04/09/2017 – 06h35 Nantes (Breizh-Info.com) – Carreaux cassés dans les cantonnements et les commissariats, WC hors d’usage, portes d’entrée rafistolées avec du carton ou des planches, compteurs des véhicules qui affichent plusieurs centaines de milliers de kilomètres – quand ils roulent, armes réformées, radios hors d’âge… les policiers en ont assez de travailler dans des conditions innommables, alors que la délinquance augmente et qu’un nombre croissant de missions leurs sont confiées. Ils dénoncent leur quotidien en photos.
L’UPNI (union des policiers nationaux indépendants) est un regroupement de collectifs policiers nés de la grande vague des manifestations de policiers – toujours pour améliorer leurs conditions de travail – à l’automne dernier. Particularités du mouvement : ils étaient en tenue et dénonçaient vivement leurs syndicats, taxés d’immobilisme et de carriérisme alors que les conditions de vie et de travail des policiers sur le terrain ne cessaient de se dégrader. Apolitiques et non syndiqués, les membres de l’UPNI sont des policiers du rang, qui prennent le temps pour le collectif sur leur repos.
Lancé à la mi-août auprès des adhérents et des visiteurs de leur page Facebook, très vite, ce concours photo a permis à l’UPNI de collecter des centaines de contributions sur tout le territoire.
Les CRS s’en étaient déjà émus après avoir refusé de cantonner à Deuil-la-Barre et dormi dans leurs fourgons à l’automne 2016. Les militaires de l’opération Sentinelle n’y échappent pas non plus. D’autres CRS ont refusé des cantonnements à cause des blattes à Massy, des punaises de lit à Calais…: gilets pare-balles périmés, pigeons et rongeurs dans les locaux, fourgons qui ont parfois plus de 400.000 kilomètres au compteur ou qui ont été sommairement réparés, portes et fenêtres rafistolées avec du contreplaqué, du carton ou des planches, clés des armoires fortes planquées avec des moyens de fortune, sièges de véhicules relevés avec des livres, armes réformées… le sous-équipement de la police est patent.
Membre de l’UPNI, Christophe Robert nous explique que « L’UPNI est centrée à Paris, mais elle regroupe des collectifs de l’ensemble du territoire français, nés après les manifestations de l’automne dernier. Nous sommes apolitiques et asyndicaux ». Les syndicats sont dénoncés par le collectif : « ils sont détachés, pas sur le terrain et ils utilisent leur détachement pour faire des réseaux, une carrière, voire de la politique ». Bien qu’ils soient présents dans les commissions d’hygiène, « ils ne font jamais remonter les problèmes de locaux insalubres ». Et leur division est jugée préjudiciable aux policiers : « il n’y a jamais eu d’unité syndicale pour améliorer le quotidien, ils n’arrivent pas à se mettre d’accord pour défendre le policier de terrain, c’est chacun sa chapelle et rien n’avance ».
L’UPNI est peu présente en Bretagne historique, « sauf en CRS, c’est une région du reste où il y a peu de commissariats ». Son objectif est « d’améliorer le sort du policier national. Depuis l’automne dernier il n’y a pas eu beaucoup de moyens supplémentaires – sauf pour l’anti-terrorisme ».
Radios, ordinateurs et réseaux vieillissants
Pendant ce temps, les matériels vieillissent. Il donne l’exemple des radios. « Depuis la coupe du Monde 1998, nous avons un réseau sécurisé, ACROPOL. Il commence à être très vétuste et coûte très cher. Un poste radio portable, c’est 1500 €. Dans les véhicules, nous avons des radios de plus de quinze ans, dont les trois quarts sont HS. Les batteries ne tiennent plus. Et pour les talkies c’est souvent pareil. Alors on utilise nos portables personnels ».
Analyse confirmée par un officier qui trouve qu’il « y avait déjà mieux à l’époque, mais les marchés publics obéissent parfois à des règles qui tiennent plus des relations humaines que de la loi. Et depuis rien n’est venu le remplacer ». Sauf une expérimentation avec des tablettes, déployées dans des commissariats à Melun et le 4e arrondissement de Paris, et qui permettent aux policiers d’interroger les fichiers.
Du côté des ordinateurs, idem : « ils font évoluer les logiciels mais pas les ordinateurs, ils sont sous Windows 2000, parfois XP, ils ont souvent 10-12 ans et ils rament ». Sauf quelques unités spécialisées mieux pourvues, il n’y a pas de budget pour renouveler le matériel. Et l’intranet aussi est « catastrophique. Maintenant, on est branchés sur un réseau national, mais il n’a pas évolué en conséquence. Et comme on en a besoin pour accéder aux fichiers [ personnes recherchées, permis de conduire, casier judiciaire…], c’est la galère. Parfois sur la voie publique, il faut dix minutes pour interroger le fichier, pendant ce temps les gens qu’on contrôle poireautent. Et il n’y a pas de budget pour passer à la fibre ».
Electricité, fissures, maladies ou invasion de punaises : des dizaines de commissariats au bord de l’effondrement
La vétusté pèse aussi sur les locaux. « Celui de Coulommiers, en Seine-et-Marne, est particulièrement vétuste. A Pointe-à-Pitre, c’est la dalle où l’on gare les véhicules qui s’effondre, et après il y a beaucoup de problèmes de salubrité », par exemple à Vitry (94) où le commissariat de police a été fermé à plusieurs reprises après avoir été envahi par des puces et des punaises.
D’autres font régulièrement l’objet de plaintes, mais rien ne change. Cholet (49) et ses installations électriques hors d’âge ainsi que ses fenêtres qui tombent toutes seules, Boulogne-Billancourt (92) et son eau non potable, Nanterre et ses fuites d’eau, Saint-Cloud et l’amiante, Suresnes et la légionellose dans ses douches, le 1er arrondissement de Paris gagné par la rouille, Béziers privé de climatisation (dans le Languedoc, c’est logique), Verdun et sa toiture en passe de s’effondrer, Herblay (95) qui risque un feu électrique à court terme, Périgueux, Arras et ses murs fissurés, la Rochelle, etc, etc.
Les budgets entretien et maintenance sont « rabotés au maximum. Par exemple les cellules de garde à vue ne sont pas nettoyées tous les jours, elles ne le sont que quand des gardés à vue ont eu des soucis après y être passés. Dans certains endroit, on en a qui ont la gale, ou la teigne, et les cellules ne sont pas nettoyées comme elles devraient l’être, faute de moyens ! ». Idem pour le linge, les couvertures en papier ou les matelas en plastique, quand il y en a.
70% des véhicules avec plus de 150.000 km au compteur
Pas mieux pour les véhicules : « il y a des services de maintenance régionaux, mais les réparations sont faites à minima, pour qu’ils durent encore ». L’UPNI a relevé plusieurs véhicules à plus de 400.000 km au compteur, et des commissariats où seuls 2 ou 3 véhicules sur dix étaient disponibles. « Plus de 70% du parc, ce sont des véhicules qui ont plus de 150.000 kilomètres au compteur ».
L’UPNI relève aussi l’absence de véhicules spécialement conçus pour la police – comme cela se fait pour l’armée ou pour la police d’autres pays européens. « Ce ne sont que des véhicules de série, qui ne sont pas adaptés. Un véhicule, ça tourne tout le temps, avec les hommes, les armes, le matériel collectif et individuel qui est lourd, ça use énormément ».
L’administration bricole, mais ça ne suffit pas : « il y a des prises jack pour les gyrophares qui sont ajoutées, mais à force les gyros ne marchent plus car ils ne cessent d’être retirés et rebranchés ». Idem pour les armes, « il n’y a rien pour les mettre, les collègues tiennent leurs fusils entre les jambes. En cas d’accident ou de freinage brusque, on le prend en pleine tête ».
Quand elles fonctionnent – beaucoup sont réformées. D’autres doivent être déployées, mais elles ne le sont pas : « Le HK G36 doit remplacer les Beretta », bien qu’il y ait des défaillances constatées. « Pour utiliser une arme, les collègues doivent être formés et habilités. Dans certains départements, aucune formation n’a eu lieu ». Notamment… dans les Bouches-du-Rhône.
Cantine : gamelle, ration militaire ou ventre vide
Le ravitaillement pose aussi problème. Rien n’est prévu, la police n’a pas de cantines. « On n’a que 45 minutes de pause, quand on est au commissariat. On peut donc avoir une gamelle qu’on ramène de chez soi et qu’on réchauffe, ou un sandwich ». Et lorsqu’ils n’y rentrent pas, « par exemple quand on encadre une manifestation et que l’horaire de la vacation est dépassé, on n’a rien. On prévoit soi-même sa petite bouteille d’eau ou son sandwich ».
Il y a quelques années, des policiers faisaient la cuisine pour leurs collègues, mais la direction a exigé qu’ils retournent sur le terrain. A Nantes – et dans d’autres villes – la DDSP a acheté des rations militaires (RCIR) pour la BAC et quelques autres unités. Les policiers les réchauffent eux-mêmes, là où ils le peuvent, et l’avalent en vitesse. « Au mieux, le 14 juillet, ou lors du tour de France, on a des plateaux repas, mais c’est exceptionnel ».
Il n’y a que les CRS qui échappent à ce dur régime : ils ont des agents de restauration et d’intendance qui assurent leurs repas, d’autant qu’ils sont quasiment toujours en déplacement – « une partie de l’équipe restauration prend alors la route pour suivre, voire devancer la compagnie. Équipés d’un « camion cuisine », les cuisiniers peuvent assurer leur service dans n’importe quelle condition, n’importe où. Ils peuvent alors sustenter en totale autonomie et en complète autarcie durant plusieurs jours », explique ainsi le Ministère de l’Intérieur. Aujourd’hui, 322 ouvriers d’état cuisiniers sont affectés dans les CRS et les écoles de formation de la police.
La vétusté, le sous-équipement et les conditions de travail dégradées de la police nationale rappellent celles que peuvent connaître les agents de l’administration pénitentiaire ou du ministère de la Justice. En 2010, l’Union syndicale des magistrats dénonçait, dans un sombre livre blanc, l’état de certains tribunaux. A Digne-les-Bains, les volets de la salle d’audience étaient fermés et servaient à maintenir les fenêtres qui s’effondraient. A Caen et Toulouse, il y avait des effondrements, à Nantes, Béthune, Grenoble, Avesnes-sur-Helpe, des fonctionnaires étaient » gardes des seaux » à cause des fuites d’eau. A Paris, Compiègne et au Puy, les bureaux sont surpeuplés. En 2009, les tribunaux de Pau, Montargis, Montluçon, Nancy, Saint-Quentin avaient des dizaines de milliers d’euros de dettes… Si des travaux ont été faits de ci de là, la situation globale n’a guère changé depuis.
« C’est toute la chaîne judiciaire qui n’a pas de moyens », dénonce l’UPNI, qui réclame des Etats généraux de la sécurité, communs à la gendarmerie, la justice, la police et l’administration pénitentiaire « pas pour que les cadres ou les magistrats pontifient, mais pour que les gens qui sont sur le terrain, qui vivent les difficultés au quotidien, puissent s’exprimer concrètement sur les problèmes qu’ils vivent, et que ça donne lieu à des solutions concrètes plutôt que de belles paroles ».
Gérard Collomb promet des améliorations dans deux ans, l’UPNI le renvoie dans ses cordes
En déplacement à Beauvais, le ministre de l’Intérieur a réagi au concours photo de l’UPNI, dont même la presse étrangère s’est fait l’écho, en promettant des améliorations d’ici à deux ans : « il y a trois mois que je suis là. En trois mois, je n’ai pas repeint de mes petites mains tous les commissariats de toute la France. Mais dans deux ans peut-être, ils pourront dire si c’est toujours aussi vétuste ou bien si les choses se sont améliorées, je parie qu’ils diront à ce moment-là que les choses se sont améliorées », se référant notamment aux ambitions de Macron pour moderniser et augmenter les moyens de la police nationale – qui lui-même prend la suite d’une annonce de 250 millions d’euros de moyens supplémentaires faite par le gouvernement de Cazeneuve après les manifestations de policiers à l’automne 2016. Un an plus tard, sur le terrain, rien n’a vraiment changé.
L’UPNI lui a adressé une réponse vive et sèche : « Les flics français en ont marre d’être la 5ème roue du carrosse, d’être humiliés et traînés dans la boue à la première occasion, de travailler avec des matériels pourris, recyclés, ou comme venus du tiers monde ». Et de laisser planer le spectre de la grève du zèle générale : « Que voulez Monsieur le ministre ? Que les CRS et gendarmes mobiles soient tous malades quand il y a des manifs ? Que les bleus ne voient subitement plus les infractions rentables du code de la route ? Que les OPJ soient suffisamment débordés pour atteindre le burn out ? Que les pansements fragiles mis sur la maison « Poulaga » depuis 3 décennies craquent ? ».
Pour l’UPNI, les promesses du ministre ne sont que des belles paroles, encore : « Parce que vous ne pouvez repeindre en 3 mois les commissariats et nous donnez rendez vous dans 2 ans…mais dites…ça fait combien de temps qu’on nous donne des rendez vous ? Combien de ministres intelligents, de tous bords, sont passés et ont laissé pourrir la situation ? Tous, ils ont tous pressé le citron, jeté la peau et passé leur chemin. Ça suffit ». Et de dresser un sombre constat : « La police se meurt, elle ne pourra bientôt plus rien, pour personne. Nous sommes sur une poudrière. Et ça a l’air de bien vous amuser Monsieur Collomb ».
Louis-Benoît Greffe
Crédit photo : DR
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2 réponses à “Un concours photo pour illustrer les conditions de travail misérables de la Police Nationale”
il serait peut être temps de demander des comptes sur la manière dont les politiques dépensent
NOTRE argent
Non mais ils se foutent de qui , les logements ce sont à eux de les entretenir mais dans un sens ce n’est pas très étonnant que leurs locaux soient dans un tel état ils sont à l’image de la police et des policiers , et connaissant bien le milieu policier , pour certain ils ne sont pas chez eux donc ils se fichent totalement du matériel mis à leurs dispositions . La police ne fonctionne pas du tout comme les gendarmes ou les pompiers qui entretiennent eux mêmes leurs locaux mis à leurs dispositions et qui en aucun cas se retrouverai dans un tel état de délabrement , et d’ailleurs ce mode de fonctionnement n’est pas uniquement policier , mais il y est très Français , c’est pas à moi donc je m’en fous , tout comme cette manie de râler de tout et n’importe quoi du moment qu’il y a matière à râler le Français râle et d’ailleurs je râle !!!. Pour bien faire il faut leurs remettre en état avec du matériel neuf , mais en échange à eux dans prendre soin et de l’entretenir , le tout bien sur rémunéré sinon ça ne serais jamais fais , et déduire le cout de l’opération à nos politicards bien véreux , eux !!!