Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

La domination par les algorithmes. Mythe ou réalité?

Depuis quelques temps, de nombreux articles ou exposés dénoncent le poids politique pris par ce qu’ils appellent les algorithmes. Le terme est compris généralement comme désignant des programmes informatiques incompréhensibles, ayant pris possession du monde des Big Data.

Celles-ci sont des informations concernant principalement les humains et leurs activités et recueillies en grand nombre auprès de nous par les grands de l’internet américain, dits GAFA ( ou Géants du Web, Google, Apple, Facebook, Amazon ) . Nous sommes tous demandeurs des facilités diverses qu’ils offrent à l’internaute, ceci apparemment quasi gratuitement.

Mais les Big Data ne sont rien sans les algorithmes programmés pour en tirer des informations d’un grand intérêt politique et économique, informations que bien évidemment les GAFA gardent pour eux afin de s’en servir pour conquérir le monde de demain , comme Google on le sait ne se cache absolument pas de rechercher. Il est évident que les algorithmes n’ont pas de pouvoir de décision propre. Ils sont mis en oeuvre et alimentés par les GAFA et homologues qui s’en servent pour construire une société numérique globale – on parle aussi de cerveau global – leur permettant d’analyser, prévoir et exploiter à leur profit toutes les activités résultant des activités numériques des internautes.

Ces GAFA ne sont pas désintéressés. Ils servent la petite poignée de dirigeants qui en ont fait des prestataires de service conçus pour répondre au mieux à leur objectif de domination. Ils servent aussi d’intermédiaires au gouvernement américain qui les a encouragés voir financés initialement pour espionner massivement les entreprises, administrations et citoyens obligés en l’absence d’autres solutions de faire appel aux services des GAFA.

Il est certain cependant que dans le monde hyper-complexe de l’algorithmique moderne se nourrissant de Big Data, certains algorithmes semblent occasionnellement échapper à leurs concepteurs et opérateurs pour se comporter de façon autonome. Ceci avait été signalé à propos des algorithmes responsables de la spéculation financière à haute fréquence (high frequency trading) qui peuvent en quelques secondes et de leur propre chef prendre des décisions de vente et d’achat se traduisant par des bénéfices ou des pertes que personne ne cherchait. Mais si les algorithmes permettant de telles décisions existent, ce n’est pas parce qu’ils sont nés spontanément. Leur existence et leurs activités sont prévues et encouragées par les spéculateurs humains et les gouvernements dont ils dépendent, afin d’accroître globalement les pouvoirs de ces derniers.

Dénoncer une quelconque prise de pouvoir ou domination par les algorithmes relève donc du mensonge pur et simple. En bonne démocratie, ce devrait être les forces politiques et économiques qui les utilisent qu’il conviendrait de dénoncer. Plus concrètement, il faudrait accuser les GAFA et le gouvernement américain qui se servent des algorithmes pour mettre à leur service les acteurs de la nouvelle société numérique s’étendant aujourd’hui à l’échelle du monde. Nous avons précédemment montré comment la NSA, National Security Agency, la CIA et le FBI aux Etats-Unis, utilisent et souvent financent les GAFA.

Les algorithmes se présentent sous la forme de modèles mathématiques – une fois encore difficilement compréhensibles, même par des mathématiciens. Ils prennent désormais en permanence toutes les décisions relatives à la vie de chacun dans la société numérique, quoi acheter, où habiter, où voyager, comment et à quels tarifs s’assurer. Leur caractère apparemment objectif, du fait de leur formulation mathématique, rassure. Chacun devrait être traité selon les mêmes règles.

Armes de destruction mathématique

Ce n’est pas le cas. C’est ce que vient de montrer dans un livre important « Weapons of Math Destruction: How Big Data Increases Inequality and Threatens Democracy ».

Cathy O’Neil est elle-même mathématicienne et ancienne trader à Wall Street. Inutile de préciser que le terme de Math Destruction, destruction d’ordre mathématique, fait allusion au terme de « destruction massive ». Pour elle, les algorithmes sont opaques, non régulés démocratiquement et non contestables, même lorsqu’ils s’avèrent faux. Cathy O’Neil en appelle à la responsabilité des mathématiciens qui conçoivent ces modèles et aux décideurs qui les utilisent. Ils doivent travailler pour que les algorithmes soient transparents, discutables en termes politiques, facilement modifiables afin de les rendre plus conformes aux réalités et besoins de la société dans son ensemble.

L’objectif qu’elle propose est certes très souhaitable. Mais Cathy O’Neil, involontairement ou sciemment, ne fait pas assez remarquer que les concepteurs des algorithmes dont elle constate les effets destructifs ne sont pas animés par l’objectif d’améliorer le fonctionnement de la société dans son ensemble. Moins encore par celui de redonner de l’influence et du pouvoir au 95% des populations qui les subissent. Ils sont au service des 5% de dominants, afin d’accroître encore leurs profits et leur pouvoir. Il en est de même des GAFA de toutes sortes qui se multiplient. A travers les données que leur confient innocemment leurs utilisateurs et les algorithmes qu’ils emploient pour les interpréter, ils prennent des décisions visant à servir les intérêts des super-dominants.

Les exemples de ceci sont nombreux, encore qu’il faille un oeil particulièrement informé techniquement pour s’en rendre compte en détail. On peut mentionner ainsi la façon dont Facebook censure ou promeut les messages et les images selon les intérêts des dominants. Les prétextes annoncés sont généralement tout à fait honorables, mais en y regardant mieux on peut entrevoir les liaisons étroites des GAFA avec la volonté de conquête de l’Empire américain.

On dira que les GAFA ont délocalisé leurs fonctions d’évaluation au profit de milliers de « modérateurs » travaillant généralement pour des entreprises du Moyen Orient ou d’Asie du sud-est. Ceci devrait garantir une certaine impartialité de la part de ces modérateurs, du fait notamment qu’ils ne peuvent pas tous être obligés d’appliquer en détail d’éventuels mots d’ordre de censure. Mais il faut savoir que les propositions de décision émanant de ces modérateurs sont soumises à un algorithme central adéquat qui commande la décision finale.

Ces algorithmes sont par nature incapables de percevoir les nuances ironiques, sarcastiques ou culturelles d’une expression. Par contre, ils sont très capables de prendre avec la plus grande brutalité des décisions répondant à des objectifs simples fixés par les pouvoirs. Comme nous l’avons indiqué cependant, en citant notamment Alain Cardon, la complexité et l’intrication des algorithmes permettront de plus en plus à beaucoup d’entre eux de prendre seuls des décisions politiquement importantes, de censure ou de promotion. La décision une fois prise, il s’avère pratiquement impossible de l’annuler, ceci notamment pour des administrations de régulation ou des tribunaux.

Par contre, ce que ne peuvent pas faire ces gardiens de l’ordre public et de la démocratie, les pouvoirs économiques et politiques de ceux qui ont mis en place ou toléré les algorithmes restent pratiquement inchangés. Il est toujours possible pour eux de « débrancher » l’algorithme, aussi autonome qu’il soit. La même constatation devra être faite dans l’avenir à propos des robots autonomes. Si les résultats de leur autonomie déplaît aux maîtres du monde, ils seront rapidement débranchés.

Cathy O’Neil a fait un travail très important, en montrant sans faire appel à des concepts mathématiques la façon dont les algorithmes régentent dorénavant nos vies. De même, elle montre bien comment dans l’ensemble ils sont au service du profit financier maximum des entreprises qui y ont recours ou des GAFA qui fournissent les données des informations dont ils se nourrissent.

Mais ni elle ni les bons esprits qui dénoncent de plus en plus le pouvoir des algorithmes ne proposent la véritable révolution politique qui serait nécessaire pour redonner à la majorité des citoyens la possibilité de reprendre le pouvoir dans la société numérique. Certains fondent des espoirs dans la conception de nouveaux logiciels et de nouveaux processus informationnels qui seraient plus transparents et plus contrôlables. Mais on ne voit pas clairement comment ceux-ci pourront échapper à la prise en main par de nouveaux pouvoirs, ou plus simplement à la récupération par les pouvoirs actuels. Beaucoup en concluront que démocratiser les algorithmes sera définitivement impossible, et qu’il faudra se résigner.

Jean Paul Baquiast 

Source

 

Cet article vous a plu, intrigué, ou révolté ?

PARTAGEZ L'ARTICLE POUR SOUTENIR BREIZH INFO

Une réponse à “La domination par les algorithmes. Mythe ou réalité?”

  1. jakou dit :

    En effet, une telle situation n’est pas maitrisable à court terme et la plupart des gens élites incluses (littéraires artistes matheux Moyens…ne seront pas à même de maitriser comme la Finance déjà le domaine numérique sophistiqué!
    Il ne restra que l’esclavage dictatorial soft ou la rébellion arm&e Meutrière, seule Dissuasion des massses comme des individus isilés contre l’okigarchie. Cette perspepctuve tout en étant atterrante et tragique fait appel au Courage Physique qui déterminera alors la liberté et non plsu le Droit, lui-même incompétent à la maîtrise du système sauf accord de matheux hostiles à ceux qui gèrent le Système! Mais en fait on peut compter sur une Soumission massive et une dictature imparable à venir. L’argent sera un séducteur facile et les réfracteir ne seront qu’une poignée d’idéalistes vite écrabouillés!
    J’ai 76 ans et m’en félicite…….!

ARTICLES EN LIEN OU SIMILAIRES

Sociétal

« Veuillez mourir ». Quand Gemini, l’IA de Google, dérape face à un être humain

Découvrir l'article

Education, Sociétal

Exposer ses enfants sur les réseaux sociaux : une pratique narcissique… et dangereuse

Découvrir l'article

Technologies

Mythe et réalité du droit à l’oubli Google

Découvrir l'article

Informatique, Sociétal

Que retenir de la keynote Apple du 9 septembre 2024 ?

Découvrir l'article

Sociétal

Censure politique. L’ASLA attaque Facebook et Instagram

Découvrir l'article

Culture, Culture & Patrimoine, Patrimoine

Le Breton désormais accessible via Google Translate

Découvrir l'article

Economie

YouTube a la plus grande portée publicitaire potentielle avec 2,5 milliards de personnes, soit 500 millions de plus que Facebook et un milliard de plus qu’Instagram ou TikTok.

Découvrir l'article

International

Ingérence et pression sur les élections Européennes. Facebook restreint le compte de Chega (Portugal)

Découvrir l'article

Environnement, Sport

Il réalise le tour du Cap Fréhel à la nage en solo et sans assistance [Vidéo]

Découvrir l'article

Sociétal, Technologies

Numérique. Entrée en vigueur du Digital Market Act : quels changements pour les utilisateurs depuis le 6 mars ?

Découvrir l'article

PARTICIPEZ AU COMBAT POUR LA RÉINFORMATION !

Faites un don et soutenez la diversité journalistique.

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur Breizh Info. Si vous continuez à utiliser le site, nous supposerons que vous êtes d'accord.

Clicky