27/07/2017 – 07h15 Rennes (Breizh-info.com) – Les élevages de lapins vont-ils disparaître complètement en Bretagne. Entre baisse de la consommation et l’interdiction des cages, la filière connait une crise sans précédent.
La Bretagne historique et le quart nord-ouest de la France (Maine, Anjou, Poitou) représentent 60% de la production de lapin en France. Le pays comptait en 2005 3500 élevages, contre 2000 en 2008 et 1200 en 2016. Depuis, production et nombre d’élevages se sont effondrés. Cependant, piégée entre la diminution de la consommation, les bas prix et l’interdiction à venir des cages, la filière est plongée dans une crise profonde, qui ne cesse de s’aggraver.
En Bretagne administrative, il y avait encore 300 élevages il y a dix ans ; ils n’étaient plus que 130 en 2016 et 120 en 2017. L’association d’éleveurs de lapin breton (AELB) a vu ses effectifs tomber de 44 à 39 éleveurs entre 2015 et 2016, en parallèle. En Pays de Loire, il n’y a plus que 350 éleveurs contre 400 il y a dix ans. Corollaire : les abattoirs eux aussi battent de l’aile. L’abattoir Multilap de Saint-Crespin sur Moine, dans les Mauges, a fermé en 2015, supprimant 29 emplois ; signe des temps, les installations ont été rachetées par un industriel qui fait des produits halal, et devraient être remises en service. D’autres ont été fermés dans l’Ouest, notamment au sud des Deux-Sèvres à Chef-Boutonne en 2013 ; ce sont des éleveurs bretons qui le fournissaient.
Les prix ne payent plus les éleveurs : à 1,77€ en moyenne au kilo en 2015, 1.82€ en 2016, 1,70€ au kilo en 2017, les éleveurs ne s’en sortent plus, comme ils l’ont expliqué en allant étiqueter leur production à l’Intermarché des Longchamps à Rennes-Chantepie en avril dernier. Leurs syndicats réclame 20 centimes d’augmentation pour l’agriculteur à la grande distribution, de façon à ce que les agriculteurs puissent se dégager un revenu et s’en sortir. La plupart des éleveurs travaillent 80 heures par semaine pour se payer très en-dessous du SMIC ou pas du tout. Les installations de jeunes dans la filière ont quasiment cessé.
La filière lapin est en effet très coûteuse : pour un élevage dit « rationnel » clé en main comptant 700 lapines, produisant 40.000 lapins engraissés par an, il faut un apport de 400.000 €. Selon la filière, il faut un coût de 2.03€ au kilo pour amortir ces installations en douze ans ; on en est loin. Par ailleurs l’alimentation des lapins est chère : le coût de l’aliment à base de luzerne et de pulpe de betterave, qui représente à lui seul 44% du coût de la production ne cesse d’augmenter et les coûts sanitaires liés aux maladies, vaccinations etc. pèsent aussi sur les élevages, dont la quasi-totalité est industrielle. L’association L214 dénonce un taux de mortalité de 80% pour les lapereaux avant abattage et 29% pour les lapines. Par ailleurs la valorisation des peaux de lapin, qui représentait environ 15% des revenus des agriculteurs, s’est évanouie après que les entreprises de retraitement, en Chine, se sont réorganisées en 2014.
Toutes ces calamités plombent les capacités d’investissement. A l’automne 2016 la fédération nationale des groupements de producteurs de lapins de chair (Fenalap) rappelait dans un communiqué que la situation était devenue « catastrophique » après une crise qui dure déjà depuis dix ans. « Les trésoreries sont vides, le prix payé à l’éleveur ne couvre pas ses charges, indiquent-elles. Les cessations de paiement se multiplient, les éleveurs sont contraints d’arrêter leur activité. Pour ne pas voir la production de lapins disparaître, il devient vital que les producteurs soient rémunérés à un prix leur permettant de payer leurs charges et de vivre dignement de leur métier », affirmait la FENALAP.
Comme souvent, la crise ne se limite pas à une question de prix. Il y a aussi la chute massive de la consommation de lapin ; elle n’a cessé de diminuer, s’établissant à 1,2 kilos par habitant et par an. En 2015, elle s’érodait de 10%, et elle a continué en 2016 et au premier semestre 2017. Si en 1979 les français mangeaient 5 kilos de lapin par an, et encore 1,50 kg en 1995, ils n’en consomment plus que 800 grammes aujourd’hui. En même temps, la production française est tombée de 200.000 T équivalent carcasse en 1979 à 80.000 T en 2004 et 57.400 au printemps 2017 ; une partie de la consommation provient des importations de frais en provenance d’Espagne et d’Italie, qui ont réussi à maintenir leurs filières industrielles cunicoles, et de la Chine en surgelé.
Il y a encore un enjeu industriel : le lapin entier, qui était déjà un marché de niche, n’est presque plus consommé, tandis que les produits plus adaptés à l’évolution des modes de consommation (émincés, filets, halal, portions individuelles, nuggets, saucisses) peinent à émerger tant au sein de la filière que dans les rayons de la grande distribution. Contrairement à d’autres viandes comme le bœuf, le poulet ou même le porc (label le porc français), il n’y a peu ou pas de campagnes de communication concernant la viande de lapin, alors même qu’elle est peu grasse et riche en Oméga 3.
Seule note positive : le marché de la production de lapins reproducteurs se porte bien, grâce à l’export. Les deux acteurs majeurs, Eurolap situé à Gosné (35) et Hypharm, situé dans les Mauges à Roussay, exportent près de la moitié de leur production vers l’Italie et l’Espagne… concurrents directs de la production cunicole française. Ces deux entreprises ont décidé de fusionner en 2017 pour peser sur le marché, très concurrentiel malgré une situation très difficile en France.
La fin des cages, un changement de paradigme fatal pour la plupart des élevages
Plus inquiétant pour la filière, l’interdiction à venir des cages à lapin, qui est dans les tuyaux du Parlement européen après un rapport d’initiative en mars dernier au nom du bien-être animal. Près de 99% de la production cunicole française est faite en cages à lapin, et les éleveurs ne voient guère comment – et avec quels moyens – ils pourraient changer de système de production, alors qu’ils n’arrivent déjà pas à s’en sortir.
Ils craignent que dans les années à venir, plus du quart des élevages soient rayés de la carte, ainsi que les emplois induits (transformation, production d’aliment, abattage). Le label rouge – enclos au sol grillagé et 15 jours sur paille avant abattage, engraissement à 90 jours au lieu de 74 – ne représente que 1% de la production, le bio est marginal – et se confond avec les lapins que les particuliers élèvent chez eux.
Plusieurs distributeurs européens ont déjà banni le lapin en cage : Manor en Suisse (qui achetait des lapins industriels italiens), Tengelmann et Kaiser’s en Allemagne, Schiever (Atac, Maximarché) en France. Deux pays – dont la production cunicole est cependant très faible – ont banni les cages au profit des parcs ; il s’agit de l’Autriche et de la Belgique. En France, le passage aux cages induirait un « surcoût de 30% pour l’éleveur », et donc au moins autant, sinon plus, pour le consommateur, sans compter l’investissement que la grande majorité des éleveurs français ne sont pas en mesure de faire. Sinistrée, démunie de moyens et d’appuis pour se renouveler et innover, la filière lapin française redoute un saut dans l’inconnu qui lui serait fatal.
Louis-Benoît Greffe
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Une réponse à “Bretagne. La filière lapin vers une crise historique ?”
Tant mieux que l’élevage industriel disparaisse, c’ est une honte d’ élever des animaux dans de telles conditions, que ce soit des poulets, des porcs ou des lapins ……etc ……