24/11/2016 – 09H15 France (Breizh-info.com) –: « Moi, Daniel Blake » est le dernier film du célèbre réalisateur britannique Ken Loach. A travers les mésaventures de deux Anglais » de souche » à Newcastle upon Tyne, c’est un quasi documentaire sur l’Angleterre périphérique selon la thèse de Christophe Guilluy dans son livre » La France périphérique « .
Ken Loach avait reçu la palme d’or du festival de Cannes en 2006 pour » Le vent se lève « , une vision honnête et réaliste de la guerre d’indépendance de l’Irlande. Fait exceptionnel, il l’a encore obtenue en 2016 avec ce film sociologique dans la veine de « My name is Joë » ou de » Sweet sixteen « .
Avec son talent habituel et la complicité de son scénariste habituel, Paul Laverty, il sait camper en trois plans ses personnages, le menuisier anglais Daniel Blake, magnifiquement interprété par Dave Johns, ou Katie, la jeune mère célibataire abandonnée, jouée par Hayley Squires. De même, la scène au Job Center rend immédiatement sensible le drame vécu par ces deux exclus du système.
Ce film raconte leur rencontre improbable lors de leur démarche dans ce centre de Newcastle upon Tyne. Après un accident cardiaque le privant de son emploi, pour la première fois de sa vie, Daniel doit faire appel à l’aide sociale. Katie vient d’arriver de Londres avec ses deux enfants. Pour éviter le placement en foyer, elle a du accepter ce logement à 500 kilomètres de sa ville et de sa famille. L’un comme l’autre vont se trouver confrontés au mur d’une administration déshumanisée qui leur impose des parcours inaccessibles. Cela les conduira au déclassement malgré la solidarité dont ils feront preuve l’un pour l’autre.
Ce tableau social décrit, en fait, la situation des » petits blancs « , qui ne savent pas s’adapter à la société libérale libertaire. Daniel a toujours travaillé sérieusement, respecté les lois, payé ses factures en temps et en heure. C’est sa fierté et son honneur. Ces valeurs sont devenues étrangères dans l’Angleterre contemporaine. Elles ne lui servent à rien pour obtenir l’aide dont il a besoin. Il lui faudrait maîtriser l’informatique qu’il ignore et qui est le passage indispensable pour remplir et suivre les dossiers exigés par le » Job center « . Son jeune et sympathique voisin africain a, lui, su s’adapter. Il importe des chaussures de Chine en toute illégalité, qu’il vend au noir en gagnant ainsi sa vie. Katie a suivi la mode des relations libres et se retrouve seule avec deux enfants de père différent. Sa famille est le prototype du foyer monoparental, qui vit sous le seuil de pauvreté. Pourtant, elle aussi garde sa dignité. Elle se bat pour ses enfants en transformant au mieux le logement insalubre qu’elle a reçu des services sociaux.
En situant son récit à Newcastle, située au nord du pays loin des grands centres mondialisés, Ken Loach décrit bien cette Angleterre périphérique, selon la notion créée par Christophe Guilluy. Son industrie a disparu. Les emplois sont maintenant dans l’administration et le commerce de détail. Peuplée à 90% de blancs selon le recensement de 2008, elle concentre une population pauvre dans les anciens faubourgs ouvriers.
Contrairement à la majorité des cinéastes français, Ken loach sait montrer la réalité au delà de tout aveuglement idéologique. Avec » Land and Freedom « , il avait décrit l’élimination des militants anarchistes et trotskistes par les communistes pendant la guerre civile espagnole. Avec » Just a Kiss « , il avait montré les limites de la société multiculturelle et multiethnique. Avec » Moi, Daniel Blake « , il s’agit des conséquences désastreuses pour le peuple de la société mondialisée. A voir absolument.
Louis Cruau.
Photo : DR
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