La France périphérique du géographe Christophe Guilluy (Flammarion, 2014) alimente, en sous-main, nombre de démarches électorales et, plus encore électoralistes. L’intérêt porté à cet essai est donc teinté d’opportunisme. Son écho médiatique tient autant à l’originalité de la démarche qu’à l’épuisement épistémologique de la géographie « classique ». Les deux articles que lui consacre Wikipédia, la géographie et l’histoire de la géographie, soulignent cette régression. Le premier est un bric-à-brac en chantier ; le second, un survol des plus rudimentaires.
Le péché originel de la discipline, en France, tient paradoxalement, à sa volonté de s’affranchir de l’histoire. Alors que cette dernière s’affiche et prétend s’affirmer comme un corpus autonome disposant de « sciences auxiliaires » juste bonnes à lui assurer une reconnaissance scientifique, Vidal de La Blache (1845-1918), très influencé par son contemporain, le géographe allemand Ratzel, a jeté les bases d’une géographie émancipée. Mais ses épigones ont trop souvent dogmatisé sa démarche.
Disparu à 97 ans (en 2006) Pierre George s’est voulu un « marxiste en géographie ». Prolifique à l’excès il a eu mainmise sur l’enseignement et la pratique universitaire de la discipline. Communiste et stalinien émérite il a fait de sa matière un apostolat. Auteur de « Que sais-je ? » consacrés à l’U.R.S.S., constamment réédités, George a largement falsifié la connaissance de cet État. De 1946 à 1978, Pierre George a distillé ses choix idéologiques à l’Institut d’études politiques de Paris…
Dans les années 70, un géographe franc-tireur, épinglé à l’extrême-gauche, Yves Lacoste, réintroduit, souverainement, la géopolitique. Il met à mal les contraintes académiques et n’hésite pas à se réclamer du géographe Karl Haushofer (1869-1946). Ayant proclamé dans un brûlot que la géographie « sert d’abord à faire la guerre » (1976), Lacoste s’ouvre à des courants de pensée de « l’autre bord ». Ainsi, avec la Nouvelle Droite. A 85 ans, Lacoste a donné une Géopolitique de la Nation France (P.U.F., 2016), très négligée par les médias bien-pensants. D’autant que son co-auteur Frédéric Encel est reconnu comme un analyste favorable à l’État d’Israël.
Où se situe Guilluy dans ce Landerneau des géographes ? Certainement, très à l’écart. A 53 ans, il a déjà un long parcours de chercheur indépendant. Sa démarche géographique emprunte beaucoup à la sociologie et à la démographie. Depuis 2000, il approfondit un champ d’observation et d’analyse qui lui est très spécifique. Combinant résultats d’études de terrain, déconstruisant les référencements teintés d’idéologisme, il dérange forcément bon nombre de ses confrères. Il ne peut empêcher les politiques qui veulent renouer avec le « pays réel » cher à Charles Maurras de puiser dans ses analyses avec le risque d’en faire un libre-marché des nouvelles idées reçues. Géographe des flux mais aussi des enracinements et des persistances, Guilly observe le moment, l’instant pour mieux l’insérer dans le temps long. Une démarche étroite, difficile, qui supporte mal la vulgarisation mal conduite ou détournée.
D’une génération n’ayant reçu qu’une formation géographique désuète, je n’irai pas ferrailler avec Guilluy. Mais en m’inspirant un peu de sa réflexion et en retournant au bon vieux Vidal de La Blache, je me propose de donner deux ébauches survolant deux « coins » de cette France périphérique, une fraction de la marche limousine et le Pays Bigouden.
(à suivre)
Jean Heurtin
Crédit photo : DR
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2 réponses à “Géographie. Retour sur la France périphérique de Christophe Guilluy”
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Un bon exemple de peripherisme :https://youtu.be/UTgLmb_jWWk