Breizh-info vous propose désormais une chronique hebdomadaire intitulée « 7 films à voir ou à revoir » et réalisée par Virgile pour le Cercle Non Conforme, qui nous a donné son accord pour reproduire le texte.
Cette semaine, 7 films à voir ou à revoir sur le thème de Cuba
Quasi toutes anciennes possessions espagnoles, rien ne prédestinait les Îles Caraïbes à bénéficier d’un tel prestige chez nos contemporains européens. Pas les meilleurs, peut-être, on le concèdera. Plus que la Jamaïque et le reggae, plus que les Bahamas et son tourisme de luxe, plus que les Îles Caïmans et son opacité financière, plus que la République Dominicaine et sa Mecque des couples fraichement mariés et bientôt divorcés, plus que toutes les autres et surtout de Haïti, Cuba est très certainement l’île bénéficiant de la plus grande sympathie. Le communisme exotique de Fidel Castro et d’Ernesto Guevara, passé à la postériorité sous le surnom du Che, y aura largement contribué. Toute l’île garde la mémoire du souvenir révolutionnaire, qu’il semble lointain néanmoins, par des milliers de fresques, il est vrai remarquables, disséminées ça-et-là sur les murs des villes et campagnes.
La Havane ou le Belfast latino! Symbole de l’antiaméricanisme aux Amériques, l’île avait avant cela conquis son indépendance contre l’occupant espagnol lorsqu’éclatait la Guerre de dix ans qui démarra en 1868. Indépendance relative. Les Etats-Unis ne manquèrent pas, à leur habitude, d’intervenir dans la lutte pour l’auto-détermination de l’île pour mieux l’occuper de 1898 à 1902, puis de 1905 à 1909. Les Américains définitivement chassés au début du 20ème siècle, l’ingérence américaine ne cessa pourtant guère jusque 1934 et plus tard, plus officieusement, jusque l’arrivée au pouvoir de la guérilla castriste le 1er janvier 1959 qui déchoit le dictateur Fulgencio Batista. Très tôt reconnu diplomatiquement par les Etats-Unis, Castro demeurait l’objet de toutes les convoitises américaines, alliées à plusieurs milliers de cubains anticommunistes qui avaient pris le soin de fuir l’île.
La nationalisation des avoirs étrangers est le prétexte du misérable débarquement de la Baie des Cochons du 17 au 19 avril 1961. Si l’embargo est décrété par les Etats-Unis, la première puissance mondiale renonce à toute intervention militaire quand bien même elle craint l’alignement progressif de Cuba sur le bloc soviétique. Cuba aurait d’ailleurs pu devenir un nouveau Sarajevo lorsque le dépêchement par la Russie sur l’île de trente-six missiles nucléaires, l’année suivante, faillit plonger le globe dans la Troisième Guerre mondiale. Progressivement, les relations entre Cuba et la puissance américaine se normalisent autant que le bloc de l’Est vacille et que la santé de Castro décline.
Cuba, c’est aussi une série de clichés qui courent du cigare au rhum en passant par le mambo et le cha-cha-cha ou les automobiles américaines hors d’âge qui défilent dans La Havane. Bien évidemment, le cinéma cubain ou sur Cuba privilégia les bouleversements sociaux qui ne manquèrent pas de radicalement transformer la société lorsqu’elle entreprit sa mutation d’une société traditionaliste sud-américaine pour s’adapter au dogme marxiste. Mais il n’est pas aisé de s’extirper de son identité latine, quand bien même l’on souhaite contribuer à l’émergence de l’Homme nouveau. Mal connu en France, le cinéma cubain mérite pourtant que l’on s’y attarde à bien des égards. Et l’on y découvre une société attachante un peu en-dehors du temps…
ADIEU CUBA
Titre original : The Lost city
Film américain d’Andy Garcia (2005)
1958 à Cuba. L’île vit sous le régime autoritaire et militaire de Batista. La contestation gronde dans les champs de canne à sucre et dans la jungle de la chaîne de montagnes orientale. Emmenées par le duo Castro et le Che, les guérilleros du Mouvement du 26 juillet se préparent à une irrésistible avancée sur la capitale havanaise. C’est justement à La Havane que Fico Fellove dirige El Tropico, le plus élégant cabaret de la ville. Soucieux de n’être impliqué dans aucun tumulte tandis que ses frères et amis se déchirent, Fellove n’entend que mener le combat de l’amour pour conquérir le cœur d’une femme. Mais en des temps aussi troublés, il n’est pas aisé d’observer la plus stricte neutralité. El Tropico va devenir, malgré son propriétaire, un lieu de toutes les passions révolutionnaires…
Acteur passé derrière la caméra pour la première fois avec cette réalisation, Garcia prend le risque de se lancer dans le projet ambitieux de la reconstitution d’une grande fresque familiale s’étendant de la fin de la dictature militaire à l’exercice du pouvoir par les rebelles communistes. Né à La Havane en 1956, Garcia ne connut son île que les cinq années qui précédèrent l’exil de toute sa famille en Floride. Pari risqué donc que son enfance meurtrie prenne le pas. Adieu Cubasonne comme une thérapie et le cinéaste ne laisse le soin à personne d’interpréter le rôle principal. L’écriture du scénario par l’écrivain anticastriste Guillermo Cabrera Infante ne fait pas mystère d’un certain anticommunisme coloré de belles nuances dans un film dénonçant les légitimes aspirations progressistes du peuple vite trahies par la nature tyrannique du régime soutenu par Moscou. L’œuvre présente une tendre et nostalgique évocation d’un Cuba disparu auquel Garcia demeure plus fidèle qu’à Fidel. Malgré une certaine indolence et un trop grand académisme, le cinéaste y met toutes ses tripes et transforme l’essai.
LES AVENTURES DE JUAN QUIN QUIN
Titre original : Aventuras de Juan Quinquín
Film cubain de Julio Garcia Espinosa (1967)
Juan Quin Quin est un ancien sacristain. Avec Jachero, les deux amis sont inséparables. Sa vie? Il la gagne en exerçant les professions les plus improbables, parmi lesquelles, enfant de chœur, clown, montreur de fauves, démonstrateur de foires, torero ou dans des combats de coq. Dans ce Cuba mené par le régime autoritaire de Batista, les deux originaux ne cessent de se heurter aux autorités policières. Alors décident-ils de rejoindre les forces révolutionnaires castristes. Loin d’être motivés uniquement par une parfaite adhésion aux thèses progressistes de la Révolution, les deux compères sont surtout séduits par l’opportunité de continuer leurs pérégrinations de saltimbanques. Quin Quin est nommé chef d’une bande de guérilleros combattant dans les montagnes. Plus anarchiques qu’anarchistes mais rétifs à toute discipline, les menées révolutionnaires de nos compères ne se révèlent guère couronnées de succès…
S’inspirant du roman Juan Quin Quin en pueblo mocho de Samuel Teijoo, Garcia Espinosa, castriste convaincu, livre un curieux western picaresque qui constitue l’un des fleurons du vieux cinéma cubain. Il est vrai que cette comédie violente offre de belles images de la ruralité cubaine. Par ailleurs, le réalisateur ne manque pas d’imagination en faisant figurer à l’écran des bulles, à la manière de la bande dessinée, dans lesquelles le spectateur lit les pensées des protagonistes. Si ces intentions sont louables, le film paraitra néanmoins confus, irrégulier et maladroit à bien des égards. On rit quand même en maintes occasions.
CHALA, UNE ENFANCE CUBAINE
Titre original : Conducta
Film cubain d’Ernesto Daranas (2014)
Chala est un jeune adolescent de douze ans aussi débrouillard qu’espiègle. Elevé par une mère manquant d’amour pour sa progéniture, l’éducation est évidemment assez lâche. Chala est ainsi livré à lui-même dans La Havane de notre époque mais ne manque jamais de prendre soin de sa mère alcoolique et toxicomane. Pour rapporter quelque argent au sein du foyer, l’enfant élève des chiens de combat. Il aurait tôt fait de devenir un voyou sans le soutien que lui témoigne son institutrice sexagénaire Carmela qui veille sur toute sa classe avec la même dévotion que sur ses propres enfants. Chala a également l’âge des premiers émois amoureux. Sa camarade Yeni est l’heureuse élue. Grâce à elles, l’adolescent semble finalement gagner un droit chemin. Mais Carmela est bientôt terrassée par une crise cardiaque. Sans son ange gardien, Chala doit faire face seul aux services sociaux qui veulent l’enfermer dans une maison de correction…
Daranas livre un très intéressant métrage doté d’une incroyable énergie douce-amère et désinvolte à l’image de son jeune héros! L’énergie du film, c’est en cela que le réalisateur prend totalement le contre-pied du sombre mélodrame. Film magnifiquement servi par le duo de personnages principaux. Profitons-en pour leur tirer un coup de chapeau tant il n’est pas impossible qu’on ne les retrouve guère sur les écrans français: Armando Valdes Freire en Chala et Alina Rodriguez en l’institutrice bourrue et emplie de compassion. Au-delà de ce duo, c’est Cuba qui est le troisième personnage principal. Cuba qui ne s’en sort plus d’une Révolution agonisante oppressant l’île de sa tentaculaire bureaucratie. Cuba, le Paradis coco-latino plongé aussitôt dans la misère, ne parvenant pas à gommer les différences de classe. Aux séides du régime font face la pauvreté des cubains, l’abandon de la jeunesse et de ceux sombrés dans la marginalité. De belles images enfin… A voir !
FRAISE ET CHOCOLAT
Titre original : Fresa y chocolate
Film cubain de Tomás Gutiérrez Alea et Juan Carlos Tabio (1991)
1979, Diego est un homme cultivé menant une vie de bohême dans la capitale. Diego aime profondément son île, sa culture et… les hommes. David, lui, est tout le contraire. Il est étudiant en sciences sociales et hétérosexuel fraichement désavoué en amour. Sa courtisée en a épousé un autre. Il est, en outre, adhérent aux Jeunesses communistes. A la terrasse d’un glacier, Diego et David se rencontrent par hasard. Bientôt invité par l’artiste, le révolutionnaire découvre un univers qui lui est étranger et étrange. S’ils se revoient, c’est surtout parce que David soupçonne le bohême de dissidence et est chargé de l’espionner. Petit à petit, les deux hommes vont apprendre à se connaître dans un curieux jeu de dupes. Et le militant gay ne tardera pas à tomber amoureux de son espion. Quant à David, il devine que leurs oppositions de vues ne sont pas un obstacle à une amitié naissante bien qu’il refuse plus si affinités. A plus forte raison, Nancy la prostituée voisine de Diego gagne le cœur de l’étudiant…
Inspiré de la nouvelle El Bosque, el lobo y el hombre nuevo de Senel Paz, le duo de réalisateurs livre un film dans lequel un militant gay initie un étudiant communiste aux plaisirs interdits. Nullement ceux de la chair mais bien la littérature et les arts conspués par le régime castriste. En retour, le révolutionnaire pénètre dans un univers épicurien qui remet progressivement en question l’orthodoxie de son idéal politique. Le film ne manqua pas de créer la polémique dans un Cuba oscillant entre un machisme traditionnel et une homophobie encouragée par le pouvoir qui affirme l’homosexualité comme contre-révolutionnaire dès 1965. Nul militantisme gay dans ce film ouvertement anticastriste et constituant un pamphlet contre l’intolérance, l’œuvre ne sombre pas pour autant dans la caricature mièvre et se laisse agréablement regarder.
MEMOIRES DU SOUS-DEVELOPPEMENT
Titre original : Memorias del subdesarrollo
Film cubain de Tomás Gutiérrez Alea (1968)
La junte militaire de Batista vient de s’effondrer une année plus tôt à La Havane. Sergio Carmona Mendoyo voit d’un mauvais œil ce changement de régime. Sa famille d’extraction bourgeoise désormais émigrée à Miami depuis la confiscation de la totalité de leurs biens, l’intellectuel décide de ne pas quitter son île natale. L’avènement d’un régime communiste entraîne de nombreux bouleversements politiques et économiques. Sergio ne se sent décidément guère à l’aise, tiraillé qu’il est entre la dictature militaire qui ne recueillait guère ses faveurs et l’échec de la justice sociale du nouveau pouvoir qu’il a tôt fait de deviner. Peut-on être heureux à Cuba? Sergio se livre à une forte introspection et entreprend la rédaction de ses mémoires dans lesquels il passe en revue son passé et ses amours avec son ancienne femme et Elena, son nouvel amour. C’est avec cette dernière qu’il semble retrouver quelque bonheur. Mais refusant de l’épouser, Sergio se voit dénoncé aux autorités par la famille de la jeune femme…
Sergio est-il le cubain par procuration que Gutiérrez Alea aurait pu être ? Lui-même, issu d’une famille bourgeoise ayant fui l’installation de Castro? En tout cas, le roman original d’Edmundo Desnoes semble avoir été écrit pour lui. A travers le prisme de son héros, c’est l’histoire sociale de ces quelques années remuée de fond en comble qui intéresse le cinéaste qui procure à cette œuvre une remarquable mise en scène. Tourné en plein temps fort du castrisme et influencé par le néo-réalisme italien, pays dans lequel le réalisateur séjourna deux années durant, les Mémoires de Gutiérrez Alea demeurent l’un des documents sociopolitiques les plus intéressants sur le castrisme. Quasiment tombé dans l’oubli bien que considéré comme le chef-d’œuvre du cinéma cubain, le film renaît grâce à une restauration financée par… George Lucas, pourtant peu suspect de sympathie pour cette Guerre des Etoiles rouges ! Il serait dommage de bouder son plaisir et de ne pas le voir désormais.
LA PREMIERE CHARGE A LA MACHETTE
Titre original : La Primera carga al machete
Film cubain de Manuel Octavio Gómez (1969)
La tension monte en ce mois d’octobre 1868 dans la province d’Oriente. La puissance espagnole ne le sait pas encore mais vient de débuter une guerre longue de dix années. Un avocat et gros propriétaire terrien, Carlos Manuel de Cespedes, est l’organisateur de la rébellion visant à bouter la domination hispanique hors de l’île. Retranchés dans la ville de Bayamo, les indépendantistes opposent une résistance héroïque aux deux colonnes expéditionnaires espagnoles dépêchées dans le sud-est de l’île par le gouverneur Francisco Lerchundi. Face à la supériorité en hommes et en armes de l’occupant, les guérilleros cubains adoptent diverses techniques d’embuscade. Pour palier le manque de fusils et de poudre, c’est bientôt à la machette que les rebelles cubains affronteront les détachements de l’armée coloniale…
La première guerre d’indépendance de Cuba est un épisode héroïque totalement méconnu en Europe. Gómez a-t-il vu La Bataille de Culloden, réalisé par Peter Watkins, cinq années plus tôt? En tout cas, le réalisateur cubain utilise avec talent l’anachronisme de la mise en scène et la caméra portée à l’épaule pour offrir une consistance plus immersive, un peu à la manière d’un film tourné par un reporter de guerre, utilisant l’interview pour mieux faire comprendre au spectateur le déroulé du combat. Cinéaste documentaire avant de passer à la fiction, Gómez maîtrise parfaitement l’art de la mise en scène historico-journalistique. A ce titre, l’interview du gouverneur soucieux de mâter toute révolte nationaliste constitue un petit bijou. Film des plus intéressants donc, notamment, de par son exotisme latino. En revanche, ceux qui auront déjà visionné le Culloden de Watkins déploreront un goût amer de copié-collé, pour ne pas dire de plagiat…
RETRATO DE TERESA
Film cubain de Pastor Vega (1979)
La Havane à la fin de la décennie 1970. Teresa occupe le poste de chef d’équipe dans une entreprise textile dans laquelle elle est également déléguée syndicale et médiatrice culturelle. Rentrée du travail, c’est une autre journée qui commence avec l’intégralité des taches domestiques à accomplir, trois enfants et Ramón, un mari ombrageux qui reproche à son épouse le temps passé hors du foyer qu’il considère mal entretenu. Egoïstement, il refuse l’engagement révolutionnaire de Teresa au service du peuple. Un soir et une énième dispute conjugale, Teresa décide que les choses au sein du foyer doivent changer. Surtout, elle apprend l’infidélité de son époux. Ils se séparent et Ramón se prend en main en montant une petite entreprise. Ramón échoue dans la reconquête de son épouse, ne parvenant jamais à comprendre que les temps ont changé et qu’elle aussi veut sa part d’indépendance…
Affirmant son désir de justice et d’égalité sociale, le communisme cubain ne parvint jamais tout à fait à s’affranchir du machisme propre aux sociétés d’Amérique latine. Ainsi de Teresa plus révolutionnaire que féministe, constamment reléguée par un époux, lui, plus traditionaliste que révolutionnaire, à son rôle de femme au foyer. En démontrant l’incompatibilité de ces couples dont les vies seront désormais radicalement modifiées par la révolution triomphante, Vega livre un film empreint d’une très grande sobriété qui refuse le pamphlet. C’est un premier long-métrage réussi pour le réalisateur qui brosse une magnifique galeries de portraits, à commencer bien entendu par celui attachant de Teresa, brillamment interprété par Daisy Granados. Film malheureusement inédit en France.
Virgile / CNC
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