Vignobles oubliés (3). Le Klevener de Heiligenstein, l’autre gewurztraminer

Parce que l’identité d’un vignoble fait corps avec son territoire, la géopolitique de la vigne cache des vins à l’âme « irrédentiste1 » porteurs d’une originalité sans égale. Ils sont la source d’une variété de goût inscrite dans un particularisme historique, dont l’affirmation identitaire défie le vin mondialisé démuni de toute filiation territoriale.

Un autre regard

L’accès à ce genre de vins tient moins pour l’œnophile, d’une maitrise des rudiments de la dégustation sensorielle que d’une plongée dans la culture des traditions vinicoles. Une démarche à contre-courant de l’apprentissage technique prédominant, qui pourtant représente la seule véritable clé de lecture de ces vins.

À défaut de mise en perspective historique et géographique, la possibilité de saisir la singularité du Klevener de Heiligenstein s’éloigne, et l’œnophile en reste réduit à la simple considération de son goût.

Une spécificité alsacienne

Or le plaisir réside déjà dans le fait de savoir que l’existence de ce cépage, cousin du gewurztraminer, est circonscrite au seul petit finage du village d’Heiligenstein. Une petite enclave alsacienne sise au pied du mont Saint-Odile, qui consacre bien avant l’heure, le lien fusionnel d’un cépage avec son terroir. Avant la survenue du phylloxera, les différents cépages alsaciens étaient complantés, donc mélangés sur la même parcelle.

Au XVIIIème siècle, un homme, Ehrhard Wantz, bourgmestre de ce petit village d’Alsace, bouscule les usages en imposant à tous les habitants la plantation du savagnin rose. Ce précurseur d’une nouvelle façon de lire le vin par son rattachement à un lieu, assoit dès lors la prospérité d’Heiligenstein sur la personnalité à part d’un cépage très rare.

Ce dernier, identifié depuis le XVIème siècle par le botaniste Jérôme Bock2, se rattache à la complexe et prolifique famille des traminers dont les savagnins sont les principaux descendants. Devancier du gewurztraminer, une mutation dite « épicée » de savagnin, le savagnin rose décline au fil des années, supplanté par ce rival musqué au charme aromatique plus expressif. Dans les années 60, son souvenir reste entretenu seulement par une poignée de vignerons.

Le regain

La reconnaissance de l’AOC en 1971 sauve le klevener de la disparition, le cépage regagne du lustre auprès des amateurs en recherche de curiosités. Aujourd’hui, une vingtaine d’hectares sauvegarde la mémoire d’un caractère distinctif en comparaison de celle proposée par l’omnipotent gewurztraminer. Sans doute moins flamboyant et au tempérament plus rentré, le klevener suit une ligne aromatique à l’écart des flaveurs parfois entêtantes de rose et de litchi, ou se retrouve souvent l’agrume confit.

Domaine Heywang, phare de l’appellation

Comme dans toutes les appellations, mêmes les plus homogènes en qualité, certains vignerons travaillent sans ambition particulière quand d’autres proposent des modèles très aboutis. Autant se diriger vers cette deuxième catégorie, le chemin direct vers l’excellence évite toute fâcheuse déconvenue sur l’appréciation générale d’un vignoble. Dans le cas du klevener de Heiligeinstein, le domaine Heywang défend avec constance, une interprétation classique mais rigoureuse du cépage, au travers de vins à la liqueur élégante et vive. Au vieillissement, la cuvée « vieilles vignes » se comporte très bien, son habilité à complexifier ses arômes et tasser son sucre au fil des ans, la consacre en grand vin de garde.

Raphno

  1. « irrédentiste » : En Italie désigne un mouvement de revendication sur les terres non-rachetées restées à l’Autriche-Hongrie avant sa défaite en 1918.

  2. Le livre des herbages de Jérôme Bock date de 1551.

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Une réponse à “Vignobles oubliés (3). Le Klevener de Heiligenstein, l’autre gewurztraminer”

  1. pipette_4 dit :

    J’éprouve le plus grand respect pour le klevener de Heiligenstein. J’en ai bu rarement, mais toujours avec délices. Cependant, de Breizh-info, j’attendrais plutôt des articles sur les vins bretons. Il y aurait déjà beaucoup à dire sur le sujet.

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