13/03/2017 – 05H15 Belfast (Breizh-info.com) – Heureusement que les militants nationalistes irlandais ou loyalistes de Belfast, de Derry, d’Ulster et d’Irlande du Nord ne lisent pas Le Point ; ils auraient pu s’étrangler à la lecture de l’article d’Yves Cornu, « grand reporter » pour l’hebdomadaire.
Un article intitulé : « Irlande du Nord : la mort lui va si bien » dans lequel ce dernier – dont on peut réellement se demander s’il a déjà parcouru les enclaves de la ville – évoque un « tourisme morbide » qui se serait développé en Ulster.
Symbole de ce tourisme évoquant un « passéisme stérile » selon M. Cornu ? Les « Fresques murales en hommage aux grévistes de la faim de l’IRA dans les quartiers catholiques, ou à la gloire des groupes paramilitaires unionistes dans les ghettos protestants, murs édifiés à la lisière des uns et des autres afin de limiter les incidents localisés qui n’ont jamais cessé ».
On en reste bouche bée. Ce dernier l’explique pourtant : les tensions, aujourd’hui dans les quartiers populaires, restent toujours relativement présentes, et la mixité se cantonne, notamment pour Belfast, au centre-ville.
Yves Cornu prend par ailleurs simplement pour exemple quelques attrapes-touristes que sont les « blacks cabs » (taxis) dans lesquels certains anciens militants prétendus font revivre quelques frissons sur les années de troubles à ceux qui sont prêts à payer pour ne rien voir.
Mais si M. Cornu était réellement allé dans les quartiers catholiques, dans les quartiers loyalistes de la commune, à la rencontre du peuple qui écume les ruelles et les pubs de quartier, il n’aurait pas pu écrire que ces fresques, ces « murals » qui ornent ces quartiers ne sont que le reflet d’une «logique d’auto-enfermement » et d’un « passéisme stérile ».
En effet, ces fresques, hommages à tous ceux qui sont tombés sous les balles des uns et des autres, sont là pour rappeler chaque jour, ici dans Sandy Row, là sur Divis Street, ou encore dans le Bogside, dans le quartier de The Foutain et dans toutes les enclaves d’un camp comme de l’autre, que ces soldats, ou ces victimes collatérales, sont encore bien présentes dans le coeur de chaque famille, de chaque communauté.
Et que ces communautés n’oublient pas et n’oublieront jamais ceux qui, un jour, se sont levés les armes à la main – dans un conflit il est vrai souvent parfaitement incompréhensible et mal compris de l’extérieur – pour défendre les leurs.
Ces fresques, c’est l’immortalité pour ces 3526 victimes (dont 1932 civils) durant les années de sang en Irlande du Nord.
Elles ont été peintes avec le sang de ces victimes, et non pas dans l’optique de faire fantasmer quelques touristes en manque d’aventure.
Car quiconque est déjà allé en immersion à Belfast ou en Ulster sait parfaitement que dans un quartier comme dans un autre, lorsqu’on a jamais été partie prenante dans ce conflit et que l’on débarque pour quelques jours, on écoute, on la boucle, et on ne se répand pas en questions ayant attrait au passé politique des uns et des autres.
N’importe quel « touriste morbide » qui ferait l’inverse se verrait éconduire de certains établissements où le passé n’est jamais vraiment passé, mais où les jeunes générations se tournent désormais vers l’avenir – comme le démontrent les résultats des dernières élections et un certain apaisement ces dernières années malgré quelques regains de tensions et toujours le spectre d’une nouvelle crise.
Belfast. Une virée dans les enclaves chargées d’histoire de la ville [photos]
Si pour M. Cornu, quelques fresques – que les autorités nord-irlandaises s’empressent de vouloir faire recouvrir au grand dam des habitants des quartiers populaires – justifient le qualificatif de « morbides », que dire alors de tous ces monuments aux morts qui ornent les villages français et qui, eux aussi, rendent hommage à des combattants ?
Yann Vallerie
Crédit Photo : breizh-info.com
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