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Proche-Orient. Sykes-Picot : un accord imaginaire

L’accord Sykes-Picot est à la mode. Le journalisme ignorant y entend une partition géopolitique du moyen-orient opérée par la France et la Grande-Bretagne en 1916. Voilà qui serait la cause de tous les problèmes du Proche-Orient. Pas de chance. Il n’a jamais existé d’accords Sykes-Picot, et le contenu de leurs discussions écrites n’a jamais été suivi d’effets. Henry Laurens, professeur d’histoire contemporaine du monde arabe au Collège de France, l’a montré de longue date. Sir Mark Sykes était fonctionnaire au Ministère de la Guerre, à Londres, et François Georges-Picot, consul de France à Beyrouth. Leur mission commune, confiée par leurs administrations respectives : dessiner un partage des territoires arabophones à reprendre à l’empire ottoman à la fin de la guerre, territoires qui deviendraient des zones d’influence soit anglaise soit française. Voire russe, puisque l’empire des tsars, qui participe à l’effort de guerre, a des visées sur Constantinople, orthodoxie oblige.

Les deux fonctionnaires préparent donc un dossier qui sera, en mai 1916, la base d’un échange de courriers diplomatiques entre Paul Cambon, ambassadeur de France à Londres, et sir Edward Grey, titulaire du Foreign Office, le ministère britannique des Affaires étrangères. Cet accord Cambon-Grey – et non pas Sykes-Picot – n’est qu’une épure, en attente d’être avalisée par les gouvernements russe et italien sous la forme d’un Traité quadriparti.

Une première négociation a pour cadre la ville savoyarde de Saint-Jean-de-Maurienne, au terme de laquelle l’Italie, en septembre 1917, est réputée recevoir la région de Smyrne pour consolider son contrôle des ports de la Méditerranée orientale. Il n’y aura pas de seconde négociation : la révolution bolchevique d’octobre 1917 modifie la donne du côté russe. Le contenu des accords préparatoires Cambon-Grey est même publié en novembre 1917 dans la Pravda, après que le gouvernement ottoman, toujours en place puisqu’il n’a pas encore perdu la guerre, en ait été averti. A la même époque, la déclaration Balfour (2 novembre 1917), précisant que le Royaume-Uni se prépare à installer un foyer juif en Palestine, modifie de son côté une partie essentielle des accords préparatoires du partage des influences.

avril-1920-la-conference-de-san-remo

Il faut attendre la conférence de San Remo, en avril 1920, pour que soit consacrés la chute de l’empire ottoman et la répartition des zones d’influence, lesquelles n’ont plus aucun rapport avec les discussions Sykes-Picot, ni avec les accords Cambon-Grey qui n’ont fait l’objet d’aucun traité. Comme l’a fait remarquer Henry Laurens, la dévolution de Gibraltar, Malte, Alexandrie, Bagdad et Bassora au Royaume-Uni répond à une obsession propre à l’administration de la Couronne, qui ne pouvait en aucun cas être d’actualité en 1916, mais beaucoup plus en 1920 : il s’agit là des escales d’une route aérienne vers l’empire des Indes, laquelle répond à l’une des révélations techniques de la Grande Guerre, à savoir l’importance militaire et civile de l’aviation.

Quant aux frontières provisoirement définitives, elles ne sont fixées qu’en août 1920 par le Traité de Sèvres, signé par le gouvernement d’Istambul. Pour une courte durée : il est remis en question en juillet 1923 par le Traité de Lausanne, puisque entre temps une révolte déclenchée par Mustafa Kemal à partir d’Ankara a consacré l’indépendance d’une Turquie nouvelle. Et Kemal, dont le pays a perdu la guerre, gagne sa part de paix en s’entendant avec les bolcheviques pour partager les territoires kurdes que le Traité de Sèvres prévoyait d’ériger en État indépendant, pour dépecer l’Arménie, et pour récupérer, de l’autre côté du Bosphore, une part de la Grèce orientale, ce qui provoque la migration vers la Grèce d’un million et demi d’hellénophones de Turquie, et la conversion islamique forcée de 300 000 restants.

Une grande partie des conflits territoriaux et ethniques contemporains dans la région proche-orientale trouve sa source dans les traités de cette époque-là. Mais c’est sur une carte sans rapport avec les accords Cambon-Grey, contrairement à ce qui se dit dans les gazettes. A une nuance près : la partie de Syrie qu’à conquis le groupe État Islamique (EI) l’an dernier, et qu’il est en train de perdre, correspond en gros aux territoires dévolus à l’influence française. Ce qui ne constitue pas une contestation des accords Cambon-Grey, ni des réflexions Sykes-Picot jamais appliquées, mais plutôt la confirmation de leur intérêt, à une modification près : leur attribution à l’EI, par l’EI lui-même. Une forme d’hommage…

Jean-François Gautier

Photo : DR
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4 réponses à “Proche-Orient. Sykes-Picot : un accord imaginaire”

  1. Yves Lancien dit :

    Trois religieux se retrouvent à prouver leur foi en sautant du deuxième étage de la tour Eiffel.
    Le catholique se signe, saute, crie Jésus 10 fois et s’écrase.
    Le boudhiste fait des incantations, saute, crie Bouddha plusieurs fois et une main invisible le dépose délicatement au sol.
    Le média fait ses incantations, saute et crie Moschee Moschee Moschee Bouddha Bouddha Bouddha…

  2. andre unterberger dit :

    Le texte est tres precis, mais la carte induit a nouveau en erreur. En effet, elle semble laisser croire qu’un Etat de Palestine et
    un Etat de Transjordanie ont existe cote a cote, vers 1920. Il n’en est bien entendu rien. Il y avait un territoire (geographiquement,
    la reunion des deux juste cites) qui portait le nom (purement geographique) de Palestine, sur lequel la Grande-Bretagne avait mandat.
    Elle en a extrait, en 1920 ou 1921, la partie orientale, dont elle a fait l’Etat de Transjordanie. Elle a continue a exercer une
    souverainete coloniale sur le reste du territoire jusqu’en 1948: celui-ci, malgre les plans de partage (a nouveau) et les guerres que l’on sait, continue a etre l’objet de disputes entre Israel et le monde arabe.

  3. Luc Perrin dit :

    Un article des plus curieux : il est justifié en bien des circonstances de critiquer les media généralistes souvent peu doués en matière d’histoire et de géographie mais l’exemple est des plus mal choisis. Le principe de « l’épure » – c’est est une en effet – dite Sykes-Picot est très simplement un partage d’influence entre le Royaume Uni et la France dans cette région du Proche Orient en anticipant la défaite et la disparition de l’empire ottoman. Les péripéties pour savoir si tel village et tel canton sont allés à l’une ou à l’autre se déroulent ensuite on en convient avec J-F. Gautier : sa mise au point précise est fort intéressante à cet égard. Il reste, et pour une fois les media ont entièrement raison, que la carte a été bien modelée en fonction d’un partage sous couverture (mandat) de la S.D.N. par ces deux pays France et Royaume Uni. Je trouve l’article intéressant mais son titre inutilement provocateur. J’imagine RTL faisant un cours de 3 heures pour résumer l’évolution de la Syrie-Liban, Irak, Palestine … quand les sujets de politique, d’économie et de relations internationales majeurs y sont évacués en 2-3 minutes au mieux. Même France Culture peinerait à dégager 3 heures dans sa grille annuelle, au mieux l’été avec les « Grandes traversées ». Dire Sykes-Picot est donc une manière de résumer en queques secondes une idée juste que M. Laurens n’a jamais réfutée à ma connaissance : la région a connu à l’issue de la Première guerre mondiale un partage entre une zone sous influence française et une autre sous influence britannique. Pour l’obsession anglaise de la route des Indes elle est très antérieure (très !) à 1920-1921 : un Français devrait se souvenir de Ferdinand de Lesseps et du protectorat britannique sur l’Egypte et donc la surveillance du canal de Suez.
    ps. contrairement à ce qui est écrit, pour le coup à tort, le Home national juif de 1917 ne change RIEN à la répartition des zones d’influence anglaise et française puisque situé dans le territoire de Palestine bientôt sous mandat britannique ; ce n’est par ailleurs qu’un « Foyer » et pas une entité de type étatique qui reste partie intégrante du futur mandat S.D.N. palestinien. C’est la décision de 1947 de l’O.N.U. qui partage l’ancien mandat en 2 états l’un juif, l’autre arabe palestinien. La Transjordanie est liée aux mésaventures de la dynastie hachémite dont les Britanniques soutenaient les prétentions à devenir Gardienne des lieux saints et qui a été battue par la dynastie rivale fondée par Ibn Séoud créant l’Arabie Séoudite.

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