11/02/2017 – 08H00 Nantes (Breizh-info.com) – Le 8 février le forum de « questions publiques » ( Nantes Métropole en partenariat avec la revue Place publique) organisait au Centre de communication de l’ouest une conférence sur la profession de journaliste avec comme invité Eric Chol, directeur de la rédaction de Courrier international. Celui-ci devait répondre à une triple interrogation : « indépendance ou conformisme ? Liberté ou suivisme ? Où en sont les journalistes ? ». Le profil d Eric Chol – qui intervient régulièrement sur BFM TV et France Culture et préside Reporters sans frontières -répondait déjà partiellement à la question.
Intervenant devant une salle assez dégarnie, Eric Chol a commenté en premier lieu le classement établi par Reporters sans frontières sur la liberté de la presse dans le monde. La France y est au 49ème rang sur 180. Pour lui, cela tient avant tout au « rétrécissement du pluralisme » qui serait dû à «l’évolution capitalistique» du monde des médias. Le conférencier cite en exemple le groupe LVMH propriétaire des Échos , ou celui de Patrick Drahi qui possède entre autres L’Express et Libération. Mais le fait que Courrier international appartienne au même groupe que Le Monde avec L’Obs, Télérama, La Vie … contrôlé par le trio de milliardaires Bergé, Pigasse et Niel ne semble pas l’inquiéter outre mesure, ce qui n’est pas le cas de Vincent Bolloré qui, selon Chol, multiplierait les pressions sur les rédactions des médias qu’il détient.
La chute des ventes de la presse papier est due, selon Eric Chol, à « la révolution numérique qui impacte tout », à l’écroulement des recettes publicitaires (15 à 20 % par an) qui amène l’augmentation du prix de vente des journaux et enfin à la disparition des kiosques. Ce sont les news magazines qui souffrent le plus. On préfère désormais s’informer gratuitement sur internet et il y a un fossé générationnel : les 18/35 ans s’informent sur internet par Facebook et Google – « ils n’achètent plus le journal et ne regardent plus la télé ».
Eric Chol est bien conscient que les journalistes doivent « s’adapter en permanence au nouvel environnement technologique », ajoutant «on n’a pas le choix». Il est conscient également que les lecteurs français n’ont plus confiance dans les journalistes – selon lui à hauteur de 63 %. Ce qui lui fait lâcher cette réflexion : « on mérite mieux ». Pour autant il ne remet pas en cause le contenu des messages diffusés par les journaux et il déplore que « les réseaux sociaux viennent contrôler ce qu’on raconte ». Il en arrive presque à faire le procès de l’opinion publique trop sensible au « medias bashing », au complotisme et « au grand n’importe quoi répandu par Google ».
Que faire ?
Pour Chol, il faut « des marques d’info », et surtout « faire comprendre aux lecteurs ce qu’est l’info » pour retrouver des liens de confiance avec eux. Il ajoute : « tout le monde ne peut pas être journaliste ( … ) et être objectif, cela ne veut rien dire. Il faut donner des critères de lecture en permanence à nos lecteurs »(sic). Sinon qu’arrive-t-il selon lui : Trump «celui qui nous amène dans Orwell avec son équipe de communiquants ».
Regrettant qu’en France on mélange infos et commentaires – comme dans l’affaire Fillon – le patron de Reporters sans frontières donne un conseil : « restons dans nos métiers ». Il cite en exemple le journal Le Monde avec ses « 300 à 400 travailleurs de fond ». Il s’interroge aussi : « comment relever la tête ? », en visant avant tout « la jeune génération trop encline à tout gober sans regard critique » comme les rumeurs sur Macron. Le remède : « faire de la pédagogie, multiplier les interventions auprès du public scolaire » précisant : « c’est à nous de dire aux jeunes ce qu’est l’info ». 15 jours avant, à Nantes, le patron de SOS racisme Dominique Sopo, tenait exactement les mêmes propos.
Eric Chol est bien conscient que « si on ne s’adapte pas, on va crever ». Pour lui, le sujet de fond c’est « la fabrique de la désinformation qui brouille tout sur les réseaux sociaux ». Il cite en contre exemple le succès de son journal Courrier international qui « vend désormais plus que L’Express » et compte 20 000 abonnés à son édition numérique ainsi que la crédibilité retrouvée de Reporters sans frontières depuis le départ de Robert Ménard, «ce personnage qui a dérivé dans un sens qui ne fait pas honneur à ce qui a été RSF ».
Le débat avec la salle a permis à Eric Chol de préciser sa pensée. Il a un « grand modèle » : le New York Times. Interrogé sur les subventions gouvernementales à la presse, il aura une réponse lapidaire « joker ! » avant de se reprendre : « Euh, je pense qu’on en profite ». Et d’ajouter : « si on coupe tout, c’est la vérité des ventes, c’est un ballon d’oxygène qui permet à des canards boiteux de se maintenir ».
Dans 1984 Georges Orwell écrivait : «Il y avait la vérité, il y avait le mensonge, et si l’on s’accrochait à la vérité contre le monde entier, on n’était pas fou ». C’est précisément ce que démontrent tous les jours les médias alternatifs.
François Cravic
Photo : DR
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