédites sur les relations de Hermann Bickler avec l’écrivain Louis-Ferdinand Céline, Robert Schuman ou encore Geneviève de Gaulle (la nièce du Général) qu’il fit sortir de camp de concentration. On apprend aussi comment Bickler, bien qu’engagé du côté de l’Allemagne durant la Seconde Guerre mondiale, a évité l’exécution de résistants alsaciens anti-nazis (le groupe Weninger).
En annexe on trouvera également une correspondance d’après-guerre avec le nationaliste breton Olier Mordrel, qui a lui aussi fui la France après 1945.
Toutes ces révélations inédites sont issues d’une traduction partielle du deuxième tome des Mémoires de Bickler, ouvrage qui n’a été communiqué qu’à la famille de l’auteur.
De la Moselle à l’exil italien
Hermann Bickler est né en 1904 à Hottviller/Hottweiler dans le Bitscherland (Pays de Bitche), dans une Lorraine alors allemande.
La ferme du Welschhof, lieu de naissance de Hermann Bickler, de nos jours
Comme toute sa génération, il vit un nouveau changement de pays lorsque l’Alsace et la Moselle sont reprises par la France au terme de la Première Guerre mondiale, après près d’un demi-siècle passés au sein de l’Empire allemand.
Annexion à la France qui, après l’euphorie de la fin de la guerre, déchante rapidement. On parlera à l’époque de « malaise alsacien ».
En cause : les politiques linguistiques et religieuses de l’État français, qui entend introduire de façon immédiate et brutale une langue française qui n’a jusqu’alors jamais pénétré la population en dehors des catégories bourgeoises urbaines, supprimer l’enseignement de l’allemand et mettre en œuvre les lois de 1905 en Alsace-Moselle.
L’État français finit par céder sur la question religieuse, maintenant le Concordat napoléonien qui perdure jusqu’à nos jours dans les trois départements. Mais il restera inflexible sur la politique linguistique, sa volonté d’introduction de la langue française et d’élimination de la langue allemande.
Cette situation entraînera dans l’entre-deux-guerres une contestation politique forte, avec la percée du mouvement autonomiste (mouvance qui existait déjà du temps de l’Empire allemand, mais se battait alors pour que le Reichsland d’Alsace-Lorraine obtienne le même statut que les autres États de l’Empire, et avait obtenu en 1911 une autonomie partielle de l’Alsace-Lorraine au sein du Reich).
C’est dans ce contexte que le jeune Bickler effectue des études de droit à Strasbourg, devient avocat, et s’engage dans le mouvement autonomiste. Il crée la Jungmannschaft, un mouvement autonomiste qui tend vers le séparatisme et ne fait pas mystère de son nationalisme allemand (alors que les autres mouvements autonomistes alsaciens sont moins francs sur cette question, en particulier après l’arrivée des nationaux-socialistes au pouvoir).
Hymne de la Jungmannschaft
La Seconde Guerre mondiale bouleverse le paysage politique alsacien : les leaders autonomistes, dont Bickler, sont incarcérés à Nancy en 1939. L’État français voit dans la plupart des autonomistes une cinquième colonne de l’Allemagne, et veut en tout état de cause en finir avec cette mouvance politique particulièrement enracinée dans les territoires recouvrés. L’autonomiste Karl Roos y est fusillé en février 1940, et Bickler est pressenti pour être le suivant à être passé par les armes.
La cellule de Bickler durant sa détention à Nancy (dessin de l’auteur)
La défaite militaire de la France amène à la libération par les Allemands des autonomismes alsaciens-lorrains, dont ils se servent comme faire-valoir pour installer leur nouveau pouvoir (bien qu’aucune annexion officielle n’ait jamais été proclamée).
Bien qu’ayant été nommé Kreisleiter (l’équivalent de sous-préfet) de Strasbourg, Hermann Bickler est en froid avec le parti nazi : en effet, l’Alsace a été intégrée au Pays de Bade et ne jouit d’aucune autonomie (tandis que la Moselle est intégrée au Palatinat). Alsacien-Lorrain avant tout, Bickler intervient notamment pour éviter la peine capitale au groupe Weninger, composé de résistants francophiles à l’occupation allemande.
En 1942, las de ses oppositions avec le parti, Bickler demande à rejoindre l’armée. Il est finalement envoyé à Paris au service du contre-espionnage avec son beau-frère Rudi Lang. C’est là qu’il fera la connaissance de Céline, qu’il aidera à obtenir les documents lui ayant permis de fuir au Danemark.
À la fin de la guerre, Bickler fuit en Allemagne puis en Italie près du Lac Majeur. Il est condamné à mort par contumace par la justice française pour haute trahison mais ne sera jamais extradé.
Il publie en 1978 ses Mémoires consacrées à la période alsacienne-lorraine de sa vie jusqu’en 1942.
L’intérêt du livre
Cet ouvrage constitue un témoignage rare (en particulier en langue française) d’une époque tumultueuse. Il nous replonge dans une époque méconnue, de façon beaucoup plus immersive que les ouvrages d’historiens plus savants mais qui ne sont pas le récit d’un vécu.
Comme dans toute autobiographie, l’auteur a sans aucun doute sélectionné les faits ou les interprétations étant à son avantage. Le fait d’avoir écrit ce livre au soir de sa vie donne malgré tout un recul appréciable.
On comprend aussi à la lecture de cet ouvrage que les autonomistes alsaciens, malgré leurs divergences idéologiques (des cléricaux représentés par Rossé au modéré Dahlet, en passant par les communistes Hueber et Mourer ou la Landespartei de Roos), entretenaient des relations cordiales, tant ils se retrouvaient dans leur objectif de défendre l’identité culturelle et linguistique de l’Alsace-Lorraine.
On sera par exemple surpris d’apprendre que Bickler et Camille Dahlet (de tendance radicale-socialiste, anti-nazi notoire, et l’un des rares autonomistes alsaciens en vue à ne pas avoir été inquiété après-guerre) se sont rencontrés à Kehl après la Seconde Guerre mondiale.
Un livre à commander sur le site de l’éditeur ou éventuellement sur Amazon.
Crédit photo : DR
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2 réponses à “Hermann Bickler. Les mémoires de l’autonomiste alsacien enfin disponibles”
Le compositeur russe Shostakovitch a écrit, à propos de sa 13e Symphonie, après ses oeuvres inspiréers de la musique traditionnelle juive slave, que son jugement sur quiconque avait pour critère psychologique spécifique, son antisémitisme ou son philosémitisme (comme on disait à l’époque!)
Ce Hermann Bickler me paraissant a priori comme identitaire alsacien face au rouleau compresseur d’un démocratisme et cosmopolitisme très mal compris…J’aimerais bien savoir sa position face au « problème » sic juif…Avant, pendant et après la IIe GM.
Breton de naissance et mosellan d’adoption, je m’étonne toujours de lire la notion de « Alsace-Lorraine » concernant les 3 départements français sous ex dominance allemande.
Il FAUT lire et dire « Alsace-Moselle » La confusion provient de la traduction du mot Lothringen » en Lorraine qui, pour les Allemand, signifiait Moselle.
D’ailleurs, les vieux autochtones mosellans parlent de « France de l’intérieur » pour évoquer la France sans les trois départements annexés.
YC