12/01/2017 – 08H45 Damas (Breizh-info.com) – Pendant que beaucoup étaient affairés à commenter, depuis Paris, la situation en Syrie et les agissements de Bachar el Assad, le média alternatif Boulevard Voltaire est parti sur le terrain, pour voir et rapporter. Nous avons interrogé Charlotte d’Ornellas, jeune pousse montante du journalisme, qui a rencontré le président syrien. Un nécessaire devoir de réinformation.
Breizh-info.com : Comment avez vous réussi à pouvoir interviewer Bachar el Assad ? Y a t-il une volonté de sa part de faire passer un message via les médias de réinformation ?
Charlotte d’Ornellas : J’accompagnais, comme les autres médias présents, la délégation des trois députés français (Thierry Mariani, Nicolas Dhuicq et Jean Lassalle) qui se sont rendus en Syrie, et notamment à Alep, pour se rendre compte d’eux-mêmes de la situation sur place. Une rencontre était organisée avec le Président Syrien et c’est dans ce cadre là que les médias français présents ont pu eux-aussi rencontrer et interviewer Bachar el Assad.
Dans son message à la France, ce dernier conseille lui-même aux Français de ne pas croire ses médias mainstream « décrédibilisés » et de chercher la vérité sur ce conflit dans « les médias alternatifs ».
Voila maintenant des années que je me rends en Syrie et que j’essaie de porter une voix différente sur la situation, sans tomber dans l’excès médiatique qui résume systématiquement cette guerre à un affrontement entre gentils et méchants.
J’ai essayé de rendre compte de la situation, de sa complexité, de déconstruire les mensonges ou omissions médiatiques avec des arguments tangibles mais surtout et avant tout de donner la parole aux Syriens, grands oubliés de ce conflit soit-disant alimenté pour que triomphe la démocratie… quelle ironie !
Et j’ai rarement vu un fossé aussi profond entre ce que j’ai pu voir sur le terrain ces 4 dernières années et ce qui était livré dans la plupart de nos médias, très honnêtement. J’ai fait mon travail je crois, tout simplement, et j’ai donc été invitée à cette interview au même titre que les autres médias. Peut-être la présidence syrienne se doutait-elle aussi que l’interview serait retranscrite intégralement et sans commentaire par un média alternatif, plus facilement que par d’autres médias sans cesse préoccupés de donner leur avis personnel que personne ne demande.
Breizh-info.com : Vous êtes allés à Damas, quelle est la situation sur place ? La guerre est elle terminée ?
Charlotte d’Ornellas : À Damas, la vie a repris depuis déjà quelques temps, mais la guerre n’est pas finie malheureusement, non. Les habitants sont privés d’eau et d’électricité par les « rebelles » qui occupent la région de Wadi Barada, non loin de Damas et source d’eau de la capitale syrienne. Le procédé est courant, ces faux rebelles mais vrais terroristes l’ont également utilisé à Alep pendant les cinq dernières années.
Et la situation est préoccupante parce qu’il y a quelques jours, l’Etat islamique faisait exploser le très gros complexe gazier d’Hayan… Le manque d’électricité ne risque pas de s’arranger. Je suis également allée à Alep, pendant quelques jours avant Noël ainsi qu’avec la délégation des parlementaires français.
Alep est sans doute la ville en Syrie qui illustre le mieux la désinformation médiatique sur ce conflit. Non la ville n’est pas rasée, et non la population n’a pas été exterminée par l’armée syrienne.
Les autorités estiment – maintenant que la ville est totalement reprise par l’armée syrienne – que 15% de la ville est totalement détruite, et que le même pourcentage est à restaurer. On estime par ailleurs à 30.000 le nombre de morts dans cette ville de 3 millions d’habitants.
C’est bien trop évidemment, c’est toujours trop et la guerre est atroce, nous sommes tous d’accord là-dessus mais précisons-le pour les professionnels de la mauvaise foi.
C’est bien trop, mais ce n’est ni toute la ville, ni toute la population. Précisons par ailleurs que de nombreux Aleppins sont morts sous des obus rebelles et que leur vie n’a jamais intéressé personne pendant ces cinq ans de guerre.
L’actualité de cette ville n’a jamais été traitée que par l’affectif, à grand renfort de tweets larmoyants d’une petite fille impeccablement bilingue et dont personne ne sait rien.
Sur le terrain, peu de gens. Notons d’ailleurs que les seuls journalistes à être allés sur le terrain pendant la guerre sont aussi ceux qui ont le discours le plus équilibré sur la situation… Cela devrait éveiller les esprits les plus endormis.
Oui, la ville d’Alep a été libérée, et il est absolument évident que ceux qui prétendent le contraire dressant leur morale déconnectée de la réalité n’ont pas mis les pieds à Alep depuis 2012.
Breizh-info.com : Avez-vous pu discuter avec la délégation française présente sur place ? Y’a t’il un espoir d’un changement de dialogue avec la Syrie en cas de changements lors des prochaines élections en France ?
Charlotte d’Ornellas : J’ai bien entendu pu discuter avec les trois députés présents en Syrie, et qui s’étaient déjà rendus sur place d’ailleurs, malgré les tombereaux d’injures qu’ils ont essuyé à chaque fois. On préfère sans doute des députés qui dissertent sur un terrain dont ils ignorent tout, la main sur le cœur et les larmes aux yeux, à des députés qui font l’effort de se rendre sur place…
Ces députés ont l’espoir d’observer un changement de politique étrangère sur le dossier Syrien en cas de changement de majorité oui. Jean Lassalle est candidat à la présidentielle et souhaite le rétablissement immédiat des relations avec la Syrie.
Thierry Mariani et Nicolas Dhuicq soutiennent le candidat LR François Fillon qui lui aussi souhaite le rétablissement des relations avec le gouvernement Syrien, avec lequel il n’est pas tendre par ailleurs. Mais il s’agit sans doute là de la définition même de la diplomatie : si cette dernière ne permet la discussion qu’avec des « amis » (parfois infréquentables sans que personne ne semble gêné d’ailleurs), elle est inexistante.
Mais ce mercredi matin, François Fillon semblait changer d’avis, en affirmant lui aussi que rien ne se ferait sans un départ de Bachar el Assad. Un volte-face complet par rapport à sa campagne. Les Syriens ont appris à se passer du gouvernement français totalement disparu des négociations tant il refuse d’adapter ses positions à la réalité… Ils continueront à s’en passer, pour le plus grand mal de la France. Mais si François Fillon change d’avis aussi abruptement, il est certain que nos trois députés ne cesseront pas de porter leurs convictions sur le sujet. Ils l’ont déjà prouvé par leur persévérance malgré l’inconfort médiatique d’une telle entreprise.
Breizh-info.com : Comment expliquez vous le traitement de l’actualité syrienne par la presse mainstream, qui semble profondément décalée par rapport à la réalité du terrain ?
Charlotte d’Ornellas : Il y a sans doute de nombreuses explications qui différent selon les médias et les journalistes. Pour certains, la raison est évidemment politique : hors de question de s’opposer à la diplomatie française alors même qu’il est du devoir d’un journaliste de le faire si la réalité le nécessite.
Il existe chez certains une mauvaise foi palpable.
Pour d’autres, c’est sans doute l’ignorance du terrain et le lavage de cerveau de leurs confrères ou aînés… Le procédé n’est pas nouveau, ils ont pourtant eu l’Afghanistan, l’Irak ou la Lybie. Mais ces politique désastreuses justifiées par des mensonges avérés n’ont pas encore servi de leçon.
Le problème majeur aura été de ne pas aller suffisamment sur le terrain, ou de remettre en cause ce que certains ont pu y voir. Il y a eu une campagne tellement agressive contre le gouvernement Syrien des le début du conflit que tout a été mélangé. L’armée syrienne est devenue « l’armée de Bachar », les civils apeurés par l’islamisme des « soutiens de Bachar », les villes sous contrôle d’Etat (ce qui est normal dans un pays souverain) sont devenues des « villes aux mains du régime Syrien »… La diabolisation n’aide pas à la réflexion et la Syrie en a été indéniablement victime.
On se fiche de savoir ce que l’un ou l’autre journaliste français – et je m’inclus dedans bien entendu – pense de Bachar el Assad, et les Syriens plus encore que quiconque car la véritable question n’est plus là depuis longtemps.
Aujourd’hui les Syriens se battent contre l’islamisme qui gangrène le pays, et l’armée syrienne est en première ligne.
C’est un fait, pas mon avis. Il est criminel d’avoir fermé les yeux sur l’évolution de cette opposition que tous ont continué à soutenir quasiment romantiquement. Parce que les centaines de milliers de morts sont le résultat d’une guerre que trop de gens ont alimenté. Que l’interview du president en place fasse autant parler d’elle, qu’on en soit encore à se demander s’il fallait la faire ou non est surréaliste : Bachar el Assad est en place que ca plaise ou non, il est un acteur incontournable du conflit et quiconque veut sincèrement la paix – pour que les morts cessent de s’ajouter aux morts justement – doit avoir à cœur de rétablir des relations diplomatiques avec lui, pour parvenir à une solution politique.
On reproche aux députés de se rendre sur place, mais quel est le résultat de cinq ans de moraline sur nos plateaux de télévision ? Toujours plus de morts, rien de plus.
Propos recueillis par Yann Vallerie
Photo : wikimedia commons (cc)
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5 réponses à “Bachar el Assad : Charlotte d’Ornellas raconte sa rencontre avec le président Syrien [interview et vidéo]”
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[…] : Breizh Info] Bachar el Assad. François Fillon redevient Premier ministre de Nicolas […]
[…] Extrait de: Source et auteur […]
On sait aussi que c’était une demande de ses opposants qui manifestaient, à l’époque, pacifiquement.
Vous savez parfaitement que les revendications islamistes n’étaient qu’une facette des manifestations syriennes. Preuve en est, les premières concessions d’Assad était sociales. Comme en Tunisie, en Egypte ou en Libye, l’islamisme s’est emparé du mouvement, facilité en cela par les amnisties d’Assad. Mais comme en Libye, en Tunisie ou en Egypte, l’islamisme radical ne se serait pas imposé.
En Egypte, les frères musulmans ont été rapidement mis en cause par la population, ce qui a permis le coup d’Etat de 2013.
En Tunisie, Enardha a réussi à se maintenir en tant que grand parti politique grâce à son éloignement progressif des frères musulmans.
En Libye, les islamistes doivent se battre sont les djihadistes, contre les libéraux, contre les d’autres djihadistes, selon leur appartenance à une tribu, leur allégeance à un chef de guerre ou hommes politiques, tout ça dans un pays où la charia était déjà fortement ancrée dans la société.
Bref, s’il est naïf d’imaginer que les révoltes arabes de 2011 n’étaient que le fruit de démocrates avides de culture occidentale, il est tout aussi naïf de n’y voir qu’un soulèvement 100% islamiste.