29/04/2017 – 05H45 Paris (Breizh-info.com) – Philippe Contamine vient d’écrire une biographie du roi « Charles VII » éditée aux éditions Perrin, présenté ainsi par l’éditeur ;
Durant la majeure partie du XVe siècle, en Occident, les royaumes et les peuples, les princes et les aristocraties subirent de violentes turbulences. La France, en particulier, en fut à ce point de connaître un moment deux rois concurrents. Que Charles de Valois, devenu Charles VII, l’ait emporté pour finir n’était pas écrit d’avance. Il eut à répondre à au moins trois défis : se faire obéir, construire sa légitimité, l’emporter militairement. Dieu, Jeanne d’Arc, le beau Dunois et Jacques Coeur contribuèrent sans doute à les relever.
Mais Charles, l’un des premiers rois dont il est possible de connaître et d’apprécier la personnalité, n’était pas le prince falot parfois décrit et décrié, se laissant porter par le hasard et par son entourage. Taiseux, obstiné, passablement instruit, il sut mener la nef royale sur une mer démontée. En près de quarante années de règne (1422-1461), il s’adapta aux circonstances, tira parti des conflits entre les princes, s’appuya sur ses « bonnes villes » et aussi sur la papauté, créa des institutions administratives et militaires efficaces. Innovation appelée à une longue postérité, l’apparition publique d’une favorite royale, sous les traits avenants d’Agnès Sorel. Avec Charles VII émerge aussi une forme de sentiment « national ». La biographie conçue par Philippe Contamine est résolument politique, au sens que revêt ce mot précisément à cette époque. Sont ici mis en lumière les pratiques du pouvoir, les mécanismes de son fonctionnement, sa conception et ses représentations.
Le livre intéressera particulièrement les Bretons, puisque durant le règne de ce roi de France, était constitué l’Etat Breton – qui vacilla durant le XVème siècle avant le rattachement à la France dans la foulée.
Nous avons interrogé Philippe Contamine sur son ouvrage.
Charles VII – Philippe Contamine – Perrin – 26 €
Breizh-info.com : Pourquoi cet intérêt pour l’histoire, pourquoi en avoir fait votre carrière ?
Philippe Contamine : Dans le secondaire, j’étais le type même du bon élève consciencieux. Quant à mon environnement socio-culture, il favorisait le goût pour les arts, les lettres et les sciences. Il y avait aussi des médecins dans ma famille mais je n’ai jamais été tenté par les professions de santé. Cela dit, n’étant pas assez fort en maths, je n’étais pas en mesure de préparer les concours aux grandes écoles scientifiques et je n’avais pas de dons artistiques avérés (ainsi pour devenir architecte). Restaient les lettres, dont l’histoire, parmi d’autres disciplines. Un métier s’imposait : celui de professeur d’histoire et de géographie en lycée. Je l’ai été, une paire d’années, après quoi, je suis passé dans le supérieur, en tant qu’enseignant-chercheur en histoire médiévale. J’ai commencé à la Sorbonne, comme assistant et j’y suis revenu comme professeur dans les dernières années de ma carrière. C’est dire que j’ai beaucoup enseigné, presque toujours avec plaisir. J’ai aussi dirigé les travaux de maints doctorants, ce que j’ai beaucoup aimé.
Breizh-info.com : Pourquoi cet intérêt pour la noblesse au Moyen Âge ?
Philippe Contamine : Il provient de ce que, vers 1960, pour ma thèse de doctorat ès lettres, publiée en 1972 et récemment rééditée, j’ai étudié, notamment dans leur composition sociale, les armées des rois de France aux XIVe et XVe siècles : le temps douloureux de la guerre de Cent ans. Or, non seulement l’encadrement de ces armées était assuré par la classe nobiliaire, depuis les ducs de sang royal jusqu’aux simples chevaliers, mais encore beaucoup d’ hommes d’armes, qualifiés d’écuyers, appartenaient à ce milieu à la fois très minoritaire et largement héréditaire. La vocation de la noblesse, cent fois répétée par les penseurs de la chose publique, était de servir le roi (ou le prince) en ses guerres.
Mais ces nobles, petits et grands, ne faisaient pas que se battre : il convenait aussi de les suivre dans leurs autres activités (les joutes, les tournois, la chasse à courre et au faucon, les jeux d’échecs ou de paume, la gestion de leurs terres, leurs fonctions publiques…), leur habitat (les châteaux, les manoirs, les « hôtels nobles » urbains), leurs ressources pécuniaires, leur train de vie, leur culture, leurs dévotions. Pour tous ces aspects, les sources ne manquent pas, écrites et non écrites (les constructions, les miniatures, les armures…).
Pour en venir à Charles VII, son problème majeur fut de convaincre « sa » noblesse de l’aider dans sa lutte dramatique avec son compétiteur, Henri VI, le jeune roi d’Angleterre, prétendant à la couronne de France et représenté en-deçà de la Manche par son oncle, l’imposant et habile Jean, duc de Bedford. Croyez-moi : ce ne fut pas une mince affaire.
Breizh-info.com : Quels rapports avec Jeanne d’Arc ?
Philippe Contamine : Rappelons les faits. Au début de 1429, les Anglais, soucieux d’achever ce que leur a promis le traité de Troyes de 1420 conclu entre Charles VI, père de Charles VII, et Henri V, père de Henri VI (un seul roi pour les deux royaumes), assiègent Orléans. La cité peut tomber d’un moment à l’autre. Charles VII est directement menacé : ne va-t-il pas être condamné à l’exil ou à trouver refuge dans le lointain Dauphiné, dont il se dit le dauphin ? Et voilà qu’une simple paysanne l’assure, de façon quasiment prophétique, qu’elle a reçu de Dieu la mission de libérer Orléans, de le mener se faire sacrer à Reims puisqu’il est le « vrai » roi de France, de reprendre Paris et de chasser les envahisseurs hors de « toute France ». Charles VII se laisse convaincre : la Providence n’est-elle pas à l’œuvre pour le sauver in extremis, lui le roi « très chrétien » du «franc royaume de France » ? Du coup, il permet à «Jeanne la Pucelle » (ainsi se fait-elle appeler) d’agir par les armes.
Et de fait, Orléans est délivrée et il est couronné à Reims. Merveilleux, miraculeux débuts. Mais ils sont suivis par des échecs, sous les murs de Paris comme sous ceux de La Charité-sur-Loire. En mai 1430, Jeanne est prise tout près de Compiègne. Or le camp adverse attribue ses succès à des sortilège d’origine démoniaque. S’ensuit un procès d’inquisition, conduit par Pierre Cauchon, évêque de Beauvais et principal conseiller politique du régent Bedford. Jeanne est condamnée comme schismatique : n’a-t-elle pas refusé de se soumettre au jugement de l’Église ? Elle meurt par le feu à Rouen en mai 1431. Son procès est indissociablement politique et religieux. Charles VII avait eu une année entière pour tenter de sauver celle qui l’avait établi dans sa pleine légitimité. Or, il ne fit rien, n’émit aucune protestation : pourquoi cette honteuse indifférence ?
Certes, le roi et la fille des champs n’avaient ni le même caractère ni la même mentalité. Mais cette incompatibilité d’humeur constitue une explication insuffisante du « malentendu ». Mon idée est que Jeanne d’Arc fut réputée une prophétesse, annonçant l’avenir et accomplissant elle-même ses prophéties. Ses échecs ne purent que troubler ses partisans : n’était-elle qu’une visionnaire parmi d’autres ? Charles VII et son entourage, notamment clérical, s’interrogèrent : n’avait-elle pas outrepassé la mission que le Ciel lui avait assignée ? Revenons à la raison du conflit : deux rois prétendent à un même royaume. Or, l’un des deux, Henri VI, s’est allié au duc de Bourgogne Philippe le Bon, prince des fleurs de lis. L’idée prépondérante au sein du conseil de Charles VII est que, pour l’emporter, il faut rompre cette alliance, en quelque sorte contre nature (car Philippe le Bon est issu de la maison de France), même au prix de cruelles concessions. Alors que pour Jeanne d’Arc Philippe le Bon doit purement et simplement se soumettre : s’il refuse, les loyaux Français sont bien capables de l’emporter. Les gens d’armes batailleront et Dieu leur donnera la victoire : ils sont dans leur droit et mènent une juste guerre, contre un ennemi (l’Anglais) et contre un traître (le Bourguignon).
Autre élément d’explication : après le bûcher, la propagande anglaise diffusa une version des faits selon laquelle au dernier moment Jeanne d’Arc avait reconnu que ses voix l’avaient trompée, c’est pourquoi elle demandait pardon aux Anglais et aux Bourguignons pour tout le mal qu’elle leur avait fait. Ce récit, dont Charles VII eut connaissance. était cautionné par l’université de Paris, dont le prestige théologique était considérable. On peut comprendre la perplexité du roi.
L’affaire ne s’arrête pas là : à la décharge de Charles VII, il faut dire qu’un quart de siècle après le bûcher de Rouen, il intervint auprès de la papauté pour que celle-ci autorise la révision du procès de condamnation. La lecture des actes de ce procès lui a en effet appris que la Pucelle lui avait été admirablement et imperturbablement fidèle. S’il y avait eu faute, son roi n’y était strictement pour rien. Charles VII se convainquit que son honneur de « roi très chrétien» était en jeu à travers la sentence de 1431. La révision du procès, conduite par un tribunal d’Église, aboutit en 1456 à sa réhabilitation officielle. Peut-être aurait-elle pu être davantage célébrée et médiatisée. mais Charles VII n’y tenait pas trop. Il avait sans doute conscience qu’en 1430-1431 il n’avait pas fait ce qu’il fallait. Mieux valait tourner la page.
Breizh-info.com : Le règne de Charles VII a-t-il vu naître une une forme de sentiment national ?
Philippe Contamine : Durant les derniers siècles du Moyen Âge, le sentiment d’appartenance à une communauté installée dans un certain espace politique existait. Pour prendre trois exemples, les populations des royaumes d’Angleterre, d’Écosse ou de Bohême se voyaient comme des Anglais, des Écossais ou des Tchèques, même si elles se sentaient aussi de leur famille, de leur village ou de leur ville. A un niveau supérieur, elles se savaient vivre en mode de chrétienté. Peut-on en dire autant des habitants du royaume de France, compte tenu de son étendue, de la variété des coutumes qui y étaient appliquées et des dialectes qui s’y parlaient, de l’existence en son sein d’autres « nations », ainsi la « nation » normande ou la « nation » picarde ? Je suis de ceux qui admettent une réponse positive. Sans remonter à la Chanson de Roland, ce puissant poème épique qui, vers 1100, chante mainte fois la « douce France » et vante la valeur des « Français », on peut admettre que vers 1300, surtout par rapport aux « étrangers », les sujets de Philippe IV le Bel se sentaient français.
Cette solidarité, certes imparfaite (des différences existaient en fonction de la position sociale, de la région d’origine, etc.), la guerre contre les Anglais la renforça car, quasiment dès le départ, elle ne fut pas vécue comme un contentieux dynastique ordinaire mais comme un conflit où les Anglais étaient les envahisseurs. Vers 1400, la chancellerie royale française les qualifie d’ « anciens ennemis et adversaires ». Je vois une preuve de la réalité de l’identité française dans le fait que Henri V, lors du traité de Troyes, se présenta comme respectueux de cette identité : sous son juste gouvernement, le royaume de France serait respecté dans son intégrité, ses usages, ses lois, sa dignité, il serait traité dans un stricte égalité par rapport au royaume d’Angleterre. Qui sait ? Cela aurait pu marcher. Mais cette belle perspective se heurta à la réalité : Henri V disparut trop tôt et surtout les Français, instinctivement, virent dans l’union des deux couronnes l’expression de la domination humiliante des léopards d’Angleterre sur les lis de France. Ceux-ci risquaient de disparaître. Jeanne d’Arc était dans ce sentiment. Et Charles VII l’utilisa à son profit. Vers 1450, l’anglophobie était largement répandue dans son royaume. La menace d’un débarquement anglais en Normandie ou ailleurs continuait à faire peur.
A cette époque, le roi instaura ce qu’on appelle la milice des francs-archers : une infanterie « nationale », chaque paroisse du royaume étant en principe chargée de fournir en cas de besoin un combattant porteur en guise de livrée de la croix droite blanche de France, opposée à la croix droite rouge d’Angleterre. On ne sait trop les motivations de ces milliers de gens de pied, leur valeur militaires se révéla douteuse, mais la démarche est en soi significative : Charles VII et son conseil l’estimaient à la fois praticable et utile. Ils pensaient que la base ne se déroberait pas, ce qui se vérifia. A la même époque, pour célébrer la libération de la Normandie, il fut prescrit que des cérémonies d’action de grâce auraient lieu dans toutes les cathédrales du royaume, chaque année le 12 août, jour de la recouvrance de Cherbourg en 1449. Telle fut la « fête du roi » dont on suit l’existence pendant au moins une génération.
Breizh-info.com : Quel fût le rapport de Charles VII à la Bretagne ?
Philippe Contamine : Permettez-moi d’abord une touche personnelle. Non seulement je connais assez bien la Bretagne (dans mon enfance et ma jeunesse, j’y ai fait de très longs séjours d’été, dans une île de la baie de Morlaix – avec chapelle et pardon – habitée à longueur d’année par des agriculteurs – choux fleurs et artichauts, plus quelques vaches- , par des marins-pêcheurs et par des goémoniers), mais encore je suis très attentif à l’histoire de la Bretagne médiévale, à l’ombre des excellents spécialistes du sujet que sont mes collègues et amis Jean Kerhervé (université de Bretagne occidentale) et Michael Jones (université de Nottingham).
Incontestablement, vers 1400, il y avait un État breton et il y avait un pays, une nation bretonne. Mais en même temps le duché de Bretagne était aussi un fief mouvant de la couronne de France.
Les ducs de Bretagne étaient censés prêter hommage à leur souverain à chaque changement de roi et de duc, même si cet hommage, prêté non sans réticence de leur part, ne les obligeait pas à grand-chose. Il s’agissait d’une sorte de reconnaissance formelle. Durant son long règne, Charles VII eut à faire avec cinq ducs : Jean V, François 1er, Pierre II, Arthur de Richemont et François II.
Normalement, ceux-ci auraient dû lui apporter leur soutien politique. En fait, entre autres parce qu’il accusait le roi d’avoir été le complice de son incarcération en 1420, Jean V se méfiait de lui. Toutefois, il y eut des temps de rapprochement : ainsi en 1425-1427, et en 1429-1430 (« toute la Bretagne est nôtre », disait Jeanne d’Arc, prenant ses désirs pour une réalité). Mais Jean V, soucieux de maintenir son duché hors du conflit franco-anglais, affectait aussi de ne pas rompre avec Henri VI, qui occupait la Normandie. Toutefois, il ne lui prêta jamais physiquement hommage et ne fut pas présent à son sacre qui eut lieu à Paris en 1431. Dans les armées de Charles VII, nombreux étaient les Bretons, y compris Arthur de Richemont, connétable de France de 1425 à sa mort en 1458.
En revanche, pratiquement pas de Bretons au sein de l’armée de Henri VI.
Le rapprochement France-Bretagne se dessina à partir des années 1440. Rappelons que la victoire de Formigny, en 1450, fut due en grande partie à Richemont. Mais ce dernier était soucieux de se maintenir à une bonne distance du roi : c’est ainsi qu’en 1458, il refusa d’être présent au lit de justice de Vendôme au cours duquel fut jugé et condamné pour trahison Jean duc d’Alençon.
En vain Charles VII l’avait-il convoqué en tant que pair de France. Au total, le roi se montra assez prudent et habile dans ses rapports avec la Bretagne : pas question de lui demander directement de l’armée ou des hommes, sinon des volontaires. Louis XI devait être beaucoup plus brutal, dans son désir de se débarrasser des deux « cornes raides » qui menaçaient son royaume : la Bourgogne et la Bretagne.
Breizh-info.com : Quel héritage Charles VII laissa-t-il ?
Philippe Contamine : Certes, les contemporains (ceux qui ont écrit à son sujet) ne sont pas unanimes dans leur admiration. Ils voient les limites de l’homme et de son action. Toutefois ils mettent en relief les deux temps du règne : le temps de l’adversité, le temps de la prospérité. Et, dans la perspective chrétienne qui était la leur, ils lui savent gré d’avoir subi les épreuves de ses premières années avec résignation, sans jamais céder à la tentation de la révolte contre Dieu. Et Dieu finit pas le récompenser de sa longue patience. Nombreux sont les textes qui, dans les années qui suivirent sa disparition, font son éloge. Y compris de la part d’auteurs bourguignons.
A partir de 1445-1450, il fut le « très victorieux roi de France ». Grâce à lui, le royaume, même encore affaibli économiquement et démographiquement, retrouva sa place éminente au sein des puissances européennes. Pour l’historien, Charles VII fut l’un des fondateurs de la monarchie d’Ancien Régime, à la mode française, avec ses bons mais aussi ses mauvais côtés (une lourde fiscalité, une coûteuse armée permanente, l’absence de contrepoids constitutionnel à la puissance royale). De ce point de vue, son règne s’inscrit dans la continuité.
Breizh-info.com : Quelles lectures récentes proposez-vous à nos lecteurs ?
Philippe Contamine : Je n’en citerai qu’une, qui concerne précisément le sujet : le superbe livre de Patrick Demouy, Le sacre du roi, histoire, symbolique, cérémonial, Strasbourg, La nuée bleue, 2016. Y figure bien sûr l’évocation des deux sacres concurrents, celui de Charles VII, dans la cathédrale de Reims, le dimanche 17 juillet 1429, celui de Henri VI, dans la cathédrale de Paris, le dimanche 16 décembre 1431.
L’un suscita l’enthousiasme des assistants, l’autre leur réserve. Combien est révélatrice la confrontation des réactions de ce qu’on peut appeler l’opinion !
Propos recueillis par Yann Vallerie
Crédit photo : DR
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