30/03/2017 – 07h15 Bastia (Breizh-Info.com) – Jean-Guy Talamoni, président de l’Assemblée de Corse et militant nationaliste, ne votera pas aux élections présidentielles françaises. Et il assume entièrement son choix, politique. A 57 Ans, et un long passé militant derrière lui, il est l’un des leaders incontestable du mouvement nationaliste corse, l’un de ceux qui a permis à l’ Île de Beauté d’obtenir, de longues luttes, toujours plus d’autonomie et de droits pour le peuple corse.
Mais la lutte est loin d’être terminée, et les récentes tensions dans l’île – que ce soit au niveau de la répression visant les jeunes nationalistes ou au niveau des tensions communautaires apparues depuis quelques mois à des occasions ponctuelles (Sisco, Jardins de l’Empereur) – le démontrent.
Par ailleurs, janvier 2018 sera une date importante pour la Corse, qui deviendra une collectivité unique.
Pour toutes ces raisons, et pour « prendre le pouls » de la Corse, nous avons interrogé Jean-Guy Talamoni afin que nos lecteurs – loin des interprétations souvent très parisiennes qui en sont faites – puissent découvrir ou mieux connaitre cette personnalité politique et la situation sur l’île, sur laquelle il faut toutefois se rendre pour réellement la comprendre et comprendre ce peuple si particulier.
Breizh-info.com : M. Talamoni, tout d’abord, pourriez-vous revenir sur votre parcours, et sur les moments fondamentaux qui vous ont permis, aujourd’hui, d’être président de l’Assemblée de Corse ?
Jean-Guy Talamoni : Mon parcours est d’une banalité extrême : j’ai toujours été dans le même camp, le courant de la lutte de libération nationale, militant syndical lycéen en 1976, membre de l’exécutif de la Cuncolta en 1988, élu à l’Assemblée de Corse depuis 1992, j’ai traversé des périodes heureuses et d’autres plus difficiles.
Mon parcours personnel n’a que peu d’importance si ce n’est qu’il reflète celui du mouvement auquel j’appartiens.
L’accès aux responsabilités en décembre 2015 a constitué une étape essentielle pour le nationalisme moderne. Nous avons dit lors de notre investiture qu’il s’agissait du premier gouvernement corse depuis celui de Paoli au XVIII° siècle.
« La suppression des départements, un incontestable progrès démocratique »
Breizh-info.com : D’ici quelques mois, au premier janvier 2018, nous parlerons pour votre pays de « collectivité de Corse ». Concrètement, qu’est ce qui va changer ? Pour les Bretons qui vous lisent, quelles sont les compétences dont la Corse disposera et dont nous ne disposons pas aujourd’hui ?
Jean-Guy Talamoni : La création de la Collectivité de Corse au 1er janvier 2018 maintient, pour l’instant, le même niveau de compétences que celui que confère à la Corse le statut de 2002. En revanche, cette réforme ouvre la voie à un gouvernement plus efficient des affaires de la Corse. La création de la nouvelle collectivité va s’accompagner de celle de la Chambre des territoires. Celle-ci aura de lourdes responsabilités car elle devra coordonner les actions de la Collectivité de Corse, des intercommunalités et des communes. Coordination qui a jusqu’ici fait cruellement défaut.
La mise en place de la Collectivité unique représente une avancée institutionnelle majeure pour laquelle notre majorité territoriale milite depuis des décennies. Ce changement permettra de travailler dans de meilleures conditions, de rationaliser la décision politique et d’instaurer la transparence en simplifiant l’administration : autant de choses difficiles à réaliser au sein du système actuel.
Pour la sensibilité politique à laquelle j’appartiens, la suppression des conseils départementaux, nids traditionnels du clientélisme, est un incontestable progrès démocratique.
« Le statut de résident par exemple devra permettre aux Corses de ne pas être dépossédés de leur terre et de leurs maisons. »
Breizh-info.com : Vous avez récemment interpellé François Hollande, de passage sur votre île, en réclamant notamment des mesures concrètes et surtout la validation de mesures votées par l’assemblée de Corse. (coofficialité de la langue corse, statut de résident, statut fiscal et social, amnistie pour les prisonniers politiques…).
Concrètement, quelles sont aujourd’hui les réponses de l’Etat Français par rapport à vos demandes ? Du point de vue du droit, comment vous, l’avocat, jugez ces revendications applicables ? Une modification constitutionnelle globale serait-elle nécessaire en France ?
Jean-Guy Talamoni : Au mois de février, deux dossiers majeurs pour la Corse ont trouvé un aboutissement positif : celui de la Collectivité unique et celui de la fiscalité du patrimoine. Ils sont très représentatifs du travail réalisé par notre majorité. Ce qui semblait impossible – pour certains, pas pour tous – est devenu possible.
Bien que l’Etat n’ait jamais répondu à nos délibérations les plus importantes, nous continuerons de réclamer le respect des votes démocratiques exprimés par notre assemblée, y compris devant les candidats à l’élection présidentielle française qui viendront en Corse pour leur campagne.
À tous, nous tiendrons le même discours : inscription de la Corse dans la Constitution, statut de résident, coofficialité de la langue corse, cadre normatif spécifique pour l’éducation en Corse, statut fiscal et social, amnistie des prisonniers et des recherchés pour l’apaisement partagé de la situation politique. Nous remettrons sans cesse ces dossiers au centre des discussions.
Déterminés mais sereins, car depuis notre victoire de décembre 2015 et compte tenu du soutien que nous recevons des Corses, nous savons que désormais le temps travaille pour nous. Pour que ces dossiers aboutissent, une révision constitutionnelle est indispensable. Il faut pour cela une volonté politique du gouvernement et qu’il dispose de la majorité lui permettant de le faire. Majorité que la mandature de François Hollande n’aurait pas permis même si la volonté politique avait existé.
Le statut de résident par exemple devra permettre aux Corses de ne pas être dépossédés de leur terre et de leurs maisons. D’autres régions européennes se protègent à travers un statut de même nature, ce qui prouve bien que le seul obstacle juridique vient de Paris et de la Constitution française. A ce sujet, il faut rappeler que la révision de la Constitution pour traiter différentes questions se posant en Corse (coofficialité de la langue, foncier, fiscalité) a été demandée par une large majorité de l’Assemblée de Corse, bien au-delà de la famille nationaliste.
Breizh-info.com : Concernant les prisonniers politiques corses, quel est aujourd’hui le bilan ? Combien sont actuellement incarcérés en Corse ? Dans d’autres régions ?
Jean-Guy Talamoni : Aujourd’hui, la Corse compte plus d’une vingtaine de prisonniers politiques dont 6 ont été condamnés et se trouvent à la prison de Borgo. Il y a aussi des militants recherchés. Les autres se trouvent encore dans les prisons françaises ou sont assignés à résidence dans l’attente de leur procès.
Là encore, on se heurte aux obstacles juridiques de Paris. Alors que notre Assemblée, que le conseil départemental de Haute-Corse à l’unanimité et que plus de la moitié des communes de Corse se sont prononcées en faveur d’une loi d’amnistie, lors de sa récente venue, François Hollande nous a opposé à ce sujet l’application stricte du droit français. Nous maintenons notre position : dans le cadre de l’élaboration d’une solution politique pour la Corse, trois ans après la sortie de la clandestinité du FLNC et alors qu’aucun événement n’est venu contredire cette déclaration, la démarche d’apaisement entre la Corse et l’État ne pourra se traduire en définitive que par la loi d’amnistie.
« La jeunesse corse sait se mobiliser pour défendre ses idées »
Breizh-info.com : La jeunesse nationaliste corse est descendue plusieurs fois dans la rue récemment pour défendre les prisonniers mais aussi pour revendiquer de nouvelles réformes. Des incidents ont eu lieu. Des interpellations ont eu lieu à Corte. Par ailleurs, les supporteurs de Bastia sont récemment ciblés par les autorités. La situation est-elle sous tension aujourd’hui ?
Jean-Guy Talamoni : La jeunesse corse, ce n’est pas nouveau, sait se mobiliser pour défendre ses idées. Pour notre part, nous la considérons comme une véritable ressource pour notre pays. Ainsi, afin de lui donner toute sa place dans la vie politique, j’ai mis en place une Assemblée de Corse des jeunes qui pourra s’exprimer sur tous les sujets qui concernent l’île et qui pourra agir avec les élus de la Corse.
Cela représente l’une de nos contributions à l’apaisement. Volonté d’apaisement que nous réaffirmons sans cesse, tant à l’occasion des événements qui ont suivi le match de football Reims-Bastia que ceux qui étaient liés au soutien de la jeunesse à Nicolas Battini et Stéphane Tomasini, deux jeunes étudiants actuellement incarcérés.
Pour autant, au moment où les institutions corses tentent, au prix de nombreuses difficultés et sans le concours de Paris, de construire un avenir de paix et de justice, les autorités judiciaires françaises estiment n’avoir mieux à faire que de s’acharner sur la jeunesse corse.
L’affaire Reims-Bastia, par exemple, a provoqué un fort sentiment d’injustice : les jeunes Corses concernés, et notamment Maxime Beux qui a perdu un œil à cause d’un tir de flash ball, sont passés du statut de victimes à celui d’auteurs d’infractions, tandis que les policiers qui apparaissaient, dès l’abord, comme leurs agresseurs ne semblent nullement inquiétés.
Cette attitude irresponsable révèle l’intention évidente de déstabiliser la situation politique en Corse. Pour notre part, nous continuerons d’œuvrer avec détermination afin d’écrire une nouvelle page de notre histoire.
Breizh-info.com : Comme tout le monde, nos lecteurs ont suivi les événements de Siscu, et d’Ajaccio, qui ont opposé des membres de la communauté Corse à des membres de communautés extra-européennes résidant en Corse et pratiquant l’Islam (pour Siscu). La Corse est-elle confrontée aux mêmes maux (immigration, islamisation) qu’ailleurs en Europe aujourd’hui ? Il semblerait pourtant que la Corse soit une des rares régions où les autochtones ne se laissent pas faire, et sont mêmes soutenus par leurs dirigeants. Comment expliquez-vous cela ?
Jean-Guy Talamoni : Avant toute chose, et contrairement aux clichés véhiculés en France, les Corses ne sont pas racistes. Les statistiques à ce sujet le prouvent.
Nous le disons régulièrement, la Corse a toujours fabriqué des Corses. Les idées de l’extrême droite sont aux antipodes de la pensée politique corse fondée sur la démocratie, l’ouverture, la tolérance religieuse, la participation de tous à un destin commun, autour du peuple corse, indépendamment des origines et confession de chacun.
À cet égard, la Corse fut un modèle pour l’Europe dès le XVIIIe siècle. Elle a vocation à rester, plus que jamais, fidèle à cette tradition politique, en l’adaptant aux enjeux contemporains. C’est tout le sens des travaux que nous menons actuellement sur la gestion de la diversité culturelle.
Concernant les affaires que vous citez, celle dite des jardins de l’Empereur est symptomatique de l’importation d’idéologies et de comportements complètement étrangers à la tradition politique corse.
La bagarre de Siscu, elle, est un simple problème de délinquance. Elle est le résultat de l’attitude d’un groupe qui a voulu privatiser la plage et s’en est pris à des adolescents. Face à cela, la population a réagi pour défendre les jeunes.
Pour notre part, notre rôle d’élu était, nous semble-t-il, d’appeler solennellement au calme et au refus de toute réaction inappropriée. Il était de notre devoir en effet d’éviter l’escalade et toute logique de bouc émissaire.
La Corse, comme le reste de l’Europe, est exposée et la présence sur le territoire de l’île de foyers d’influence salafiste est avérée.
C’est la raison pour laquelle, au mois de juillet dernier, l’Assemblée de Corse a voté sur notre proposition une résolution demandant notamment la fermeture immédiate des lieux de culte ou de réunion constituant des foyers de radicalisation avérés ou dans lesquels sont tenus des discours de haine créant un climat favorable à la violence.
Je le répète, cela relève de notre responsabilité d’élus.
« La suppression des régions constituerait une régression terrible et un retour au jacobinisme le plus brutal »
Breizh-info.com : Quittons la Corse un instant. Quel regard portez-vous sur le statut des régions, en France (comme la Bretagne, le Pays Basque, la Flandre…). Comment expliquez-vous la faiblesse des mouvements régionalistes/nationalistes, notamment ici en Bretagne, si l’on compare à la Corse. L’insularité est-elle l’explication majeure ? Et ailleurs en Europe, de la Catalogne à l’Écosse, présagez-vous que le XXIème siècle sera celui du retour des petites nations d’Europe ?
Jean-Guy Talamoni : Chaque territoire a une identité qui lui est propre, laquelle est le fruit de l’histoire et de la géographie notamment. En Corse, l’insularité contribue sans doute à expliquer la vigueur du mouvement nationaliste, évidemment parce que nous ne sommes rattachés physiquement à aucun autre territoire. Ensuite, parce que la Corse, en plus d’être une île, doit faire face à des contraintes naturelles et démographiques que la France n’a jamais cherché à traiter.
Par ailleurs, nous avons perdu notre indépendance il y a moins de 250 ans ! C’est une période courte dans l’histoire d’un peuple. Enfin, notre identité et notre peuple ont toujours été niés et dénigrés par la France. Cela renforce notre volonté de maîtriser notre destin. Les Corses l’ont d’ailleurs exprimé de manière claire lors des élections territoriales de décembre 2015.
Naturellement, la situation actuelle de la Corse s’inscrit dans un mouvement qui touche les autres pays d’Europe que vous citez.
Pour ces « petites nations » l’Europe doit être une chance. Je fais partie de ceux qui ne peuvent se résoudre à l’abandon progressif de l’idée européenne auquel on assiste notamment depuis le Brexit.
Construire une Europe des peuples, une Europe sociale, une Europe de la culture, une Europe à la direction de laquelle le Sud et le Nord participeraient à parité. Tels sont à mon sens les défis que nous devrons relever dans les mois et années à venir.
Comme le disait hier Ken Loach de passage à Bastia, ce n’est pas parce que l’Europe actuelle est loin de répondre à notre attente qu’il faut renoncer à cette grande aventure qu’est la construction européenne.
Breizh-info.com : Que répondez-vous à ceux qui expliquent que les revendications régionales sont facteurs de division de la France, de l’Europe ? Marine Le Pen souhaite carrément « supprimer les régions administratives ». Quelles seraient les conséquences en Corse ?
Jean-Guy Talamoni : La suppression des régions constituerait une régression terrible et un retour au jacobinisme le plus brutal. Quant à la Corse, la suppression de notre collectivité ne serait pas acceptée par la société insulaire. Une telle tentative serait évidemment vouée à l’échec.
Breizh-info.com : Quel regard portez-vous sur l’élection présidentielle à venir ? Pour les législatives, les nationalistes corses seront ils engagés pour la députation ?
Jean-Guy Talamoni : Pour ma part, en tant qu’indépendantiste, je ne suis pas concerné par l’élection présidentielle et je n’ai jamais voté à cette occasion.
En tant que président de l’Assemblée de Corse, comme je le disais plus haut, je continuerai à porter auprès des futurs responsables français toutes nos délibérations, comme je l’ai fait sous la mandature de François Hollande.
Nous savons qu’une partie de la bataille se joue à Paris. C’est pourquoi, nous avons décidé de présenter des candidats de la coalition « Pè a Corsica », composée d’indépendantistes et d’autonomistes, aux élections législatives. La Corse doit pouvoir s’exprimer au Palais Bourbon autrement que par la voix de députés jacobins dont l’avenir de la Corse n’est pas la préoccupation première.
Breizh-info.com : M. Talamoni, vous êtes un amateur de lecture. Quels sont les derniers ouvrages que vous avez lus et que vous recommanderiez ? Et sur le régionalisme ou les luttes de libération nationale, y-a-t-il pour vous des livres fondamentaux ?
Jean-Guy Talamoni : Beaucoup de livres sont fondamentaux et ils constituent une très grande bibliothèque. Je me méfie de l’homme d’un seul livre ! En ce qui me concerne, plus prosaïquement, je suis actuellement, en train de lire les différents volumes concourant pour le prix Edgar Faure du livre politique, car j’ai été sollicité pour faire partie du jury, ce que j’ai accepté avec plaisir.
Sinon, j’ai fini hier l’intéressant ouvrage du professeur Dominique Rousseau « Radicaliser la démocratie ».
La notion de « démocratie continue » qu’il y développe répond il me semble à des problématiques qui se posent dans de nombreux pays. Il est en effet urgent de traiter la fracture existant entre les peuples et leurs dirigeants politiques. En ce qui nous concerne, modestement car nous exerçons les responsabilités dans un petit pays, la réduction de cette fracture constitue une orientation essentielle de notre majorité.
Je crois sincèrement que depuis un an et demi nous avons réussi à établir un contrat de confiance avec une forte majorité de Corses.
Propos recueillis par Yann Vallerie
Relire ci-dessous l’interview de Paul Salort, président de la Ghjuventù Indipendentista :
Corse. Paul Salort, président de la Ghjuventù Indipendentista, jugé ce 15 mars [Interview]
Crédit Photos : DR
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5 réponses à “Jean-Guy Talamoni : « En Corse, l’insularité contribue sans doute à expliquer la vigueur du mouvement nationaliste » [Interview]”
La bagarre de Siscu, un simple problème de délinquance ?
En Corse, le nationalisme est bien vu, dommage qu’ il n’ en soit pas de même sur le continent !!
Le ci-devant Padrig M. me disait qu’à la prison, il ne pouvait supporter les Corses car ces derniers sont des Ritals qui ne pensent qu’à leur gueule. Ils s’en foutent des Bretons, en vrai.
Montauzier, comme son nom l’indique, n’est pas breton. Non seulement c’est un étranger, mais en plus c’est un coucou. Adsav est un parti de coucous français, depuis le début ils acceptent les coucous étrangers dans leurs rangs.
Chaque nation à ses particularités, ses us et coutumes , son tempérament. Sur le fond du sujet des relations entre Corse et France M. Talamoni dit des choses très intéressantes pour les Bretons.