Cet été, le quotidien Le Télégramme a publié en feuilleton la bande dessinée Nuit noire sur Brest. Celle-ci décrit l’histoire méconnue d’un commando nationaliste qui a tenté, en 1937, de s’emparer dans le port de Brest d’un sous-marin espagnol pour le livrer à Franco ! Celle-ci vient de sortir en album.
Dimanche 29 août 1937. Endommagé par un bombardement, le sous-marin espagnol C2, du camp républicain, quitte la zone des combats pour se réfugier en France. Il fait surface au milieu des eaux brumeuses du port militaire de la rade de Brest. Des réparations sont nécessaires. Mais en raison de la neutralité officielle du gouvernement de Front populaire dans la guerre civile qui secoue l’Espagne, le préfet refuse toute assistance technique et ordonne au sous-marin de mouiller dans le port.
L’équipage du sous-marin est républicain, mais son commandant Jose Luis Ferrando Talayero reste favorable à Franco. Il doit composer avec Antonio Amador, un commissaire politique communiste d’esprit totalitaire, obsédé par la lutte contre les Fascistes. Jose Luis Ferrando Talayero consigne son équipage à bord et débarque en ville. Il devient vite un habitué de l’Ermitage, un dancing où travaillent de très jolies entraîneuses. Il y est séduit par une ancienne connaissance, la belle Mingua. Mais celle-ci est en réalité une espionne nationaliste. Elle fait partie d’un commando dirigé par Julian Troncoso, officier franquiste. Celui-ci veut, en effet, s’emparer du sous-marin en s’appuyant sur les militants locaux du Parti social français du colonel de la Rocque et de La Cagoule d’Eugéne Deloncle.
Mais dans la ville de Brest, les forces de gauche, syndicalistes, communistes et anarchistes en tête, s’organisent pour protéger le sous-marin du coup de main franquiste. Ils reçoivent l’aide du mystérieux agent X-10, envoyé à Brest par le service secret espagnol anarchiste de la CNT (Confédération nationale du travail).
Dans la nuit du 18 au 19 septembre 1937, le commando nationaliste parvient à monter à bord du sous-marin avec la complicité de son commandant. Mais il sera neutralisé et ses membres arrêtés. La justice les condamnera à une courte peine pour détention d’armes.
Le scénariste brestois Kris s’était déjà intéressé à la ville de Brest, dans la bande dessinée » Un homme est mort « (Futuropolis), avec Étienne Davodeau, décrit le monde ouvrier des années 1950.
Il s’intéresse aujourd’hui, avec le lorientais Bertrand Galic, professeur d’histoire, déjà scénariste de la bande dessinée » Le cheval d’orgueil « (Editions Soleil), à la période de l’avant-guerre. En effet, à Brest, en 1937, la guerre d’Espagne s’invite en Bretagne. Le sous-marin devient un objet de convoitise, avant-goût d’un conflit qui ravagera toute l’Europe quelques années plus tard. Pour décrire ces événements, Kris s’est appuyé sur l’essai » Nuit franquiste sur Brest » de l’historien Patrick Gourlay, paru aux éditions Coop Breizh en 2013. Il a fait des recherches dans les archives locales et nationales, dans la presse de l’époque. Il a également interrogé des anciens brestois qui se souvenaient de ces événements. Puis il a bâti une fiction pour faire découvrir au grand public cette histoire méconnue : un commando franquiste tente de s’emparer d’un sous-marin du camp républicain en affrontant des militants communistes et anarchistes brestois.
On découvre dès les premières pages la dictature idéologique qui règne au sein de l’équipage républicain du sous-marin, sous la direction de son commissaire politique. Puis sont dévoilés les liens entre le mouvement franquiste et différents courants nationalistes français.
L’intrigue se révèle complexe, notamment en raison du grand nombre de personnages. Elle impose une lecture lente et attentive. Mais le scénario reste fluide.
Le jeune dessinateur Damien Cuvillier parvient à reproduire l’atmosphère du port de Brest pendant l’avant-guerre. Il s’y est déplacé à plusieurs reprises. Pour une fois dans le monde de la bande dessinée, il a pris le temps d’effectuer de sérieuses recherches pour dessiner le Brest de 1937, et non celui d’aujourd’hui.
Prenons l’exemple de la gare de Brest, achevée peu de temps avant l’arrivée du sous-marin, dans un style Art déco. Le bas-relief en granit rose qui orne la tour représente des sujets évoquant la Bretagne (sculpteur Lucien Brasseur). Dans la bande dessinée, ce bas-relief est intact, puisque la partie haute a été endommagée postérieurement, au cours de la Seconde Guerre mondiale.
On découvre Brest de jour comme de nuit, et notamment le cinéma Omnia ou encore l’Ermitage, ancien dancing de la rue Colbert. Pour les scènes d’intérieur de l’Ermitage (actuellement Le Stendhal), Damien Cuvillier a même utilisé une maquette réalisée par l’ancien propriétaire.
On avait déjà apprécié son talent dans la bande dessinée » les souliers rouges » (Editions Grand angle), décrivant la lutte entre résistants et soldats allemands, en 1944, dans le bourg de Saint-Nicolas-du-Pélem (Côtes-d’Armor). Ses couleurs directes sont particulièrement bienvenues, en particulier dans les scènes d’intérieur.
En fin d’album, un dossier historique rédigé par Patrick Gourlay rappelle ce fait historique méconnu.
Nuit noire sur Brest, 80 pages, 16 euros, Editions Futuropolis.
Kristol Séhec.