21/03/2017 – 08H00 Caracas (Breizh-info.com) ‑ Le 5 mars 2017, le Vénézuéla rendait hommage à Hugo Chavez, l’ancien président et leader de la révolution bolivarienne décédé il y a quatre ans. En Europe, Hugo Chavez était surtout connu pour son combat mené en tant que « non aligné » et son refus de faire de son pays un vassal des Etats-Unis. Son positionnement idéologique anti-impérialisme américain l’a par ailleurs amené à soutenir lors de crises internationales le président iranien Ahmadinejad, le colonel libyen Kadhafi ou le président syrien Bachar Al-Assad.
En France, et concernant les grandes réformes et ses conséquences qu’il a mené à l’intérieur du pays, il est très difficile de trouver aujourd’hui des textes et des travaux fournis à ce sujet. Difficile, mais pas impossible, puisqu’un journaliste, Vincent Lapierre a entrepris au sujet d’Hugo Chavez un travail colossal de réinformation.
Ainsi ce dernier a-t-il sorti un coffret composé de La Patrie au coeur, une biographie complète d’Hugo Chavez, mais également de l’Anthologie de ses discours, traduits en Français, et enfin le film Hugo Chávez – Itinéraire d’un révolutionnaire, réalisé avec Stéphane Condillac en partie à Caracas, et qui viendra ajouter le son et l’image à cette immense fresque éditée par Kontre Kulture .
Contenu du coffret :
Hugo Chávez – La patrie au cœur, une biographie de Vincent Lapierre
Hugo Chávez – Anthologie des discours, traduits par Vincent Lapierre
Hugo Chávez – Itinéraire d’un révolutionnaire, un film de Vincent Lapierre et Stéphane Condillac
Le coffret complet peut être acquis ici pour la somme de 40 euros.
Au delà de son étude sur Hugo Chavez – l’objet central de l’entretien ci-dessous avec Vincent Lapierre – ce dernier est également un journaliste en première ligne de la presse dissidente. Qui fait parfois l’objet – et même de plus en plus souvent – de violences, de menaces, d’intimidation venant de certains publics qui ne l’apprécient guère, essentiellement dans la mouvance dite « antifa ». Nous aurons l’occasion d’en reparler plus longuement, mais en attendant, voici une plongée au coeur du Venezuela d’Hugo Chavez.
Breizh-info.com : Tout d’abord, pouvez vous vous présenter à nos lecteurs ?
Vincent Lapierre : Bien sûr. Je m’appelle Vincent Lapierre, je suis reporter pour Egalité et Réconciliation, animateur d’une émission de radio, l’Heure la plus sombre, et passionné depuis longtemps par les révolutions sud-américaines, en particulier celle menée par Hugo Chavez au Venezuela entre 1998 et 2012. J’ai écrit à ce titre une thèse de doctorat sur le modèle économique et social mis en place par Chavez puis une biographie de l’homme ainsi qu’un film et une anthologie de ses plus grands discours.
Ces travaux sont parus chez les éditions Kontre Kulture, sous la forme d’un coffret à l’effigie de Chavez.
Breizh-info.com : Qu’est ce qui vous a amené à vous intéresser au Venezuela, et plus particulièrement à Hugo Chavez ?
Vincent Lapierre : Mon histoire familiale d’abord, ma mère étant sud-américaine et mon père étant issu d’une famille très politisée. Je me souviens que déjà enfant, mes grands parents parlaient de « l’Union Soviétique » à table ainsi que d’autres sujets mystérieux de cet ordre. Alors une fois arrivé à l’adolescence, j’ai dévoré les carnets de voyage du Che, les biographies de Fidel Castro ou les discours de Jorge Eliecer Gaitan, en plus de mon intérêt, déjà, pour Bakounine, Lénine ou Kroptkine. Plus tard, j’ai découvert Hugo Chavez.
Ma trajectoire politique prend sa source dans cette alliance entre mes origines sud-américaines par ma mère, et la politique, par mon père.
Breizh-info.com : Qui était Chavez ? Comment a il pris le pouvoir ? Pourquoi a t’il réalisé un coup d’Etat ? Qu’est ce qui ne lui plaisait pas avec l’ancien président ?
Vincent Lapierre : La chose primordiale à savoir, c’est le fait qu’Hugo Chavez était un homme issu des classes pauvres vénézuéliennes, celles qui furent réduites au silence pendant des siècles par le modèle colonial puis néo-colonial. Il a grandi dans un Venezuela richissime par ses richesses naturelles, mais dont les revenus étaient confisqués par la caste politique et économique, devenant une ultra-minorité milliardaire au milieu de la misère. C’est cette division de classe paroxystique qui caractérise la structure socio-économique du Venezuela au cours du XXème siècle. Dans les années 70, Hugo Chavez est un jeune homme passionné par le baseball. Il décide de faire l’armée pour pouvoir jouer dans une équipe semi-professionnelle.
Et c’est ce choix, pourtant si banal pour un adolescent des classes pauvres vénézuéliennes, qui fit que Chavez devint Chavez. Car à l’armée, un sentiment puissant va très vite le submerger : un amour viscéral pour son pays. Cela va bouleverser l’ordre de ses priorités. Du jeune homme sportif, séducteur et artiste à ses heures, il va dès lors avoir à cœur de libérer sa patrie, inféodée aux Etats-Unis depuis trois siècles. Pour cela il va créer un petit groupe de soldats, qui en vingt ans et grâce à son charisme et à un travail de fourmi, va devenir le MBR200 : un réseau de plusieurs centaines de militaires patriote prêts à renverser le pouvoir. Cette tentative de coup d’Etat échoua le 4 février 1992 et Hugo Chavez dû, par la télévision, appeler ses troupes à se rendre.
C’est ce jour que les vénézuéliens découvrirent Chavez : un homme qui leur ressemblait, un métisse au regard franc qui provenait des entrailles du peuple vénézuélien. Les classes populaires purent immédiatement s’identifier à lui. Cet homme s’était levé pour son pays au péril de sa vie et il assumait ses responsabilité face à la caméra, en faisant la promesse que des jours meilleurs surviendraient. Il souleva dans le peuple un espoir immense.
Il va être « l’homme providentiel », le héros que les classes populaires attendaient.
« La vie de Bolivar au centre de son discours politiques »
Breizh-info.com : Qu’est ce que le Bolivarisme ? Comment Chavez s’en est inspiré ?
Vincent Lapierre : Le bolivarisme est ce qu’on pourrait appeler un « nationalisme d’émancipation », un « nationalisme de gauche » s’appuyant sur la figure de Simon Bolivar. Militaire vénézuélien, Bolivar libéra le Venezuela ainsi que quatre autres nations sud-américaines du joug de la couronne espagnole. Dès ses premiers pas au sein de l’armée, Chavez s’aperçut que l’histoire de ce héros national était mal enseignée, presque cachée et pour cause : l’histoire grandiose du Venezuela pouvait susciter chez le peuple un réflexe d’union, dangereux pour les intérêts de l’oligarchie.
À contre-pieds des mouvements dits « de gauche », Chavez décida de ne pas fonder sa doctrine sur des penseurs étrangers comme Marx, Lénine ou Trotski, mais de placer la vie de Bolivar au centre de son discours politiques : il voulait se référer uniquement à des héros vénézuéliens pour exalter chez les militaires qui l’entouraient la fierté de leur histoire, de leur nation.
Le bolivarisme est donc cette doctrine par laquelle Chavez parvint à redonner vie à la nation vénézuélienne, c’est à dire à faire en sorte que les Vénézuéliens, oublieux de leur histoire et de leur culture, se réapproprie leurs codes, leur racines ; au fond : qu’ils s’aiment à nouveau eux-mêmes en tant que peuple.
Breizh-info.com : Quel est le bilan et l’évaluation de ces quatorze années au pouvoir?
Vincent Lapierre : C’est une question très complexe qui pourrait donner lieu à plusieurs ouvrages mais mais je pourrai résumer la chose ainsi : dans le temps qui lui fut imparti, Chavez a fait le maximum que pouvait réaliser un dirigeant honnête et de bon sens confronté aux plus puissantes forces de la planète : la finance, les médias, les multinationales, en un mot l’Empire. Il a rendu aux Vénézuéliens la gestion du pétrole et la jouissance de ses revenus – bien que son utilisation et l’efficacité de cette utilisation puissent être discutés, c’est ce que je fais d’ailleurs dans ma thèse de doctorat – mais avant Chavez, le pétrole n’appartenait plus au peuple vénézuélien : il était entièrement confisqué par une oligarchie toute puissante qui s’accrochait aux manettes de l’industrie pétrolière comme une moule à un rocher.
Cette oligarchie était placée là par l’Empire pour maintenir une production de pétrole élevée afin d’abreuver à bas coûts le géant américain.
Chavez mis fin à cela et se fit renverser pour cette raison en avril 2002. Très populaire parmi les classes pauvres vénézuéliennes, il fut ramené au pouvoir deux jours plus tard, mais là se trouvent les raisons profondes de la diabolisation d’Hugo Chavez : il arracha des mains de l’Empire la gestion de la première réserve prouvée de pétrole au monde, soit un tiers des réserves de pétrole de la planète. Grâce à cette manne, Chavez parvint à mener une politique sociale très expansive (et très couteuse) qui eut des résultats spectaculaires : division par deux du taux de pauvreté, baisse des inégalités, annihilation de l’analphabétisme, de la faim, etc. Tout cela est certifié par les Nations Unis. Mais Chavez ne put en quatorze ans de pouvoir – dont trois violemment déstabilisés par l’Empire et deux avec un cancer fulgurant – modifier en profondeur la structure de l’économie vénézuélienne. Il ne parvint pas à rendre à l’économie vénézuélienne sa diversité. Cet objectif difficile est au fond l’enjeu décisif de toute révolution car la diversité du tissu industriel et agricole amène l’indépendance, et donc la capacité d’un pays à mieux supporter les attaques extérieures (blocus, attaques spéculatives, guerre, etc.).
C’est pour cela que l’ordre économique actuel pousse à la division internationale du travail : au Venezuela, le pétrole, en France, les services, en Chine, les produits de consommation. Ainsi, personne ne peut élever la voix contre le système car chaque nation a besoin de toutes les autres.
Nous sommes en quelque sorte prisonniers les uns des autres, au service d’une caste supra-nationale qui tire parti de notre dépendance mutuelle.
Chavez n’a pas réussi le pari de la diversification de l’économie vénézuélienne, ce qui explique à peu près tout des difficultés que rencontre le pays actuellement. Mais la question est la suivante : si Chavez, avec le soutien populaire dont il bénéficiait, n’a pas réussi ce pari, qui aurait pu le faire ?
« Le même mécanisme qui se produirait si un gouvernement patriote prenait le pouvoir en France »
Breizh-info.com : Pourquoi le pays est en crise ? Avec un taux d’inflation record et un niveau de vie très bas, les médecins quittent le Venezuela…
Vincent Lapierre : En effet, les médias n’expliquent jamais pourquoi le Venezuela est en crise or pointer les conséquences ne suffit pas, il faut faire un effort de pédagogie pour identifier les causes. Le Venezuela est en crise car il subit des attaques répétées et multiples visant à déstabiliser le gouvernement actuel afin de reprendre le contrôle du pétrole.
La crise économique au Venezuela doit être vue comme un affrontement géopolitique dépassant de très loin la simple gestion, efficace ou non, du gouvernement de Maduro. Lorsqu’un bateau se fait torpiller, certes le commandant peut plus ou moins bien gérer le naufrage, mais il n’est pas le premier responsable de la catastrophe. Que se passe t-il précisément au Venezuela ?
Le Venezuela est attaqué sur le plan financier, ses revenus s’étant évanouis avec la baisse des prix du baril, sa monnaie s’est vue attaquée sur les marchés financiers, rendant la politique d’une monnaie forte intenable : les attaques spéculatives sur le FOREX amènent une dépréciation forcée du bolivar, via notamment le marché noir des devises étrangères, qui produit une inflation explosive dans le pays.
Le Venezuela voit le prix de ses importations bondir et donc l’inflation augmenter violemment.
Mais je signale que ce serait exactement le même mécanisme qui se produirait si un gouvernement patriote prenait le pouvoir en France : nous sortirions de l’euro pour retrouver notre indépendance monétaire, aussitôt notre monnaie serait attaquée sur les marchés financiers la faisant se déprécier et augmentant ainsi le prix des importations.
Il y aurait des queues devant les magasins et une inflation explosive et les médias diraient : « regardez comme le gouvernement est mauvais ». Les gens crédules y croiraient et nous serions renversés.
L’Empire a les moyens de contraindre une nation à revenir dans son orbite, sinon il ne serait pas l’Empire. Toute l’énergie des révolutionnaires doit se concentrer sur un objectif : parvenir au plus vite à l’indépendance industrielle, afin de ne pas dépendre des importations. Dans ce cas et uniquement dans ce cas : pas de pénuries, pas de queues, pas de contre-révolution. Il ne reste alors à l’Empire que la guerre comme moyen de soumettre une nation en révolte.
Breizh-info.com : Qui peut rétablir le contrôle dans ce pays? Et que faire pour développer l’économie?
Vincent Lapierre : Vous l’avez compris, la situation est très compliquée pour le gouvernement vénézuélien et bien malin celui qui pourrait sortir de son chapeau des solutions à ce problème gigantesque (auquel se surajoutent des problèmes de violence importée, de sabotage des entreprises publiques, de campagnes médiatiques visant à créer le chaos, etc.) La seule issue, encore une fois, c’est d’accélérer le processus d’industralisation et d’agricolisation du pays. Mais cela ne se fait pas en un claquement de doigts.
Fin stratège, Chavez s’appuyait sur une solide alliance avec les chinois, les russes, l’Europe de l’est, le Moyen-Orient, l’Afrique et surtout l’Amérique du sud. La seule solution est là : la solidarité entre nations insoumises.
Seul, le Venezuela retombera fatalement sous la coupe des Etats-Unis, c’est inéluctable. Les forces sont trop déséquilibrées.
Si demain, un gouvernement patriote prenait le pouvoir en France, il sera de son devoir moral (et de son intérêt stratégique) de tendre la main au Venezuela et aux nations sud-américaines en révolte. C’est une évidence et nous pousserons en ce sens, quelles que soient les incompréhensions et les quiproquos mutuels que nos ennemis communs nous ont imposés.
Breizh-info.com : Connaissez vous le parti Orden, qui rassemble 65 000 suiveurs sur facebook et qu’en pensez vous ?
Vincent Lapierre : Je n’ai pas l’honneur de connaître ce parti.
https://www.youtube.com/watch?v=PYrChqsFtDE
Breizh-info.com : Revenons en France pour finir : vous subissez énormément d’attaques, lors de vos interviews et reportages que vous menez dans la rue. Pour quelle raison ?
Car en France, le nationalisme a été diabolisé durant des décennie. Cela fait partie des étapes permettant à l’oligarchie mondialiste de soumettre entièrement un peuple à sa domination : que ce peuple se déteste lui-même afin qu’il ne puisse pas s’unir contre elle. La méconnaissance de notre histoire, de notre langue, de notre culture, au profit de la sous-culture mondiale anglo-saxonne, associée à la stratégie de submersion migratoire, fait entièrement partie d’un plan que Chavez qualifiait « d’anti-patrie ».
Dans ce contexte, le travail a été tellement bien fait, les cerveaux ont été si bien lavés que certains « gauchistes » croient profondément qu’aimer son pays c’est être un méchant proto-fascisto-nazi et donc ils m’attaquent dans les manifestations lorsque je leur pose des questions.
Sans le savoir (ou en le sachant pour certains), ils servent ceux qu’ils croient combattre à travers moi, c’est à dire ceux qui asservissent les peuples. Ce sont des idiots utiles.
Breizh-info.com : Quel regard portez vous sur l’ascension de la presse alternative et dissidente en France ? Quels sont vos médias de référence ?
Vous vous en doutez, je porte un regarde très positif sur ces mouvements qui émergent, quelles que soient nos différences de point de vue qui sont et qui doivent rester marginales au regard des défis qui nous attendent. Ces mouvements représentent l’espoir et l’idée que la France, même blessée et mourante, est toujours là.
Propos recueillis par Yann Vallerie
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