24/02/2017 – 06h45 Montréal (Breizh-Info.com) – La saison 2017 de cyclisme a débuté, et ce vendredi se déroule d’ailleurs la deuxième étape du tour d’Abu Dhabi, une course symbole même des profondes transformations ayant cours dans le cyclisme. Un milieu cycliste dans lequel évolue toujours, depuis le Québec, Pascal Hervé.
Comment, vous ne vous rappelez pas de Pascal Hervé ? Vous êtes impardonnables. Mais petit rappel tout de même pour ceux qui n’ont pas connu cette époque, c’est à dire les plus jeunes.
Pascal Hervé fût, dans les années 90, le lieutenant de Richard Virenque à la grande époque Festina. Une époque où il remporta une étape du Tour d’Italie, de nombreuses places d’honneur sur le Tour de France, mais aussi le grand prix de Plouay ou encore le trophée des grimpeurs. Mais avant cela, il fût également un grand coureur cycliste amateur, champion de France, bien placé sur le championnat du monde. Fidèle compagnon et ami de Virenque, il le suivra également chez Polti, jusqu’en 2001, où il mettra fin à sa carrière.
Après une parenthèse hors du vélo, une opportunité l’amènera à entrainer, aujourd’hui, l’équipe Garneau Québécor.
Pascal Hervé nous a accordé un long entretien audio (retranscris ici) dans lequel nous avons évoqué les grands moments de sa carrière, mais aussi sa relation si particulière avec les anciens membres d’une équipe qui a fait chavirer, vibrer, pleurer, rire des millions de Français fascinés par le courage et l’audace de ces guerriers de la route floqués du maillot Festina. Oui, bien sûr, il y a eu le scandale du dopage, et ils ont trinqué pour tout le monde en 1998. Et alors ?
Une chose est certaine : Pascal Hervé a fait partie de cette génération de coureurs qui a apporté du bonheur, un bonheur simple, sur les routes du Tour de France. Du bonheur et du courage à des millions de Français qui les regardaient, chaque mois de juillet, se battre avec vaillance sur les routes, sinueuses, montantes, descendantes, par tous les temps.
Nous avons également évoqué la transformation du cyclisme aujourd’hui, mais également la fameuse étape de Courchevel 1996, ou encore son job actuel. Entretien avec un grand champion du cyclisme des années 90 et incontestablement le meilleur des lieutenants !
Breizh-info.com : Pascal Hervé, tout d’abord, que devenez-vous, 16 ans après avoir arrêté le cyclisme professionnel ?
Pascal Hervé : 16 ans que j’ai arrêté ? Ca passe vite, j’ai l’impression que c’était hier ! J’ai monté des restaurants sur Limoges (j’en ai eu jusque 3 avec une trentaine de salariés). J’ai eu des entreprises florissantes, d’autres qui marchaient moins. Puis l’envie d’aventure m’a repris, j’ai eu l’occasion de venir m’installer au Canada. Sans savoir ce que j’allais faire.
De rencontre en rencontre, j’ai retrouvé des gens du milieu du cyclisme, j’ai travaillé dans un laboratoire d’évaluation de la condition physique (et j’ai découvert tous les tests possibles que l’on puisse faire aux sportifs). Puis dans un centre d’entrainement collé au laboratoire, j’ai fais mes classes avec l’un de ceux qui a découvert tous les derniers grands noms du cyclisme canadien (président de la Fédération canadienne de cyclisme), car moi je viens d’une génération où l’entrainement n’était pas pareil, il fallait donc tout reprendre.
Et puis j’ai commencé à entrainer des jeunes , monsieur et madame tout le monde. Puis les gens sont venus me voir, et désormais j’entraine des gens qui font de la compétition. Il y a tout à faire ici dans le vélo.
Breizh-info.com : C’est une équipe qui est sur le tour continental c’est ça ?
Pascal Hervé : C’est arrivé après. Un jour, Louis Garneau m’a appelé pour me demander de prendre la direction de son équipe professionnelle, Garneau-Québécor, équipe continentale inscrite sur le circuit international. On fait beaucoup de courses aux Etats-Unis, au Canada. L’équipe se débrouille bien malgré notre petit budget.
J’ai réussi à faire connaitre Jason Lowndes, qui a signé chez Drapac (équipe qui a fusionné avec Cannondale maintenant) et qui a fait 5ème au championnat du monde espoir au Qatar. J’étais assez content de moi. L’an passé, j’ai sorti un autre australien, Michael Rice, que j’ai fais rentrer chez Axel Merx désormais.
Le gros coup de l’année a été notre victoire au championnat canadien, avec Bruno Langlois. Pour une petite équipe comme nous d’aller battre les grosses, c’est une fierté. On a gagné des courses, ici ou là au Canada, aux Etats-Unis…
Breizh-info.com : Ça grimpe par chez vous ?
Pascal Hervé : Ça n’a rien à voir avec l’Europe. Ici ce sont beaucoup de courses rapides, des critériums, des courses moins dures mais où ça roule vite, où l’adresse et l’explosivité sur le vélo sont importantes. Cette année Louis m’a confirmé dans mon rôle de directeur sportif dans l’équipe, donc c’est très bien, et j’ai repris le centre où j’étais salarié. Je suis devenu actionnaire du centre.
Je n’envisage pas un retour immédiat en Europe. Je suis très bien là où je suis, et j’aime bien bouger, j’ai encore pas mal de coins dans le monde où je souhaiterais aller également.
Breizh-info.com : Quels ont été les grands moments de votre carrière ? Quelles relations gardez vous avec les anciens de la grande équipe Festina (Virenque, Brochard, Dufaux, Moreau …) qui fît tant rêver les Français ?
Pascal Hervé : Je garde d’excellents contacts avec eux. On communique régulièrement – la distance faisant qu’on ne se voit pas tous les jours non plus. Je discute toujours avec Richard, Laurent Dufaux, Laurent Brochard, Christophe Moreau. J’ai croisé récemment Didier Rous. Il y en a que je vois moins (je n’ai plus de contact avec Alex Zulle avec qui je n’ai fait qu’une année).
J’ai toujours des contacts avec le milieu du vélo (coureurs, journalistes…). Avec les réseaux sociaux c’est facile de rester en contact avec les gens même si ils sont à l’autre bout du monde. Je garde un excellent souvenir de tous ces gens là, quant à ceux qui ne m’aimaient pas, je n’ai plus de contact avec eux (rires) !
Sur ma carrière, je dirai que mes dix ans de vélo ont été dix années de plaisir. A un gars qui écrivait un livre sur moi, je lui ai dis « Ecoute , je te donne juste le titre, dix ans de bonheur, le reste je m’en fous ». Je n’ai vécu que des bons moments dans le vélo.
Dernièrement j’ai revu une vidéo , concernant la finale du championnat du monde (1994) avec Luc Leblanc, dont j’étais co-équipier sur la course. J’ai eu la chance de remporter deux fois le championnat du monde professionnel en tant que coéquipier : une fois avec Luc Leblanc donc et une autre fois avec Laurent Brochard (1997).
Ce n’est pas rien dans la vie d’un sportif ! Même si je n’ai pas gagné le titre, j’avais fais mon travail d’équipier. Avec Brochard, j’avais contrôlé la grande échappée du jour avec tous les favoris.
Toutes les grandes chevauchées faites avec Richard pendant le tour, toutes ces années avec lui resteront inoubliables.
Breizh-info.com : Un regret de ne pas avoir gagner le Tour de France en 1998 (l’année de l’affaire Festina) alors que vous aviez fait troisième deux ans avant, deuxième l’année d’avant, et que cela semblait être la bonne ?
Pascal Hervé : Tu sais quoi ? 1998 ça a été l’année du tour pour Festina ! On a pas gagné le Tour mais on a marqué les esprits ! (rires) Et encore pour longtemps ! L’an prochain ça fera vingt ans. C’est comme une blessure dans ma vie de sportif (sur le moment et durant les années qui ont suivi). Parce qu’on est jeune, on en veut à la terre entière de ce qui nous arrive. Tu trouves que c’est injuste.
Mais avec le recul, ça a été un grand bien ce qui s’est passé. Tout le monde a pris conscience qu’on était pas dans la bonne direction, qu’on faisait n’importe quoi. Il fallait redonner au sport ses lettres de noblesses et laisser tomber tous ces médecins qui étaient là pour faire de la performance au détriment de la santé du sportif ; un sportif qui était responsable aussi, mais je pars toujours du principe que, lorsque tu as 20 ans ou 25 ans, tu n’as pas conscience des risques que tu prends et que tu fais prendre.
Si les gens qui t’encadrent ne te donnent pas les bonnes informations et ne te mettent pas sur les bons rails, tu ne peux pas t’en sortir. Certains, à cette époque n’en ont pas pris conscience… c’est la vie ! Parfois il faut du temps pour changer les mentalités ; ma génération, toute la génération impliquée entre 2000 et 2005, on ne transmet plus aujourd’hui, et heureusement ce qu’on a reçu (les mauvaises habitudes).
Mais avant tout, les responsables de ces affaires de dopages ce sont bien les médecins, les gens qui avaient des connaissances scientifiques et médicales qu’ils n’ont pas bien utilisées. A mon époque, les jeunes cyclistes décrochaient souvent les études de bonne heure (pas aujourd’hui) ce qui faisait qu’on n’avait pas les connaissances adéquates pour chercher par nous même.
Breizh-info.com : Pourriez vous revenir sur la préparation et le plan élaboré, en 1997, avant l’étape de Courchevel, fantastique, ou Festina a « tout fait péter » dès le début pour isoler Ulrich ? Qu’est ce qu’il a manqué ce jour là, la victoire étant acquise ?
Pascal Hervé : Il ne faut pas remonter à Courchevel, mais à la veille. La veille, c’était l’Alpe d’Huez. Dans cette étape, le matin, Richard Virenque vient nous voir et dit : « Aujourd’hui c’est moi qui gagne » . On a dit ok, on va faire ce qu’il faut pour y arriver. On va massacrer le peloton comme on savait faire, et tu vas gagner en haut.
Sauf que ce jour là, on a fait tout ce qu’il fallait faire, mais Richard n’a terminé que 3ème ou 4ème, à deux minutes de Pantani, ce qui n’est pas rien.
Le Ricardo, c’est un méditerranéen, il a le sang chaud, il est bouillant ! Il a trouvé des petites excuses qui nous ont convaincu, lorsqu’il a fait la tournée des chambres le soir. Il a dit « C’est pas ma faute, on recommence demain, et demain, on les matraque ». Là on se dit « putain ! ». Quand tu as roulé toute la journée et que ton leader finit quatrième tu te dis que le lendemain il va te laisser tranquille…
Mais Richard avait une telle motivation et il la transmettait tellement à ses coéquipiers qu’il nous a convaincus qu’il fallait recommencer le lendemain. Donc rebelotte le lendemain, mais on avait pas dans l’idée de faire toute exploser comme la veille dès le début.
On partait du pied de l’Alpe d’Huez et on allait chercher le col du Glandon. Ça attaquait de partout. On revenait, on laissait faire et puis quand tout le monde attaque, ça énerve tout le monde…
Donc on arrive au col du Glandon, alors qu’il y avait des groupes partout sur la route . On s’est regroupé à toute l’équipe, on s’est mis devant, on a fait toute la montée du col ensemble à bloc, si rapidement qu’à la fin, on était plus que 25 dans le peloton. Et là, avant le sommet Richard vient nous voir et dit « on lance le sprint pour le grimpeur, et on se relève pas, on fait la descente à bloc ».
On a donc accéléré dans le dernier kilomètre du col, ça a gueulé dans le peloton qui était déjà à bloc mais ils se sont dits qu’on allait juste faire le classement grimpeur et nous relever après.
Sauf que là, avec Casagrande qui nous a suivi, on ne s’est pas relevé. On a plongé dans la descente après avoir fait une petite cassure, avec Ulrich (maillot jaune) qui était pas loin. On s’est lancé dans la descente comme des débiles complets, très rapides. On a surpris du monde, doublé des voitures ouvreuses surprises de nous voir.
Ulrich avait des lacunes en descente, il n’a pas pu nous suivre. Il a loupé le premier virage, si bien qu’on est arrivé en bas de la descente avec 2 minutes d’avance sur lui.
Malheureusement, c’était le début des oreillettes, donc son équipe l’a fait se relever dans la vallée pour qu’il attende ses équipiers derrière. Sans oreillette, il perdait le tour ce jour là. Mais ça a fait qu’il a su avoir des équipiers derrière (Bolts, Riis…)….
Ils se sont regroupés derrière du coup, et nous devant avons fait une petite erreur : comme nous étions Festina, nous avons décidé de faire la vallée à bloc avec Laurent Brochard, et nous avons maintenu l’écart sur le peloton de chasse (2 minutes). On s’est brûlé complètement, et on a laissé Richard et Dufaux continuer tous les deux.
Ils ont semé l’italien, puis après Richard est parti tout seul dans l’ascension de la Madeleine. Mais tout seul contre un peloton de favoris, c’était pas jouable (il y avait Pantani, Ulrich, Escartin… dans le groupe derrière). Il s’est fait rejoindre dans la vallée après La Madeleine . Ils se sont regroupés, puis ils se sont refaits ça à la pédale avec Ulrich après vers Courchevel. Au sprint Richard était plus fort. Mais ce jour là, on a perdu le tour à cause des oreillettes ! Mais c’est la vie, on en avait aussi.
Ça a été un gros moment de vélo ce jour là. La descente du Glandon, je l’ai encore en tête, on a frôlé la catastrophe plusieurs fois (rires). Mais on a donné du plaisir à des millions de gens ! On a réveillé la vieille rivalité franco-allemande (rires).
Breizh-info.com : Quel regard portez vous sur le cyclisme aujourd’hui, ? Entre l’affaire Armstrong et les suspicions autour de nombreux coureurs, dont Froome, les pratiques de votre époque semblent être des pratiques d’enfants de cœur non ?
Pascal Hervé : Je pense sérieusement qu’il n’y a pas de fumée sans feu mais qu’on raconte aujourd’hui souvent n’importe quoi, notamment avec les réseaux sociaux. Ça permet à Pierre Paul, ou Jacques, de faire une information avec une rumeur. Dans le monde du vélo, quand il y a un coureur ou une équipe forte, il y a toujours de la suspicion. Tout le temps.
On ne va pas dire « ils sont meilleurs, ils travaillent forts », non ! Suspicion. C’est dans notre culture en France depuis que le vélo existe. A notre époque c’était ça . On nous disait « les Festina ont des trucs que nous on a pas etc ..» . Alors qu’il s’est avéré que tout le monde avait la même tambouille. Du temps d’Hinault c’était pareil – comme quoi il avait toujours un truc d’avance sur les autres. Idem du temps de Mercx, d’Anquetil…on met toujours de la suspicion sur le dos de celui qui réussi.
Ici en Amérique du Nord, on ne parle pas comme ça. Quand un coureur domine ici, c’est très rare que j’entende des mauvaises choses. Au contraire, on s’extasie, on admire, c’est une autre approche. Ici on admire le champion et on a envie de lui ressembler. C’est la même chose dans le Business.
En France, dans le monde des affaires, on est beaucoup dans le « oh comment ça se fait qu’il réussisse, c’est étrange ? ». On est pas dans le « il travaille 15h par jour depuis des années , il a une bonne stratégie d’entreprise, etc ». Non, il y a de la suspicion dans tout. Nous n’avons pas ça ici en Amérique du Nord.
Le seul reproche que je pourrai faire au cyclisme d’aujourd’hui par rapport à ma période, ce sont les stratégies de course qui enlèvent toute la beauté du cyclisme. On voyait des attaques de partout, des grands champions attaquer à 150 km de l’arrivée. Tu sais, le seul qui fait ça aujourd’hui, c’est Contador, une fois par année. Tu sais pourquoi ? Parce qu’il a perdu la course avant, donc il attaque.
Pourquoi ? Parce que les stratégies d’équipe sont faites pour qu’on privilégie une troisième, une quatrième place, plutôt que le panache et une victoire potentielle au bout. Aujourd’hui, sur une étape de plat pendant le tour, y a un sprinteur qui va plus vite que les autres et trois ou quatre qui peuvent faire une place. On laisse partir la première échappée, dix minutes, et après chaque équipe met deux trois gars à rouler. Donc toutes les équipes roulent avec celle du favori du sprint, tout en sachant pour la plupart des équipes qu’elles ont de grandes chances de perdre car un tel ou un tel est imbattable en ce moment. Mais il y a l’espoir de finir deuxième, troisième, d’une chute …aujourd’hui y a moins de panache dans le cyclisme moderne.
Je suis sûr que les gars ont la même envie, mais ils sont bridés par les directeurs sportifs, qui les téléguident de la voiture. Avant on ne parlait pas des directeurs sportifs. Aujourd’hui on a l’impression que c’est lui le plus important de l’équipe. Les coureurs sont moins mis en avant aujourd’hui. C’est con.
Un directeur doit être là pour guider ses coureurs, leur donner l’envie, les mettre dans de bonnes conditions. C’est tout.
Breizh-info.com : A cause de cette évolution, ne vous ennuyez vous pas, comme beaucoup, devant le cyclisme et notamment le TDF ces dernières années ? L’argent et la tactique sont ils en train de tuer un sport d’aventurier et d’attaquant un peu fou ?
Pascal Hervé : La première chose qui se passe, c’est qu’aujourd’hui, à part quelques champions qui sont reconnus dans la rue, la majorité, personne ne les reconnait (à part dans leur village). Il n y a plus de panache, on ne voit plus leur tronche, les gars sont manipulés, téléguidés par l’équipe. Ils font un job. C’est un métier. C’est plus des passionnés les gars.
Jusqu’à 20 ans, 22 ans, si, mais après, on passe pro, on rentre dans un moule et basta.
Breizh-info.com : Donc le jeune de vingt ans qui passe pro, et qui fait tout sauter dès les premiers km d’une course, il se fait allumer le soir si il rentre ?
Pascal Hervé : Oui. Y’a un bel exemple : y a un ou deux ans, un coureur franco belge de la FDJ a attaqué, alors que le directeur sportif avait mis en place une stratégie pour qu’Arnaud Demare gagne au sprint. Le soir même il l’a renvoyé chez lui. Et son contrat n’a pas été reconduit. Tout le monde est monté au créneau, dont Marc Madiot, en disant « y’a une stratégie d’équipe, on a pas le droit de ceci, cela …».
Je suis désolé, mais le vélo, c’est un sport individuel. Je passe mon temps à le dire à mes jeunes. C’est un sport individuel qui se pratique en équipe. On pédale d’abord pour soi, après on peut courir en équipe. Si tu veux faire un sport d’équipe va jouer au football. Aujourd’hui, on a fait du cyclisme un sport d’équipe où tu n’es plus qu’un numéro. Ton job c’est de rouler du km 3 au km 80 et après basta. Non ! Le vélo c’est un sport individuel dans lequel le but est d’arriver premier, ou deuxième, ou troisième.
Que tu t’appelles Contador ou Justin Jules, que tu sois un grand ou un petit coureur, tu pars toujours avec le même but ! J’ai pas souvenir d’une course sur laquelle, au départ, je n’ai pas imaginé la gagne. Pas une fois, même quand j’étais pas en forme je me voyais toujours gagner la course. J’ai fais six tours de France, les six fois , au prologue, je pensais que j’arriverai en jaune à Paris, grâce à une échappée bidon, à des circonstances …il y’avait cette magie du vélo qu’il n y a plus.
Aujourd’hui, les gars sont passionnés en amateur, ou dans les petites équipes. Puis le jour où cela devient un métier, dans une grande équipe, ils deviennent des cadres de l’entreprise. Une mission à remplir et basta.
Breizh-info.com : Est-ce irréparable ?
Pascal Hervé : Oui. On ne va pas dans la bonne direction. Aujourd’hui, il y a tellement d’argent et d’intérêts en jeu. Aujourd’hui, il y a besoin de montrer le maillot, de faire des échappées « publicitaires » comme on dit. Le sport de baroudeurs, d’hommes courageux, d’hommes forts, a plus ou moins disparu aujourd’hui. C’est pas pour rien qu’on nous appelait « les forçats de la route » . On y allait par tous les temps ! Aujourd’hui, s’il pleut trop, qu’il y a trop de vent, on arrête l’étape. On devient des tennismens.
Durant ma carrière, je n’ai le souvenir que d’un arrêt d’étape, une fois. On allait à Sestrières pendant le Tour, et on ne pouvait pas passer les cols, il y avait de la neige. On nous a arrêté en raison du danger dans la descente. On nous a fait passé deux cols en voiture avant de repartir . C’est la seule fois. J’ai le souvenir de courses avec un vent de dingue (notamment en Espagne une fois où les voitures servirent de mur pour nous protéger du vent), avec des grelons…on était des forçats de la route.
Aujourd’hui on râle pour tout. C’est la modernisation.
Breizh-info.com : Quel conseil donneriez vous à un jeune qui a envie malgré tout de se lancer dans le vélo aujourd’hui, de devenir professionnel malgré cette triste description que vous avez faite du vélo actuel et de son évolution ?
Pascal Hervé : Y’a toujours la magie de faire des grandes courses, des grands tours, de faire le tour de France, d’Italie . Prendre le départ d’un tour de France même si tu sais que tu feras des échappés bidons, que tu ne gagneras pas car seuls deux ou trois peuvent le gagner et que ça n’est pas dans ton équipe, c’est toujours magique.
Le seul conseil que je donne aux jeunes c’est de s’amuser. Dans une course on s’amuse, à l’entrainement on s’amuse. C’est pas un job, c’est du sport. C’est du plaisir. Après quand tu as la chance d’être payé, et même bien payé pour t’amuser, c’est le pied ! Mais il faut en profiter car ça ne dure pas longtemps. Il n y a pas beaucoup de sportifs qui vivent de leur rente aujourd’hui. Il y en a par contre beaucoup qui ont gagné beaucoup d’argent et qui n’ont plus rien aujourd’hui. Plus que les autres. Ils redeviennent monsieur et madame tout le monde.
Le conseil ,c’est vraiment de s’amuser, qu’on ait 14 ou 30 ans, amusez vous bordel ! Attaquez, faite vous plaisir ! C’est ça le vélo c’est ça le sport !
Brerizh-info.com : Y’a t-il des courses en Bretagne qui vous ont marqué, ou que vous avez pris du plaisir à faire durant votre carrière ?
Pascal Hervé : Hervé c’est un nom Breton, donc j’ai des origines bretonnes. Je me souviens de mes jeunes années, cadet, junior, j’allais toujours courir en Bretagne (j’étais en Touraine alors). J’ai fais beaucoup de course notamment en Bretagne sud. Je me rappelle avoir été en vacances chez Jacky Botherel, grand monsieur du vélo en Bretagne.
J’étais épaté car les entrées étaient payantes et malgré cela, il y avait beaucoup de monde sur les courses. J’en ai fais beaucoup. Quand j’étais amateur, j’ai deux belles victoires en Bretagne : le trophée Robert Gauthier à Jugon les Lacs (22) . J’ai également gagné Redon > Redon, qui était une grande classique en 1991.
J’allais faire les critériums également. Et notamment la mi-août bretonne, quand il y avait quinze épreuves. On restait deux semaines en Bretagne. J’ai fais le Ruban Granitier également. J’ai beaucoup baroudé en Morbihan, Ille et Vilaine, Côtes d’Armor.
Lorsque je dominais le cyclisme amateur français (en 1992 Pascal Hervé a été champion de France amateur NDLR), les meilleurs coureurs venaient de Bretagne. Même quand j’étais champion de France j’y regardais à deux fois avant de venir chez vous car il y avait de sacrés coursiers là-bas. Les Heulot, les Garel, Henri…
La Bretagne était d’ailleurs souvent championne de France du 100 km contre la montre, car il y avait de sacrées motos ! Cela date des années 70, et depuis ça ne s »arrête pas ! Les gars roulaient par tout les temps, à s’entrainer dans de sales conditions météo. De supers coursiers !
Propos recueillis par Yann Vallerie
Photo : DR
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