25/10/2016 – 05H45 Budapest (Breizh-info.com) – À l’automne 2006, la Hongrie a connu des émeutes inédites depuis la chute du rideau de fer en 1989, suite à la révélation des mensonges électoraux du Premier Ministre de gauche de l’époque, Ferenc Gyurcsány. Les émeutes et la période de troubles qui ont suivi ces révélations constituent un acte fondateur dans la vie politique contemporaine de la Hongrie. Sans connaître ces événements, il n’est pas possible de comprendre la domination actuelle du Fidesz de Viktor Orbán dans la vie publique hongroise.
Nicolas de Lamberterie a interrogé acteurs et témoins de l’époque à l’occasion du dixième anniversaire de ces événements. Ont été interrogés pour ce documentaire (par ordre d’apparition) :
– György Budaházy, activiste nationaliste
– Adrián Magvasi, « Magi », rédacteur en chef de Alfahír
– Tamás Polgár, « Tomcat », bloggeur
– Márton Gyöngyösi, député (Jobbik)
– László Toroczkai, fondateur du HVIM, maire de Ásotthalom
– István Lovas, journaliste (Magyar Hírlap)
– Máriusz Révész, député (Fidesz)
– Ferenc Almássy, journaliste franco-hongrois (Visegrád Post)
– Tamás Gaudi-Nagy, avocat, fondateur du Service de Protection Juridique Patriote (NJSz), ancien député (Jobbik)
– András Schiffer, avocat, ancien député (LMP)
– Mariann Őry, journaliste (Magyar Hírlap)
Trois questions à Nicolas de Lamberterie :
Breizh-info.com : Pourquoi avoir réalisé ce reportage sur la Hongrie ?
Nicolas de Lamberterie : Les événements de l’automne 2006 constituent une césure majeure dans la vie politique contemporaine de la Hongrie. Sans les connaître et les comprendre, il n’est pas possible de comprendre pourquoi la droite conservatrice de Viktor Orbán domine la vie publique hongroise et a remporté toutes les élections depuis octobre 2006.
Ces événements ont en leur temps relativement peu attiré l’attention en Europe occidentale, et la couverture médiatique qui en a été faite à l’époque était assez biaisée. Elle consistait à mettre la responsabilité exclusive des troubles et des violences sur les manifestants ou sur le chef de l’opposition d’alors, Viktor Orbán.
Il était également intéressant de réétudier avec recul ces événements, en recueillant le témoignage de plusieurs témoins et acteurs de cette période agitée.
Breizh-info.com : Dix ans après, on a l’impression que la société a été profondément transformée et est devenue apaisée. Est-ce le cas ?
Nicolas de Lamberterie : Il est certain que par rapport à 2006, la société hongroise est davantage apaisée. Ce n’est toutefois guère difficile d’être plus apaisé, dès lors qu’une décennie plus tôt des manifestants assiégeaient la télévision publique ou volaient un char d’assaut T34, tandis que la police violentait aveuglement de simples badauds.
Le changement le plus notable est l’effondrement de la gauche, qui n’est jamais parvenue à sortir la tête de l’eau depuis. Cette situation pourrait bien encore perdurer, d’autant que la gauche est divisée en plusieurs factions et ne dispose pas d’un leadership clair.
Breizh-info.com : Quelles perspectives pour la Hongrie dans vingt ans, selon vous ?
Nicolas de Lamberterie : Comme l’ensemble des pays anciennement socialistes, la Hongrie n’a pas été économiquement gagnante lors du changement de régime. Si peu de monde regrette la dimension dictatoriale de l’ancien régime, en revanche la transition économique est loin d’avoir été aussi réussie qu’on ne l’imagine pour le niveau de vie de la population.
Le passage du capitalisme monopolistique d’État à une forme de capitalisme occidental mâtinée de féodalisme s’est fait par un phénomène brutal de privatisation. L’ancienne classe communiste dirigeante a redistribué en son sein – ou liquidé à son profit à des investisseurs étrangers – l’essentiel de ce qui constituait la richesse et la capacité productive autochtone des pays communistes.
Les aides européennes ont permis de construire un remarquable réseau autoroutier en Europe centrale. Soit. Mais à quoi bon, si ce n’est pour mieux amener en Allemagne des millions de travailleurs est-européens qui manquent cruellement à la démographie de leur pays, et plus facilement ramener les marchandises produites par les usines délocalisées qui emploient les locaux à des salaires misérables?
Un sondage de 2014 montre qu’une majorité de Hongrois pense que le changement de régime ne leur a économiquement pas été favorable : seulement 26% affirment vivre mieux que sous le socialisme, 20% au même niveau, et 44% plus mal que sous l’ancien régime. De même, ceux qui pensent que le changement de régime valait la peine ne sont que 47%, contre 39% qui sont d’un avis contraire.
Hormis le prix d’achat et de location des logements, le coût de la vie en Hongrie n’est pas très différent de celui de la France (en province tout du moins). Très concrètement, lorsque vous travaillez à temps-plein, que vous gagnez 400€ par mois, et que le coût d’un véhicule, d’un plein d’essence, d’un ordinateur ou d’un objet électroménager est le même qu’en Europe occidentale, eh bien la vie est difficile.
La Hongrie est passée sous la barre des 10 millions d’habitants, et encore doit-elle son relatif maintien démographique à l’émigration des minorités hongroises des pays voisins. Elle compte près de 500.000 des siens à l’étranger, qui fuient les très bas salaires. C’est l’importante numérique des communautés hongroise et polonaise qui contribue notablement à ce que Londres ait encore un visage vaguement européen.
Bref, vous l’aurez compris, même si ce pays suscite de nombreux espoirs politiques à l’étranger en raison de son refus des vagues migratoires qui se déversent de toutes parts sur l’Europe, en revanche économiquement et démographiquement la situation est loin d’être idyllique.
Il est possible toutefois qu’à mesure que l’Europe occidentale sera déstabilisée par les flux migratoires, le chaos multiculturel et la menace terroriste, l’Europe centrale soit identifiée par des investisseurs ou par des civils à la recherche d’un repli comme un endroit où il fait bon vivre.
Mais la faiblesse relative de l’Europe Centrale, et donc de la Hongrie – qui reste soumise à de nombreuses pressions extérieures – font qu’il reste difficile de prédire dans l’instabilité internationale actuelle ce que ces pays voudront et seront en capacité de faire de leur destin dans les prochaines décennies. Toutefois, au regard de la déréliction de l’Europe occidentale, la simple volonté d’avoir encore un destin qui émane de ces pays constitue déjà en soi une source de lumière au milieu des ténèbres qui n’ont jamais semblé aussi prégnantes.
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