18/11/2016 – 07H00 – Paris (Breizh-info.com) – Jean-Christophe Buisson, directeur adjoint du Figaro Magazine, vient de publier aux éditions Perrin un ouvrage superbe intitulé « 1917, l’année qui a changé le monde ». A quelques mois du centenaire de cette année fondamentale dans l’histoire de l’Europe, celui qui est également présentateur de « Historiquement show » sur la chaîne Histoire a réalisé un travail particulièrement sérieux. Un livre qui contient de nombreuses illustrations qui raviront les amateurs.
1917 est une année cardinale non seulement dans le déroulement de la Première Guerre mondiale mais plus largement dans l’histoire du monde. 1917, c’est d’abord l’année des deux révolutions en Russie, prélude à la fondation du premier État communiste et au développement d’une idéologie qui bouleversera tout le XXesiècle. C’est aussi l’année où, pour la première fois, les États-Unis interviennent militairement en Europe, inaugurant leur leadership sur la planète.
1917, c’est également l’année de la déclaration Balfour, qui promet aux Juifs la création d’un État ; l’apparition de la notion de « guerre totale » ; l’émergence du mouvement dada et l’invention du terme de surréalisme. Mais aussi et encore : la naissance de l’art conceptuel, le premier disque de jazz, la création de la Coupe de France de football, l’épopée de Lawrence d’Arabie, les apparitions de la Vierge à Fatima, les exploits aériens de « l’as des as » et du « baron rouge »…
L’ambition de cet ouvrage novateur est de révéler tous ces aspects à l’aide d’une chronologie-monde sélective, très écrite, commentée et superbement illustrée. Une vingtaine de focus sont également proposés pour raconter les 1917 de personnalités en devenir : Hitler, Staline, de Gaulle, Churchill, Roosevelt, Mussolini, mais aussi Céline, Proust, Picasso, Marie Curie, Freud, Einstein et quelques autres.
En ressort la conviction que cette année sans pareille aura creusé la tombe de l’Europe des Empires au profit d’une nouvelle ère où la mondialisation de la puissance marchera de pair avec le progrès technique et la brutalisation des êtres.
Jean-Christophe Buisson est également l’auteur de plusieurs ouvrages chez Perrin, dont Mihailovic et Assassinés. Il a également codirigé Les grands duels qui ont fait la France (avec Alexis Brézet) et Les Derniers Jours des reines (avec Jean Sévillia).
Jean-Christophe Buisson – 1917, l’année qui a changé le monde – Perrin – 24,9 € (pour commander le livre et aider breizh-info.com dans le même temps, cliquez sur l’image ci-dessous) :
Nous l’avons interviewé (ci-dessous)
Breizh-info.com : Pourquoi 1917 est elle une année qui a « changé le monde » ? N’avait-il pas déjà explosé en 1914 ?
Jean-Christophe Buisson : Avec le début de la première Guerre mondiale, 1914 fut sans conteste une année déterminante. Le monde bâti au lendemain de l’épopée napoléonienne menace de s’écrouler. Les empires russe, austro-hongrois, allemand et ottoman sont travaillés par des mouvements sécessionnistes tandis que le développement du système capitaliste semble avoir atteint une forme d’apogée, au risque de voir poindre une contestation sociale violente dont on ignore quelle forme elle prendra. Mais si les premiers mois de guerre sont le signe annonciateur évident de changements politiques ou diplomatiques majeurs, ils ne laissent en rien paraître l’ampleur de ces changements.
Ni le fait que tous les domaines seront touchés – culturels, spirituels, scientifiques, moraux; ni à quoi ressemblera le monde qui lui succédera. C’est en revanche le cas pour 1917, qui est en cela une année « décisive » pour reprendre un adjectif cher à Oswald Spengler, l’auteur du « Déclin de l’Occident ». Décisive dans le déroulement des opérations militaires avec notamment l’effondrement de la Russie, le débarquement américain, l’arrivée des tanks sur les champs de bataille, la déroute italienne à Caporetto ou la conquête de Bagdad et de Jérusalem par les Britanniques. Mais aussi d’un point de vue politique, diplomatique, social, économique, culturel ou scientifique. Surtout, on assiste cette année-là à la fin d’un monde, du « monde d’hier » comme l’écrivait et le écrivait Stefan Zweig, et en même temps à la naissance du monde de demain, le nôtre : techniciste, rationnel, déicide, hyperviolent, incertain, suicidaire. Le gaz moutarde dans les obus, la notion de « guerre totale » qui « autorise » l’attaque de civils au seul titre de leur nationalité ennemie, le développement d’armes et de moyens permettant des tueries de masse (avions, chars, sous-marins), l’idée de goulag : tout cela, c’est 1917…
Breizh-info.com : Quels sont, selon vous, les évènements les plus marquants de cette année 1917 ?
Jean-Christophe Buisson : Tout dépend de votre sensibilité personnelle. Selon que vous êtes un passionné de la chose militaire ou un pacifiste, un conservateur ou un progressiste, un cinéphile ou un sportif, un amateur d’art ou un féru d’exploits aériens, un observateur de la vie politique ou quelqu’un que les destins hors normes fascinent, vous retiendrez l’offensive alliée catastrophique du Chemin des Dames et la bataille d’Ypres ou le mouvement général des mutineries et la chanson de Craonne ; le retour au pouvoir de Clemenceau et de Churchill ou la création du système de délégués d’atelier, ancêtres des délégués du personnel, et les mobilisations des femmes en faveur de meilleurs droits sociaux et citoyens ; le triomphe de Charlie Chaplin et la projection du premier film d’animation de l’Histoire (argentin !) ou la création de la coupe de France de football (avec quelques clubs … anglais) ; le ballet « Parade », le développement du mouvement Dada, la naissance du surréalisme, l’urinoir de Duchamp, les tableaux extraordinaires de Klee, Vallotton, Grosz, Matisse, Kandinsky et Léger, ou la disparition tragique de Guynemer et les exploits du « baron rouge » Manfred von Richthofen ; le génie tactique de Lénine et de Trotski réalisant un coup d’Etat qui avait cent fois plus de chance d’échouer que de réussir ou les initiatives si audacieuses de Lawrence d’Arabie et de Gandhi.
Personnellement, je distingue quatre événements, tous inédits dans l’histoire du monde, qui me paraissent dominer les autres en ce sens qu’on ressent encore leur impact aujourd’hui : la révolution russe qui donne naissance à un Etat de type nouveau (totalitaire, régnant par la terreur) même si une ébauche en avait été réalisée en 1793 en France ; l’arrivée des Américains en Europe, inaugurant un nouveau statut de « gendarme du monde » et annonçant le leadership mondial qu’ils exerceront après 1945 ; la déclaration Balfour, qui promet aux Juifs un Etat en Palestine alors sous la coupe des Turcs ; la déclaration de Corfou qui envisage la naissance d’un pays regroupant les peuples slaves du sud de l’Europe, la Yougoslavie.
Breizh-info.com : Comment avez-vous procédé en tant qu’historien pour sélectionner votre chronologie ? Vous a-t-il semblé faire des choix difficiles ?
Jean-Christophe Buisson : Je me suis plongé dans des dizaines de récits et de biographies dans lesquels j’ai sélectionné les faits qui me paraissaient avoir une importance réelle pour le déroulement du conflit, l’histoire du pays où il a lieu ou le destin de la personne concernée, et ce même si ces faits n’étaient pas spectaculaires. Signaler que le gouvernement français interdit la consommation de viande deux fois par semaine n’a pas le même poids que le retour aux affaires de Clemenceau mais cela dit l’impact de la guerre sur l’arrière avec le système du rationnement.
Parallèlement, j’ai essayé d’être le plus complet possible en n’omettant aucun domaine, aucun continent, mais en hiérarchisant, par les textes ou les illustrations, les événements que je relate. En dehors de la chronologie, j’ai aussi souhaité ajouter une vingtaine de focus sur des personnalités majeures du XXe siècle qui n’ont pas fait l’Histoire en 1917 mais que l’Histoire a faites cette année-là : Hitler, Mao, Staline, Proust, Céline, Drieu La Rochelle, Marie Curie, Freud, Mussolini, De Gaulle, etc.
Breizh-info.com : 100 ans après, comment expliquez vous cette évolution si rapide de l’Europe et du Monde au regard de la longue durée de l’Histoire ?
Jean-Christophe Buisson : En se séparant de Dieu, en s’urbanisant massivement et en introduisant la technique dans tous les domaines, l’homme a enclenché un processus dont un des effets les plus frappants est l’accélération du temps. Avec le XXe siècle, nous cessons de vivre au rythme de la nature et des saisons mais devenons obsédés par la vitesse.
Tout doit aller plus vite : le rythme de travail, la voiture, la pensée, l’accession à la richesse ou au pouvoir. Avec cette folle certitude que demain sera mieux qu’hier. Résultat : entre 1917 et aujourd’hui, le monde a plus changé qu’entre le couronnement de Hugues Capet et l’affaire Dreyfus. Problème : cette accélération du temps s’est doublée d’un mouvement de massification. Avec des conséquences heureuses autant que désastreuses : le XXe siècle, c’est l’ére de la consommation de masse, de la guérison de masse de certaines maladies mais aussi de massacres de masse…
Breizh-info.com : Quels sont les ouvrages que vous lisez actuellement ? Que conseilleriez vous à nos lecteurs ?
Jean-Christophe Buisson : Je lis en ce moment « L’histoire du petit livre rouge » de Pascale Nivelle (Tallandier), qui nous rappelle l’aveuglement de bien de nos élites politiques et intellectuelles (Malraux, Mitterrand, Peyrefitte, BHL, Finkielkraut, etc) pour ce petit objet synonyme de millions de morts : Le « Dictionnaire nostalgique de la politesse » de Frédéric Rouvillois (Flammarion), dont le titre dit tout, et la biographie de Baden-Powell par Philippe Maxence (tempus) qui me fait presque regretter de ne pas avoir été scout quand j’étais enfant…
Ce sont trois lectures que je conseille avec celle de « Sur les chemins noirs » de mon ami Sylvain Tesson (Gallimard) qui est une ode vivante et habitée à cette France des campagnes défigurée par le monde moderne et qui ne veut pas mourir. Mais qui ne veut pas non plus vivre sous oxygène artificiel jacobin…
Photo : DR
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