Le temps est venu : ou l’Europe implosera et n’aura été qu’un rêve, ou les Européens prendront en mains leur propre avenir.
Des questions se posent. Avons-nous réellement mesuré les conséquences du Brexit et de la crise des réfugiés, celles d’une rupture entre les citoyens et leurs institutions, entre le peuple et les élites technocratiques de l’intégration européenne.
Que s’était-il passé pendant tant d’années ? Les élites politiques nationales avaient trouvé tout simplement en l’Union européenne un moyen de s’affranchir, dans leur prise de décisions, des contraintes de la délibération parlementaire. La recherche de consensus entre États-membres, principe de fonctionnement interne de l’Union, favorisait en effet la prise de décision « behind closed dors », dans les couloirs, entre lobbys. Ainsi, seuls 3 % des textes législatifs communautaires ont fait l’objet d’un débat parlementaire en assemblée plénière entre 2009 et 2013.
Dans le même temps, les élites nationales – au premier rang desquelles les membres des gouvernements, des cabinets ministériels et de la haute administration – ont acquis par leur participation aux négociations communautaires une légitimité qui leur a permis de concurrencer la légitimité démocratique. Cette légitimité nouvelle et surprenante ne provenait pas d’un vote du parlement mais de la recherche ardue de consensus entre les gouvernants européens. La démocratie de la délibération populaire se fondait dans celle du consensus bureaucratique.
Or au départ, la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) ainsi que la Communauté économiques européenne (CEE) ont été pensées comme un moyen de renforcer et non de supplanter l’État-nation. Par la suite, les processus d’approfondissement et d’élargissement sont apparus comme relevant des stratégies des gouvernants nationaux pour faire face à certaines de leurs difficultés – économiques notamment, mais aussi politiques. Les gouvernants des États-membres ont alors fait le choix de se soumettre, dans le domaine économique au néo-libéralisme le plus cru proposant et initiant alors un ensemble de règles communautaires qui démantelaient en fait l’agriculture et les industries nationales au profit d’une financiarisation dirigée en grande partie et paradoxalement par la City de Londres.
Un néo-constitutionnalisme des Juges
Nos gouvernants ont été obligés de faire primer les règles du droit sur la délibération et la décision politiques. Ils ont alors instauré un néo-constitutionnalisme des Juges. De même, l’adoubement démocratique par l’Europe des anciens pays de l’Est a clos le débat politique des années 60 et 70 : la transition vers une économie de marché ne pouvait être discutée puisqu’elle était nécessaire à l’adhésion.
La confiance envers les élites politiques nationales s’est perdue. Dès les années 1950-1960, certains se sont opposés au projet européen, l’intégration européenne étant notamment perçue surtout par les partis communistes français et italiens comme renforçant l’influence américaine sur l’Europe de l’Ouest. À la fin des années 1980, les critiques les plus virulentes de l’UE sont venues de l’extrême-droite, le communisme européen se perdant dans le no-border d’un socialisme mondialiste et non-identitaire. A cela s’est ajouté la faible influence de l’UE sur la scène internationale incapable de défendre et de définir ses frontières (l’illimitation de l’élargissement), de proposer la dissolution de l’Otan et de créer une vraie défense européenne. Il y avait bien un hymne européen, un drapeau européen mais personne ne demanda aux écoliers le lundi matin de le saluer ou de le chanter. De plus dans une telle Europe abstraite où la Nation était dissolue et reniée, le devoir de se battre et de risquer sa vie pour son pays ne constitue plus le socle du contrat social. Le service militaire national a été abrogé. Il n’y a pas d’armée européenne. Dès lors, comment penser développer collectivement une politique étrangère fondée sur la puissance ?
Les attentes de la puissance
Depuis le Brexit, on entend dire partout qu’il faut plus d’Europe sociale. Ce n’est pas si sûr. Souhaite-t-on soviétiser l’Europe et la transformer en machines à taxes ? L’attente des Européens n’est en fait pas là. Les attentes citoyennes à l’égard de la politique européenne sont les attentes de la puissance. Plutôt que d’insister sur l’incapacité de l’UE à gérer l’économie (laissons cela à l’initiative privée), posons d’une seule voix et avec force la nécessité d’une indépendance européenne sur la scène internationale. Il est plus utile de considérer la politique étrangère de l’Union comme la contribution essentielle au développement d’une identité européenne que de vouloir la socialiser encore plus.
Contrairement à ce qu’on entend un peu partout, l’UE n’est pas la cause de la rupture entre les citoyens et leurs élites mais elle constitue en fait le paravent derrière lequel les gouvernants nationaux se cachent pour éluder le fait qu’ils en sont responsables et qu’ils sont irresponsables. Il ne s’agit surtout pas de « démanteler » l’UE qui pourtant risque fortement de l’être. Démanteler l’UE ne suffira pas à revigorer la vie démocratique nationale.
Les problèmes de la démocratie en Europe ne proviennent pas de l’UE mais d’une classe politique qui s’est défaussée certes par paresse et arrivisme matériel mais qui aussi parce que totalement américanisée, elle sert délibérément et sciemment d’autres intérêts. Il ne faudrait donc surtout pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Il ne s’agit surtout pas d’abandonner l’idée d’Europe, ni même l’UE comme institution. Il s’agit de refondre l’Europe en un nouveau projet.
En quoi donc le démantèlement de l’UE pourra-t-il permettre de redynamiser la vie démocratique des États qui la composent ? Le débat est peu développé en France alors qu’il a opposé ces dernières années Jürgen Habermas, pour qui l’intégration de l’Europe doit être poussée plus avant afin que s’établisse une véritable démocratie supranationale avec des dirigeants élus au niveau européen, à Wolfgang Streeck, qui prône la fin de la zone Euro pour revigorer le lien démocratique au niveau national et établir une primauté du politique sur l’économie. Habermas propose une fuite en avant mondialiste sur fond d’éthique communicationnelle, une dépolitisation en réalité du citoyen par l’idéologie de la communication et l’archéo cosmopolitisme du gouvernement mondial. Streeck propose de renationaliser ce qui a été dissous et digéré. Engageons-nous plutôt dans la dynamique en gestation de l’Intermarium (axe Baltique-Mer noire-Mer Adriatique) et avançons dans une recomposition de l’Europe.
Voyons plus loin, continuons l’Union européenne et proposons la voie impériale, une voie impériale du XXIème siècle qui ne sera ni napoléonienne, ni celle des Habsbourg.
Michel Lhomme, philosophe, politologue
Source : Métamag
3 réponses à “L’Europe à construire : vers la voie impériale ?”
Cet article est intéressant au niveau de l’analyse. Il est plus faible au niveau de la faisabilité du projet, car il suppose une modification de l’UE par l’intérieur -ce qui est impossible par construction.Personne ne peut modifier l’UE par l’intérieur. Donc, si on l’estime mauvaise, seule solution: la quitter et reconstruire.
recomposition de l’Europe !! l’Europe c’est l’Europe, l’union européenne de Walter Halstein c’est une autre chose-
regardez le site de l’UPR – François Asselineau – www;upr.fr
On ne voit pas comment l’Union Européenne pourrait se réformer et devenir démocratique. L’auteur ne nous l’explique pas non plus, d’ailleurs ! Quant à l’invocation d’une voie impériale dont il ne nous dit rien, elle ne nous est pas d’un grand secours, c’est le moins que l’on puisse dire.
Les empires ont toujours été des prisons pour les peuples; nous en avons un exemple concret sous les yeux : l’actuel empire monétaire européen qui nous mène tout droit à l’affrontement entre Européens (comme son prédécesseur, l’empire dit de l’Europe Nouvelle de 1944 – 1945, cet empire monétaire vise à intégrer les Européens par la force et au prix de grandes souffrances dans une structure a-démocratique, comme le montre le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz dans son dernier ouvrage), comme ce fut le cas de l’Empire des Habsbourg qui s’acheva par la première guerre mondiale. Quant à l’empire romain, il fut, pour nos ancêtres les Gaulois (eh oui !) un carcan dont ils tentèrent de se débarrasser au cours d’innombrables révoltes (les bagaudes; voir à ce sujet le livre de l’historien Joël Schmidt »Les Gaulois contre les Romains »). Quant aux empires coloniaux, ils furent de véritables catastrophes pour les peuples colonisés mais aussi pour les colonisateurs.
Oublions ce système calamiteux qui, de plus, mène en général à l’uniformisation culturelle et construisons une association étroite de peuples européens en »anneaux olympiques » c’est à dire un ensemble d’associations visant à la réalisation de projets concrets (un système de défense commun; un marché commun; un projet industriel d’importance; un programme de recherches ambitieux……) tout en laissant aux peuples la possibilité d’adhérer ou non à ces différentes associations. Au lieu de rêver à un empire forcément grandiose, il serait plus utile de mettre en oeuvre, avec l’assentiment des peuples concernés, des projets plus modestes mais plus réalistes et plus conformes aux volontés populaires et, de ce fait, plus efficaces. Ne perdons plus notre temps avec des projets irréalistes.