La maladie de Lyme progresse à grands pas, sans qu’il s’agisse pour autant, selon le ministère de la Santé, d’une épidémie au sens strict. Mais la polémique grossit.
Le ministère vient de publier les grandes lignes d’un Plan national de lutte contre la maladie de Lyme et les maladies transmissibles par les tiques. Très tard, et insuffisant, assure le Pr Christian Perronne. Il est consultant pour l’OMS, et chef du service d’infectiologie à l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches (Hauts-de-Seine). Dans un livre intitulé La Vérité sur la Maladie de Lyme (Odile Jacob), il dénonce l’impéritie des autorités sanitaires françaises. Pour le ministère, il y aurait quelque 33 000 cas en France. Le Pr Perronne, d’accord avec nombre de ses collègues européens, affirme que ce chiffre est largement sous-estimé, reposant sur des tests vieux de quarante ans et techniquement dépassés. Il assure : « On peut estimer à 1 million le nombre de nouveaux cas annuels en Europe… »
Le Pr Perronne intervenait en conférence publique vendredi dernier, 31 mars, à Strasbourg. La polémique y fut d’autant plus intense que l’Alsace est la région la plus touchée en France, et que Strasbourg héberge depuis 2012 le Centre national de référence pour la maladie de Lyme, institution dans laquelle certains chercheurs qualifient le Pr Perronne d’obscurantiste. « Contre tout évidence scientifique, assure ce dernier, ils ne veulent pas changer leurs recommandations. C’est normal qu’ils m’accusent de dire n’importe quoi… »
La dispute reflète les incertitudes, sinon le flou, qui entourent encore la détermination des causes de la maladie de Lyme. La principale semble bien être la multiplication des tiques. Mais à quoi est-elle due, cette multiplication ? A plusieurs facteurs coordonnés : à l’entretien défaillant des sous-bois en zones humides, et à la prolifération de porteurs de tiques tels que les animaux sauvages protégés (chevreuils, sangliers), et les animaux domestiques ou d’élevage ; à quoi s’ajoute la diminution des populations de musaraignes, taupes, lézards, orvets, guêpes et araignées qui sont des prédateurs naturels de la tique ; sans compter la quasi disparition de nombreux champignons biologiquement insecticides, régulateurs d’acariens tels que les tiques, disparition due à la généralisation galopante de produits antifongiques (dits phytosanitaires) en agriculture. Encore cela ne suffit-il pas à décrire tous les facteurs aggravants : des pics d’infection sont en effet constatés dans les périodes printanières chaudes, ou les étés, mais plutôt au-dessous de 1 200 m, ce qui exclut pratiquement les zones de montagne, et les infections hivernales.
D’un point de vue pratique, la première prudence, en cas de piqûre de tique, est l’observation de la morsure de ce petit acarien tenace qu’il faut savoir retirer de la peau avec un tire-tique ou avec une pince à épiler. Si une zone rouge extensive (érythème migrant) est constatée dans les jours qui suivent, il est indispensable de recourir à un traitement antibiotique. Au-delà de trente jours, celui-ci n’est guère efficient, et le cortège de symptômes s’installe : céphalées, fatigues, fièvres, frissons, douleurs musculaires et articulaires.
Avec le temps, les complications chroniques deviennent permanentes, doublées d’éventuels symptômes dégénératifs, neurologiques ou cardiaques. Un tel stade tertiaire peut n’apparaître que plusieurs mois après la morsure de tique. C’est que la maladie ne consiste pas en une réaction du corps à la présence de l’acarien, mais en une réaction à la prolifération d’une bactérie à flagelles, une borrelia, portée par la salive de tique et inoculée par la morsure. Les globules blancs qui ont, dans le flux sanguin, une vitesse de déplacement moindre que celle des borrelia, ne les repèrent pas toujours et ne les digèrent que rarement ; celles-ci disposent par ailleurs d’un ADN extrêmement riche, favorisant une aptitude exceptionnelle à l’antibio-résistance ; elles sont en outre capables de fixations migratoires, en colonies, sur différents organes, avec une très grande variété dans la symptomatologie présentée par les patients. Les réactions des différents organes ressemblent alors, petit à petit, à des syndromes d’auto-immunité très pénibles.
Le tableau clinique est parfois plus chargé encore, du fait que la salive de la tique peut aussi être porteuse d’un virus dit TBE, qui provoque des encéphalites. Les patients sont alors d’autant décontenancés que le milieu médical, quand il n’est pas ignorant des symptômes spécifiques de la maladie de Lyme ou de ceux de l’encéphalite à tiques, est partagé entre deux écoles, celle qui admet des co-infections, et celle qui les refuse (voir le site de l’association francelyme.fr). D’où de nombreuses errances de patients, ballottés de spécialiste surchargé en interniste ignorant les maladies à tiques. Ce genre de déconvenue a été raconté par une pilote d’avion, Judith Albertat, qui a attendu dix ans avant de faire admettre sa maladie, et de trouver des substituts de traitement efficaces (Albertat, Maladie de Lyme, mon parcours pour retrouver la santé, Éditions Thierry Souccar).
Il est vrai que le délai d’attente de rendez-vous auprès de rares spécialistes comme le Pr Perronne peut atteindre les douze mois. Le nouveau Plan national du ministère de la Santé prévoit l’organisation rapide de tables rondes entre experts de différentes écoles, ce qui devrait calmer les polémiques dans le milieu médical et orienter vers la mise à disposition de diagnostics plus fiables. Ce serait un premier pas. D’après le Pr Perronne, nombre de patients placés en traitement psychiatrique souffrent d’abord d’une borréliose de Lyme. S’il a raison, il est effectivement urgent de procéder à quelques révisions drastiques.
Mais les remises en question ne concerneront pas seulement des diagnostics biochimiques déficients ou des formations médicales incomplètes. Elles viseront aussi, et ce sera sans doute le plus difficile à réguler, les abus de produits antifongiques dans l’agriculture. Si les champignons naturellement insecticides – et donc anti-acariens – disparaissent des sous-bois et des prairies, l’explosion démographique des tiques est bien à craindre. Et les dernières enquêtes réalisées en Alsace et en Franche-Comté ont montré que plus du tiers des contaminations de borréliose à tique venaient non de promenades en forêt, mais de jardins péri-urbains et de prairies agricoles. La très ancienne ‘bouillie bordelaise’ (sulfate de cuivre) est largement dépassée par les fongicides tout azimut issus d’une industrie chimique qui, par lobbies bruxellois interposés, règne sur les agricultures européennes. Une industrie située très loin du champ d’action des autorités sanitaires. Et nourrie de capitaux placés très au-dessus des maladies à tiques…
J.F. Gautier
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