Cette série invite à la rencontre de vignobles confidentiels empreints d’une haute valeur patrimoniale. Menacés de disparition sous les assauts conjoints de la crise du phylloxera et de la déprise rurale, ils ne doivent leur survie qu’au travail et à la passion de quelques vignerons engagés dans la résurrection des vignes du passé. Reflets exacerbés du particularisme d’un lieu, la redécouverte de ces micro-vignobles récompense l’amateur du plaisir si particulier de boire un vin ayant la saveur de l’Histoire.
Le no wine ‘s land de Brézème
Tout vinophile féru de syrah convoite un jour le plaisir de déguster les plus beaux représentants des grandes appellations des côtes-du-Rhône septentrionales. Mais pour un esprit pétri de hiérarchie viticole, il est fort probable que l’évocation du méconnu vignoble de Brézème puisse revêtir une sonorité moins alléchante en regard de la haute dignité d’une côte rôtie ou d’un hermitage. Pourtant, si son nom échappe à la connaissance du grand public, le brézème garde la réputation d’être le sanctuaire d’une syrah très distinguée. Même la bureaucratie de l’INAO a dû faire cas de la spécificité de ce cru dépourvu de toute reconnaissance administrative : par tolérance le nom de Brézème figure fièrement sur l’étiquette en l’absence de toute appellation-villages (une demande est à l’instruction).
Ce mini terroir est situé à la croisée entre les terroirs dédiés à l’impériale syrah au nord de Valence et les vignobles des côtes-du-Rhône méridionales métissés de grenache et autres cépages sudistes. Au confluent de la Drôme et du Rhône, le beau paysage viticole de la vallée rhodanienne s’interrompt, la plaine alluviale ne déroule que des cultures de plein champs .En surplomb, esseulés au beau milieu d’un vacuum viticole, quelques coteaux escarpés portent sur une petite trentaine d’hectares une vigne isolée de tout.
Le domaine de référence : Domaine Lombard ,Eric et Emmanuelle Montagnon.
Moins d’une dizaine de vignerons se disputent la rude exploitation de coteaux pentus en lutte contre la friche forestière. Après la crise du phylloxera, l’entretien des murets de pierres sèches a été négligé et les terrasses ont été laissées à l’abandon .Mais depuis peu, un jeune couple de trentenaire s’engage dans la réfection des terrasses vieilles de plus d’une centaine d’années. Au lieu- dit la « tour du diable », coteau le plus escarpé de Brézème, les terrasses sont remontées pierre à pierre dans un travail de replantation de la mythique parcelle entamé depuis 2002.Il y a un vin de paysage derrière l’œuvre de recolonisation du coteau et celui qui aura pris le temps de s’imprégner du magnifique panorama de l’escarpement commandé par la Tour du Diable, ajoutera à son plaisir gustatif, la contemplation d’un lieu inspiré par le travail de l’homme.
La parcelle de la Tour du Diable, petit « Hermitage » de Brézème, appartient au domaine Lombard une propriété historique estimée des amateurs pour la traditionnelle cuvée « Eugène de Monicault » issue du coteau de Fongrand.
En 2012, Julien et Emmanuelle Montagnon ont repris les rênes du domaine Lombard naguère conduit par Jean-Marie Lombard .Résolument engagés dans la biodynamie, ils ont fait le choix du cheval de trait pour l’entretien de leurs fragiles terrasses et pratiquent des vinifications exemptes de tout interventionnisme. La cuvée Eugène de Monicault offre un vin pourvu d’une délicieuse acidité peu commune chez une syrah rhodanienne, de telle sorte que sa densité et son extrême intensité ne fatiguent à aucun moment la dégustation. Nulle lourdeur dans ce vin vif, épuré et follement complexe qui rivalise sans coup férir avec les dispendieuses cotes-rôties .Quant à la grande et microscopique cuvée de la Tour du Diable (1000 cols), vinifiée en grappe entière pour un surcroît de matière, elle se montre à l’égale du grand Hermitage.
Chez un caviste de Lyon, j’ai succombé à une vieille envie de déguster la cuvée Eugène de Monicault non par goût mais pour l’individualité d’un terroir qu’elle défend depuis si longtemps. Sans la lecture du très beau livre de Jacques Morel consacré aux vins insolites, je n’aurais en toute logique, jamais pris le risque de consacrer 20€ à un simple côtes-du-Rhône qu’il n’est pas .Je suis venu à ce vin par la culture ; que ces lignes perpétuent l’apprentissage du vin par et pour le goût de l’Histoire.
Raphno
Crédit photo : DR
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Une réponse à “Ces vins que nous avons oubliés. Brézème, sanctuaire d’une syrah très distinguée”
MERCI pour cet article – moi qui ne suis pas connaisseuse en vin, je vais essayer