05/11/2016 – 07H45 Washington (Breizh-info.com) – Tout au long des élections américaines de 2016, retrouvez chaque vendredi l’analyse de Pierre Toullec, spécialiste de la politique américaine, en exclusivité pour Breizh Info. L’occasion de mieux comprendre les enjeux et les contours d’élections américaines finalement assez mal expliquées par la majorité de la presse subventionnée – sponsor démocrate de longue date. L’occasion également d’apprendre ce qui pourrait changer pour nous, Européens, suite à l’élection d’un nouveau président de l’autre côté de l’Atlantique.
Président Tim Kaine ? Une possibilité dès 2017 !
La campagne électorale américaine de 2016 se termine comme elle a débuté : sur des fonds de scandales et avec les deux candidats les plus impopulaires de l’histoire de ce pays.
Cependant, il n’est pas certain que l’un des deux ait réellement la possibilité de présider la première puissance mondiale. La question est particulièrement importante pour Hillary Clinton, encore une fois éclaboussée par les scandales liés à ses comportements vis-à-vis du secret défense.
Le fond de l’affaire
En tant que ministre des affaires étrangères (Secretary Of State), Hillary Clinton avait accès à des données particulièrement sensibles . Aux Etats-Unis, le contrôle de l’action du président et de l’ensemble du cabinet (gouvernement) est bien plus réglementé qu’en France : tous ceux qui travaillent de près ou de loin pour le pouvoir exécutif doivent utiliser des moyens de communication contrôlés par l’Etat.
Deux raisons sont invoquées : la sécurité, afin de savoir qui peut être coupable ou complice dans le cas d’une attaque, et la protection des citoyens, permettant ainsi de savoir quel membre du gouvernement a réalisé telle action pour potentiellement les condamner.
Pour Hillary Clinton, la possibilité que les électeurs jugent son comportement semble apparemment absurde. La « raison d’Etat » est plus importante.
En juin 2016, le FBI (Federal Bureau of Investigation) avait rendu un verdict perturbant vis-à-vis de Clinton. Son directeur avait affirmé en conclusions de l’enquête le 5 juillet 2016 que oui, elle avait bel et bien violé la loi mais qu’étant donné qu’elle n’avait pas l’intention de le faire, elle ne devait pas être poursuivie en justice.
En France, ce type de comportement de la part des institutions gouvernementales est hebdomadaire et un lecteur qui n’a vécu que sous le système judiciaire Français (même s’il est Breton ou d’une autre nationalité) pourrait être perplexe sur les raisons de ce scandale.
Pour le mettre en évidence, prenez cet exemple : vous grillez un feu rouge. La police vous arrête. Le commissaire confirme que vous avez grillé ce feu rouge et donc mis en danger la vie de ceux qui sont passés au vert. Mais ce même commissaire impose au juge de ne pas vous juger car vous n’aviez pas l’intention de violer la loi. Devez-vous être jugé et passer devant un jury ou bien le pouvoir exécutif doit-il avoir autorité et décider que vous ne devez pas passer devant le juge ?
Aux Etats-Unis comme sous les lois de la république Française, nul n’est censé ignorer la loi.
Lorsque James Comey a décidé publiquement de reprendre l’affaire le 28 octobre 2016 là où il l’avait laissée, cette action a choqué le monde politique et médiatique. Etait-ce une manœuvre délibérée de sa part ou pour détruire la candidature de Hillary Clinton ? Ou bien est-ce légitimement nécessaire suite aux découvertes liées à l’enquête sur Anthony Weiner ?
Cette question posée par les démocrates est scandaleuse non pas par le fond de la question mais parce qu’ils défendent la « raison d’Etat ». Cela fait partie de leur idéologie en corrélation avec Rousseau, Marx et Roosevelt. Pour eux, la raison d’Etat est toujours supérieure à l’individu sauf – apparemment – quand l’individu en question défend leurs idées. Uniquement dans ce cas, l’individu semble plus important que la raison d’Etat.
Lock Her Up!
Face à ces scandales politiques, le Parti républicain américain parvient à s’unir enfin autour de son nominé davantage par volonté de bloquer l’élection de la candidate démocrate que par amour du milliardaire New-Yorkais. En effet, les sondages montrent clairement que ceux qui prévoyaient de voter pour Hillary Clinton n’ont pas modifié leurs intentions. Le changement vient des indécis de droite, qui ont été remotivés par cette nouvelle affaire et s’affirment prêts à voter pour son adversaire. L’affaire a fait que les deux candidats « majeurs » sont désormais à égalité dans les sondages.
Le slogan « Lock Her Up », c’est-à-dire « mettez-la en prison », scandé par les soutiens du nominé républicain, n’est pas nouveau. Dès 2013, le parti d’Abraham Lincoln et ses représentants ont réclamé un réel jugement de l’ex-première dame pour ses actions avec l’espoir d’une condamnation similaire à celle de Scooter Libby, conseiller du vice-président Dick Cheney, en 2007.
« Hillary La Pourrie » peut-elle éviter la prison ?
La présomption d’innocence fait qu’il est difficile d’affirmer aujourd’hui que Hillary Clinton sera jugée coupable et condamnée à une peine de prison.
Si elle remporte l’élection présidentielle, il reste plus que probable qu’elle puisse se retrouver à devoir démissionner peut-être même avant le 20 janvier 2017 ! En effet, ses manipulations politiques et l’utilisation illégale de fonds dédiés à des œuvres caritatives pour son enrichissement personnel et pour le financement de ses campagnes électorales et celles de ses proches sont bien plus graves que les quelques mouchards placés à l’ordre de Richard Nixon à l’hôtel du Watergate ou des mensonges et prouesses sexuelles de Bill Clinton à la Maison Blanche. Le poids politique d’une telle affaire et la simple possibilité d’un vote qu’elle pourrait perdre pourraient être suffisants pour la forcer à démissionner avant que le Sénat ne se prononce sur son cas, même si aucun jugement n’a été rendu.
Qu’elle démissionne ou bien que la procédure d’impeachment soit un succès, Tim Kaine prendrait alors immédiatement sa place (sauf si, malheur de la vie ou procédure similaire contre lui à la même date, il était obligé de démissionner ou dans l’incapacité d’exercer ses fonctions). Il est très peu probable qu’un président Kaine laisse l’une de ses amies proches et la première femme présidente des Etats-Unis aller en prison. Il faut ajouter que la très grande proximité de Bill Clinton et du Président Obama dans l’affaire de ces e-mails pourrait entrainer une enquête similaire et les mettre tous les deux aussi sur le chemin de la prison.
Le (potentiel) président Kaine ne laissera pas les trois derniers présidents démocrates risquer la prison. Il signera immédiatement un pardon pour Hillary Clinton pour s’assurer qu’aucun des trois complices soupçonnés ne s’approchent des barreaux.
A quoi ressemblerait une « Présidence Tim Kaine » ?
Qui est Tim Kaine ? Connu des milieux politiques et des élites de Washington DC, en dehors de la Virginie les électeurs ignorent qui est ce catholique libéral sur les mœurs mais anti-avortement et anti-mariage homosexuel. Le bref aperçu qu’il a donné lors du débat pour la vice-présidence fut particulièrement négatif et à peine regardé par les américains . Seuls 11% d’entre eux ont branché leurs téléviseurs pour regarder son affrontement raté contre Mike Pence.
Pourtant, savoir qui il est est extrêmement important pour l’avenir du monde et de la Bretagne. En réalité, le pouvoir exécutif américain a bien moins de pouvoirs qu’en France. Si une enquête judiciaire est réellement mise en place, Hillary Clinton pourrait se voir obligée d’abandonner son poste. Si cela arrive, la question de la date est particulièrement importante.
Ce ne sera pas avant le 8 novembre 2016. Si les électeurs décident de l’élire, cela peut tout changer sur le processus d’ici à son entrée au pouvoir le 20 janvier 2017. Au mois de décembre, les gouverneurs des différents Etats vont rencontrer leurs gouvernements et les candidats aux postes de « grands électeur » pour déterminer leur nomination (validée par le système first-past-the-post. Revenez sur Breizh Info mardi pour une explication détaillée du fonctionnement électoral américain !).
Suite à cela, les « grands électeurs » voteront avant le 3 janvier pour déterminer le résultat final de l’élection. Or, si ce scandale lié à Hillary Clinton s’aggrave, ces grands électeurs pourraient décider de ne pas voter pour la candidate démocrate, aggravant le risque de ne pas avoir de président élu avant la fin du mandat du président Obama le 20 janvier prochain.
S’ils décident de ne pas voter pour Clinton malgré le vote des citoyens, tout autre candidat peut se retrouver président. Mais même s’ils votaient pour la démocrate par crainte de faire s’effondrer le système politique américain, Hillary Clinton pourrait se voir forcer d’abandonner la présidence. La question reste : quel sera l’impact de ce nouveau scandale d’ici au 3 janvier ? Si les grands électeurs décident de respecter le vote des citoyens en cas de victoire de la gauche, alors Hillary devrait devenir présidente des Etats-Unis avec la possibilité qu’elle démissionne ou soit virée dans les jours suivant son accès au poste.
En effet, les républicains sont déjà en marche. Au Congrès, les élus parlent d’impeachment « on day one », le premier jour. Cela pourrait être compris comme le 20 janvier 2017. En réalité, les plans sont déjà en place pour que dès le 9 novembre 2016, les républicains puissent passer à l’offensive pour la mise en place d’un impeachment de Hillary Clinton dès les premières heures suivant son élection potentielle.
Dans cette perspective, Tim Kaine aurait très peu de pouvoirs. Tout comme le président Gerald Ford, il n’aurait que peu de légitimité. Homme de pouvoir mais surtout élément du système, les événements anti-Washington de 2016 feraient de lui une marionnette qui aura du mal à lutter contre les parlementaires – plus légitimes que jamais.
A quoi ressemblerait une présidence Tim Kaine ? Probablement à une parenthèse, avec un président sans pouvoirs qui – sauf événement de grande échelle – serait remplacé dès 2020 par un président de l’opposition.
Pierre Toullec
Photo : Wikimedia commons (cc)
[cc] Breizh-info.com, 2016 dépêches libres de copie et diffusion sous réserve de mention de la source d’origine