C’est «un petit film», du « Bonny and Clyde à Hambourg », une «love story» avec une «héroïne à la Hitchcock», tout cela dans « Télérama » sous la plume d’une critique dont, par charité chrétienne (sic) je tairai le nom.
Car « Banklady » est tout le contraire de cela. Un téléfilm allemand de 112 min, tourné en 2012. Diffusé deux fois sur Arte, la dernière fois, ce jeudi 24 mars 2017.
Il part d’une histoire vraie. Gisela Werler, fille d’ouvriers dans le quartier d’Altona à Hambourg a neuf ans quand la ville est rasée par les bombes anglo-américaines. A 16 ans, elle travaille comme ouvrière dans une fabrique de papier peint. Une galère, la misère qu’elle rompt en rencontrant un petit braqueur. A eux deux, ils commettent, de 1965 à 1967, dix- neuf attaques de banque, sans tuer personne. La presse surnomme la femme « Banklady », toutes les polices de Hambourg sont à leurs trousses. Ils tombent en 1968, Gisela écope de 9 ans de prison, Hermann Wittdorf de 13 ans. Ils se marient en prison, en sortent et se font oublier. Gisela est morte en 2003, Wittdorf en 2009.
Le film tourné par Christian Alvart est fidèle à l’histoire. Il est étonnant de férocité. Alvart brosse en sous-main le portrait d’une Allemagne de l’Ouest déjà repue, profitant à plein de son « miracle économique ». Les usines sont toujours aussi sordides, la classe ouvrière la moins qualifiée exploitée, les vieux (survivants de la guerre) réduits à pleurer devant un vrai cervelas. Mais, à l’opposé, la classe moyenne des banques, des bureaux, des nouvelles industries parade en prêt-à-porter de qualité, pour les hommes strict, gris, façon Derrick. Les femmes, subalternes, soignées, soumises…
Gisela a un soupirant, minable complice qui ne braque que pour l’installer dans un pavillon, avec la télé, tout le confort, la machine à laver… « sa femme » à la maison. Elle, elle rêve de Capri. Mais Wittdorf alias « Peter » a une double vie, marié, avec un beau-père qui ne lui cédera sa compagnie de taxis que lorsqu’il l’aura payée intégralement. Alors, il braque. Il ne veut pas de Gisela comme maîtresse… juste bonne pour monter les coups. La suite, vous irez la voir sur Arte, en « replay ». Oubliez la fin, trop convenue.
Que d’actualité dans cette mise en boîte d’une Allemagne grassouillette, pleurnicharde, impuissante, d’un conformisme affligeant, vendue corps et âme à son protecteur, les Etats-Unis.
Dernier mot : l’actrice qui incarne Gisela Werler (jolie jeune femme en vrai), Nadishda Brennicke. Son portfolio la montre belle femme mais plutôt banale, le genre « glamour ». Ici, en « Banklady », les cheveux courts à la Jeanne d’Arc, ou perruquée, habillée façon Cacharel, elle est tout simplement sublime. La grâce et la force, jusqu’au bout. Encore une femme libre, hors normes.
Jean Heurtin
Crédit photo : DR
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