16/09/2016 – 06H45 Zagreb (Breizh-info.com) –Tomislav Sunić a été diplomate, professeur d’université aux États-Unis. Ce un grand polyglotte et traducteur d’ouvrages est l’auteur de plusieurs livres, parmi lesquels :
– La Croatie : un pays par défaut ?
– Chroniques des Temps Postmodernes
– Homo americanus : Rejeton de l’ère postmoderne
Récemment, il vient d’accorder un entretien à TV Libertés, dans lequel il tirer le bilan de l’indépendance croate, évoque les impasses du nationalisme croate, la crise migratoire d’un point de vue croate et européen, les controverses autour du Ministre de la Culture Zlatko Hasanbegović.
https://www.youtube.com/watch?v=Kxsyz9ebKYg
Sur le site des éditions Bios, il a par ailleurs publié récemment un billet intitulé ; « L’IDENTITÉ CROATE : ÉTAT DES LIEUX, ÉTAT D’URGENCE.» que nous publions ici.
Depuis l’éclatement de la Yougoslavie, en 1991, jusqu’ à ce jour, les Croates sont obligés de faire face à une identité mal définie. Leur récente guerre de sécession, appelée maladroitement « la guerre patriotique » et « la guerre défensive », se prête à de sérieux malentendus juridiques. Nulle part on n’emploie ce qui serait une dénomination plus exacte, à savoir « la guerre de libération croate contre le communisme et contre la Yougoslavie ». Or il y a une différence considérable entre les deux. La classe politique en Croatie, la classe médiatique, toutes converties aujourd’hui à l’américano-occidentalisme, se composent en grande majorité d’anciens cadres yougoslaves, d’anciens communistes et de leurs rejetons. Si donc la récente guerre de sécession croate ne fut qu’une « guerre défensive », on est en droit de se poser la question de savoir si la Croatie, entre 1991 et 1995, était en train de protéger et de sauvegarder les acquis du communisme et de la Yougoslavie ou bien si elle exprimait le désir de s’en débarrasser. Il ne faut pas non plus exagérer le rôle des nationalistes croates comme le font souvent les médias étrangers. Beaucoup de nationalistes croates peuvent être décrits comme « Croates par défaut », ou comme des « Croates réactifs », vu que leurs sentiments nationalistes s’expriment souvent en fonction de la haine de l’Autre, à savoir de la prétendue menace serbe. En Croatie, la classe politique fait délibérément abstraction des causes profondes de l’éclatement de l’ex-Yougoslavie. En se focalisant sur la menace réelle ou prétendue des Serbes, les partis politiques croates, et notamment les nombreux suiveurs ou sympathisants de l’ex-maréchal communiste Tito, se donnent ainsi une commode échappatoire pour masquer leur sanglant héritage.
L’adhésion de la Croatie à l’OTAN en 2009, et à l’Union européenne en 2013, complique davantage l’identité croate. Malgré le fait que l’OTAN n’ait aucune raison d’être en Europe, vu que son adversaire, le Pacte de Varsovie, a été dissout depuis bien longtemps, l’OTAN constitue dans la conscience populaire croate le symbole de l’appartenance à l’Ouest et donc la meilleure défense contre les prétendus appétits russes et grand-serbes. D’ailleurs, qu’on le veuille on non, l’OTAN constitue le bras armé de l’hégémonie américaine à laquelle tous les pays européens sont censés se soumettre, y compris la nouvelle Croatie. Il faut néanmoins souligner que les sentiments pro-américains et pro-otaniens chez les Croates, à l’instar des peuples majoritairement catholiques, tels les Baltes, les Polonais, les Slovaques, sont traditionnellement plus prononcés que chez les peuples chrétiens-orthodoxes. Quant aux anciens yougo-communistes et à la gauche croate post-yougoslave, ils sont devenus aujourd’hui, à l’instar de la gauche en France, des otaniens acharnés. En cas de grave crise russo-américaine, il ne faut aucunement exclure que l’OTAN puisse miser sur les nationalistes croates, baltes, polonais, etc. Le scénario similaire en Ukraine saute aux yeux. Les Croates semblent oublier que l’Amérique a des intérêts qui changent au gré des circonstances géopolitiques. Jusqu’en 1992, et contrairement à ce que quelques auteurs français de renom disaient, l’Amérique était l’avocat de l’unité et de l’intégrité de la Yougoslavie. Ce ne fut que plus tard qu’elle changea radicalement de cap.
Il en va de même en Croatie où, mis à part quelques partis mineurs de l’extrême droite, tous les partis politiques se font les porte-parole de « l’intégration euro-atlantique ». L’adhésion de la Croatie à l’UE est considérée comme le meilleur bouclier contre la Serbie chrétienne-orthodoxe et par détour contre la prétendue hégémonie russe, ainsi que comme le meilleur moyen contre toute tentation d’un nouvel avenir balkanique. Ce n’est pas exact. À quoi bon vouloir se débarrasser de la Yougoslavie pour se lancer aussitôt dans un semblable cadre multiculturel et supra-étatique, portant cette fois-ci le nom plus attrayant d’ « Union européenne » ? Les oukases bruxellois furent pourtant fermes. Quoiqu’un tiers seulement des Croates se soient exprimés en faveur de l’entrée dans l’Union européenne, lors du référendum de janvier 2012, on a délibérément baissé le quorum des votes pour rendre l’adhésion valide.
Certes, dans les années 90, l’idée européiste avait un certain prestige en Croatie, alors qu’aujourd’hui, à l’instar des autres pays membres, les Croates commencent à déchanter. Même les Croates les plus naïfs se rendent compte que l’UE n’est plus une machine à fric. Il n’est donc pas à exclure que la Croatie, comme d’ailleurs d’autres pays membres, commence bientôt à se poser la question non pas de comment garder sa place au sein de l’UE mais de comment en sortir.
Le grand remplacement dans la perspective croate
Le fléau des fleuves migratoires non européens complique davantage la construction de l’identité croate. Certes, les fleuves migratoires qui se déversent sur l’Europe ont déjà eu un énorme impact psychologique sur les Européens qui se réclament de l’idée identitaire ou qui se réclament des divers nationalismes européens. Ce qui saute aux yeux, c’est que le grand remplacement ethno-racial en cours, pour utiliser des termes exacts, passe pratiquement inaperçu dans les médias croates. La migration afro-asiatique est traitée comme un fait divers qui va s’arrêter miraculeusement tout seul. Et peut-être que les Croates n’ont pas tort. Ils savent fort bien que les fleuves migratoires veulent rejoindre, coûte qui coûte, le pays de cocagne, l’Allemagne, et non s’arrêter en Croatie. Au sujet de cette marée migratoire non européenne, la Croatie, comme d’ailleurs tous les pays de l’Est, n’y est pour rien. Ceux qui portent la responsabilité d’avoir déclenché le grand remplacement ethno-racial, ou mieux ceux qui l’attisent, sont les politiciens allemands et bruxellois. Cela dit, il ne s’agit d’aucun complot allemand, ni d’aucun besoin d’une prétendue main d’œuvre à bon marché, comme on l’évoque dans certains milieux de droite en Europe. La raison principale de cette « culture d’accueil » – dont la classe politique allemande se fait aujourd’hui le principal chantre – réside dans le complexe de culpabilité historique des politiciens allemands, complexe qui remonte à 1945, et qui pousse actuellement la classe dirigeante allemande ainsi que de nombreux intellectuels allemands de gauche à se montrer plus catholiques que le pape, à savoir plus démocratiques et plus multiculturels que tous les autres pays de l’UE. Paradoxalement, la Croatie, ainsi que toute l’Europe de l’Est, grâce à la poigne communiste d’antan, a su préserver son visage européen, sa face blanche, et sa mémoire historique. Pour combien de temps encore
En revanche, l’Allemagne, vu son passé qui ne passe pas, doit jouer à la surenchère humanitaire et altruiste envers les migrants, s’imaginant ainsi que son turbulent passé va finalement passer. Soumis, après la Deuxième Guerre mondiale, à une rééducation exemplaire, il n’est pas étonnant que Mme Merkel et son entourage fassent des discours ultra humanitaristes et multiculturalistes à outrance. En revanche, le problème pour les pays voisins, y compris pour son ami traditionnel, le peuple croate, est autrement plus grave. Par ses gestes grotesques et expiatoires, l’Allemagne risque de devenir à nouveau le paria européen – mais en sens inverse, bien sûr. Les pays de l’Est voisins, tels la Hongrie et la Croatie, ne pourront pas éternellement conserver leur statut d’enclaves blanches. Les fleuves migratoires vont fatalement se déverser sur eux, avec les effets que l’on peut imaginer. Force est de constater pourtant, que le peuple croate, ou le peuple serbe, souffre beaucoup moins de complexe de culpabilité historique.
Le cas « Hasanbegović » et les nouvelles idées dominantes
Sur le plan de sa politique culturelle, ce qui saute aux yeux c’est que la Croatie, malgré le nombre élevé d’anciens cadres communistes et yougoslaves, surtout dans son corps diplomatique et dans son éducation supérieure, porte toujours dans les médias étrangers le stigmate d’un pays d’extrême droite, à forts résidus nazis-oustachis. Sur le plan déductif, c’est un constat faux et malhonnête. Mieux vaudrait qualifier la Croatie d’aujourd’hui de pays à fortes tendances néo-communistes et yougo-nostalgiques. L’ancien ministre de la Culture, M. Zlatko Hasanbegović, a dû subir un vrai lynchage médiatique en raison de ses prétendues opinions révisionnistes et néo-oustachies. Il fallait s’y attendre. Lors de son court mandat, M. Hasanbegović s’est fait l’avocat acharné de la lustration des anciens cadres yougo-communistes. De surcroît, en tant que ministre de la Culture, il a refusé de distribuer pêle-mêle des subventions à de nombreuses organisations non gouvernementales liées aux divers centres du pouvoir culturel et médiatique occidental. Le lynchage médiatique, déclenché par les médias occidentaux tels que Libération et Le Monde, ne devait pas tarder. La plus efficace méthode pour fermer la bouche à un identitaire ou à un nationaliste européen quelconque, que ce soit en France, en Croatie ou en Allemagne, est de recourir aux amalgames et de le qualifier d’antisémite, d’oustachi et de fasciste. Hasanbegovic en a fait l’amère expérience.
Suite aux élections du 11 Septembre 2016, le nom de Hasanbegovic figure toujours en premier sur la liste du parti victorieux, le HDZ. Or même avec le succès du HDZ (parti centre droite) auquel il appartient, le nouveau gouvernement, par manque d’une majorité absolue, sera obligé d’entrer en cohabitation avec d’autres partis, tous à l’écoute, bien sûr, des oukases bruxellois. Force est de constater que dans le système parlementaire « plus ça change, plus c’est pareil ». À part les formules à la mode sorties de l’évangile des droits de l’homme, de la théologie du marché unique, et de l’idéologie du progrès, répétées inlassablement sur toutes les ondes et par toute la classe politique croate – certes au travers de différentes syntaxes -, il n’y aura rien de neuf en Croatie avec le nouveau gouvernement dirigé par le HDZ.
Cette fois-ci, pour la Croatie et pour toute l’Europe, les enjeux se situent ailleurs. Le phénomène Donald Trump en Amérique témoigne non seulement d’un basculement profond du paysage politique mais également de la montée des nouvelles idées et des nouveaux mythes dominants en Amérique et en Europe. L’Allemagne, avec sa politique actuelle d’ethno-masochisme, reste également, et comme toujours, un grand imprévu. Dans les mois à venir, tout ce qui se passera à Berlin et Washington aura fatalement des conséquences sur la Croatie — et sur toute l’Europe.
Tomislav Sunić, écrivain et ancien diplomate
Photos : DR
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