En 1797, François-René de Chateaubriand, qui n’avait pas 30 ans, publiait son Essai historique, politique et moral sur les révolutions anciennes et modernes, considérées dans leurs rapports avec la Révolution française, titre couramment abrégé en Essai sur les révolutions. À l’issue d’un vaste examen de l’état de la religion en Europe, il affichait un pessimisme certain. « Le christianisme expirera en Angleterre dans une profonde indifférence », assurait-il. En France, il « subsistera encore longtemps » grâce à un clergé « presque aussi indigent » que le petit peuple – mais ce ne sera que partie remise.
L’écrivain breton en venait donc à se demander, dans son dernier chapitre, « Quelle sera la religion qui remplacera le christianisme ». On note l’emploi du temps futur. Un retour du paganisme ? « Jupiter ne sauroit revivre », assurait-il. Une religion nouvelle, alors ? « Peut-on supposer que quelque nouveau Mahomet, sorti d’Orient, s’avance la flamme et le fer à la main, et vienne forcer les chrétiens à fléchir le genou devant son idole ? La poudre à canon nous a mis à l’abri de ce malheur. »
Des larmes de sang
Illusion de la jeunesse, sans doute : dans une seconde édition, en 1826, Chateaubriand assortissait cette considération rassurante d’une note de bas de page condamnable sans doute (elle aurait pu lui valoir les foudres de la loi Gayssot si celle-ci avait existé de son temps), mais prophétique :
À l’abri de ce malheur ? « Non pas si les gouvernements chrétiens ont la folie de discipliner les sectateurs du Coran. Ce serait un crime de lèse-civilisation que notre postérité, enchaînée peut-être, reprocherait avec des larmes de sang à quelques misérables hommes d’État de notre siècle. […] Le monde mahométan barbare a été au moment de subjuguer le monde chrétien barbare ; sans la vaillance de Charles-Martel nous porterions aujourd’hui le turban. Le monde mahométan discipliné pourrait mettre dans le même péril le monde chrétien discipliné. Il ne faut pas pour cela autant de temps que l’on se l’imagine : dix ans suffisent pour former une bonne armée ; et puisque les Cosaques, sujets du czar, sont bien venus des murailles de la Chine se baigner dans la Seine, les nègres de l’Abyssinie, esclaves du Grand Turc, pourroient très bien venir aussi se réjouir dans la cour du Louvre. »
Ce texte paraît si sulfureux de nos jours que Google n’en révèle que deux citations depuis 2010. Mais il est vrai que les considérations sur l’islam ne manquent pas dans l’œuvre de Chateaubriand, au point que, paraît-il, dans certaines banlieues, certains lycéens refusent de l’étudier.
Erwan Floc’h
Crédit photo : portrait de Chateaubriand par Girodet, domaine public via Wikimedia
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