Éclusages limités sur le canal de Nantes à Brest : le manque de précipitations n’est pas seul en cause ?

28/03/2017 – 08h15 Carhaix (Breizh-Info.com) – Le manque d’eau cette année – à cause de précipitations nettement plus faibles que la normale dans le centre et l’ouest de la France en général, et de 50 à 60% de moins que la normale en Loire-Atlantique en particulier – a amené le département de Loire-Atlantique, qui gère le canal, à édicter des mesures exceptionnelles de navigation.

Le libre-service des écluses sera suspendu, et les navires devront se regrouper à deux ou trois pour franchir les écluses collectivement, afin d’économiser l’eau (400 m3 par éclusage), dans les horaires d’ouverture des 16 écluses (9h-12h30, 14h-19h). Ces règles prennent effet le 1er avril.

Le département met en cause le manque d’eau qui a empêché le remplissage du lac de Vioreau, qui alimente le Canal. Michel, qui pêche sur le lac de Vioreau et est natif de Joué sur Erdre, met en cause plutôt le « défaut d’entretien de la rigole d’alimentation ». Créée entre 1833 et 1836 pour maintenir l’alimentation en eau du Canal, elle relie sur 21,3 km le lac de Vioreau au Canal, où elle arrive après l’écluse du Pas d’Héric. C’est un petit canal profond d’un mètre, avec un tunnel de 600 mètres et quatre ponts-canaux dits localement arcades (le Mesnil, le Gué de la Roche, le Pré Bourcier, la Nochère) bien moins connus que celui de Briare, mais qui méritent aussi la visite l’été.

L’étang du Vioreau (grand), d’une capacité maximale de 7 451 000 m3 d’eau est complété par celui du petit Vioreau (504.000 m3 de capacité), mais aussi par l’étang de la Provostière, de 1.311.000 m3 de capacité, attaché originellement à fournir l’énergie hydraulique des forges voisines ; il est relié à Vioreau par la rigole des Ajaux, longue de 4,5 km. A cela s’ajoute l’étang de Bout de Bois (256.000 m3) qui alimente le bief de partage, et une pompe d’alimentation sur la Vilaine près de Fégréac.

Le tourisme fluvial et les fuites dans la rigole sur le banc des accusés

Pour Michel, c’est clair, « le canal est vide parce que la rigole d’alimentation n’est pas entretenue. Oui, il manque de la pluie, mais pas seulement. Les ragondins n’ont cessé de faire des trous dans les bords de la rigole en argile, résultat des courses toute l’eau s’en va. Les champs en contrebas n’ont jamais été aussi verts ! ». Les années où il pleut bien, ça va – le canal, qui est constitué du cours canalisé de plusieurs rivières reliées entre elles par des sections creusées, est aussi le réceptacle de nombreux ruisseaux, qui descendent notamment de la zone humide de Notre-Dame des Landes – une éponge naturelle située à la limite des bassins versants de la Loire et de la Vilaine. Mais « quand il ne pleut pas assez, si les rigoles d’alimentation ne peuvent pas faire leur travail, ça ne va plus », car elles tirent aussi sur le réservoir du Vioreau.

S’ajoute à son avis autre chose : l’exploitation du Canal pour le tourisme fluvial au détriment des ressources en eau locales. « Pendant des années on a tiré à fond sur les ressources en eau pour le tourisme fluvial. C’est un non-sens. Notamment pour les communes à côté, qui n’en profitent guère – les touristes en bateau ne font pas leurs courses, ne vont pas au restau et ne dorment pas dans les hôtels [contrairement aux cyclo-touristes de plus en plus nombreux, ou aux randonneurs] Et puis tant qu’il y avait trois ou quatre bateaux par jour, ça allait. Mais c’est jusqu’à 40 voire 50 les belles journées d’été. Soit 400 mètres cubes par éclusage, faites le calcul ». Il estime qu’on « aurait du regrouper les éclusages depuis très longtemps, d’autant qu’il y a presque partout des pontons d’attente de chaque côté des écluses ».

Michel est surtout inquiet pour ses poissons. « C’est très probable que le Canal soit à l’arrêt cet été, surtout s’il y a une sécheresse. Mais tout le travail qu’on a fait pour les poissons est en péril aussi, le grand et le petit Vioreau étant bien moins remplis que d’ordinaire ». Les agriculteurs installés le long du Canal risquent aussi de ressentir durement la sécheresse, surtout pour ceux qui ont quand même planté du maïs ou d’autres cultures exigeantes en eau.

Florent Segalen, technicien milieux aquatiques à la CCEG (communauté de communes Erdre et Gesvres) confirme que l’entretien des réservoirs et des rigoles d’alimentation du Canal est effectué par le conseil général de Loire-Atlantique. « Il y a un autre problème. Le ruisseau du Bayou qui sort du lac de Vioreau n’est presque plus alimenté par celui-ci ; l’intérêt du département étant d’avoir de l’eau dans le canal et non dans la rivière naturelle, l’ouvrage qui alimente le ruisseau n’est pas entretenu ». Il confirme aussi de son côté que « la rigole présente quelques fuites », même s’il ne va pas à Vioreau qui est sur le territoire de la communauté de communes voisine, la COMPA, qui couvre le pays d’Ancenis.

La rigole ne consomme pas d’eau du grand Vioreau entre octobre et mars

Marc Huchon, responsable du Canal, de la rigole et des étangs – en ce qui concerne la partie technique et l’entretien sur le terrain – pour le conseil général de Loire-Atlantique confirme qu’il y a « bien des fuites sur la rigole, mais on les bouche au fur et à mesure ». Il dément que la rigole consomme de l’eau en hiver. « De fin octobre à fin mars, sur la période de chômage du Canal, la rigole est fermée et ne consomme pas d’eau. Le trop-plein du lac de Vioreau est déversé dans le ruisseau du Bayou ».

Quant à la rigole, si les champs sont verts en-dessous, c’est normal : « on ouvre les bondes de l’ouvrage pour le vider, boucher les fuites et l’entretenir ». De plus, « la rigole capte les eaux de ruissellement des riverains, si on la laissait pleine, ils seraient inondés ». Quant au ruisseau du Bayou – que la CCEG aimerait bien voir plein en été, « si on mettait de l’eau dedans l’été, ça serait ça en moins pour le Canal ; lors de l’exploitation historique du grand Vioreau, jamais on n’alimentait ce ruisseau lors de la période de fonctionnement du Canal ».

Il confirme qu’il « y a des ragondins dans la rigole et le Canal. On débloque chaque année 35.000 € pour lutter contre eux par piégeage. Normalement, d’après le protocole qui encadre la destruction de cette espèce, une année, on traitait le canal au complet, une année, la moitié du canal et la rigole. Depuis trois ans, on fait et le Canal et la rigole », explique Marc Huchon, qui conclut : « aujourd’hui, le grand bief est plein. On va tout faire pour que la navigation cet été se passe bien ».

Louis-Benoît Greffe

Crédit Photos : wikipedia (cc)
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