USA. La victoire paradoxale de l’establishment politique américain en 2016

05/09/2016 – 07H45 USA (Breizh-info.com) – Tout au long des élections américaines de 2016, retrouvez chaque semaine l’analyse de Pierre Toullec, spécialiste de la politique américaine, en exclusivité pour Breizh Info. L’occasion de mieux comprendre les enjeux et les contours d’élections américaines finalement assez mal expliquées par la majorité de la presse subventionnée – sponsor démocrate de longue date. L’occasion également d’apprendre ce qui pourrait changer pour  les Européens, suite à l’élection d’un nouveau président de l’autre côté de l’Atlantique.

La victoire paradoxale de l’establishment politique américain en 2016

Depuis le début de l’année, les médias américains et européens couvrent massivement les campagnes électorales républicaines et démocrates pour l’élection présidentielle.

Il est vrai que les événements ont été particulièrement inattendus et surprenants. Il y a un an, peu de gens pensaient que Donald Trump et Bernie Sanders seraient des facteurs dans les primaires républicaines et démocrates. Finalement, Trump a remporté la nomination à droite et à gauche Bernie Sanders est passé proche de battre Hillary Clinton et est parvenu à imposer une grande partie de son programme à son parti politique et a obligé Clinton à se tourner davantage vers la gauche.

Ceci a été longuement présenté dans cette chronique et dans de nombreux médias. Le regard des Européens a été centré sur cette élection et celui des français en particulier n’a abordé que cette question. Le régime « républicain » de l’Hexagone l’explique fortement : en France, le parlement compte relativement peu. Les élus ont certes un rôle mais il est davantage un suiveur de ce que propose le gouvernement désigné par le président de la république et ce dernier a un pouvoir très important sur les deux chambres sans que ces dernières n’aient réellement de contre-pouvoirs sur ses décisions, à l’exception des rares cas de cohabitation.

Aux Etats-Unis, le système politique est profondément différent. Bien que les derniers présidents – en gros de 1989 à 2016 – ont fortement augmenté le pouvoir de la Maison Blanche, le Congrès américain conserve un très important contre-pouvoir sur l’exécutif et est bien plus puissant que le parlement français (et que le parlement Européen qui lui n’a réellement pas de pouvoir, laissant la quasi-totalité des décisions exécutives et législatives à la Commission).

En se concentrant sur cette élection présidentielle, les observateurs ratent l’un des éléments les plus important de cette année électorale. En effet, le 8 novembre prochain, les américains ne voteront pas uniquement pour le prochain président mais aussi pour des maires, les parlements locaux, un grand nombre de postes de gouverneurs, des sheriffs, des juges, de nombreux référendum et… le renouvellement des deux chambres du congrès fédéral !

Où sont passés les « démocrates socialistes » de Bernie Sanders, les TEA Party libéraux de 2010 et les électeurs anti-immigration de Donald Trump ?

Les primaires des deux grands partis furent intenses et ont révélé de profondes divisions en leur sein. Mais maintenant que les primaires arrivent à leur terme pour les postes de sénateurs et de représentants (députés), la question se posent : où sont passés les militants proches des contestataires ? Le plus ancien mouvement de « contestation » qui a chamboulé la vie politique américaine dans les dernières années, les TEA Party nés en 2009 – 2010 face aux politiques de centralisation et fiscales du président Obama sont devenus quasiment invisibles. Leurs candidats qui avaient raflé la mise dans de nombreuses primaires en 2010 et 2012 ont – en grande majorité – disparu !

Les rares survivant de ce vote protestataire d’origine libérale connait peu de rescapés. Les plus connus sont Rand Paul, sénateur du Kentucky et fils de Ron Paul, considéré comme le fondateur idéologique du mouvement, Marco Rubio, qui a profité de cette vague en 2010 mais s’est fortement rapproché de l’establishment républicain depuis son élection, et Ted Cruz, qui n’a pas son siège soumis à une élection cette année. Du côté de House Freedom Caucus, inspiré des TEA Party et fondé début 2015 suite à l’affaiblissement de leurs prédécesseurs, ont cherché à se renforcer en proposant un grand nombre de candidats dans les primaires pour augmenter leur puissance au sein de la Maison des Représentants. Leur échec a été total, ne parvenant à gagner aucun poste et en perdant l’un de leurs élus les plus influents.

En parallèle, toujours au sein du parti républicain, ceux qui ont mené Donald Trump à la victoire n’ont pas réussi à reproduire le même phénomène. Le nominé républicain lui-même a soutenu plus ou moins directement des adversaires des élus républicains les plus représentatifs de l’establishment sont parvenus à battre systématiquement tous leurs adversaires qui se sont inspirés du discours anti-immigration et de la stratégie de Donald Trump. Notamment, mardi dernier, John McCain et Marco Rubio ont remporté leurs primaires respectives, à la surprise de certains observateurs. De même, Paul Ryan, candidat républicain à la vice-présidence en 2012 et actuel président de la Maison des Représentants, a remporté très largement sa primaire le 9 août dernier après avoir pris des positions opposées à Donald Trump à de nombreuses reprises.

A la fin de ces primaires, le Freedom Caucus n’a réussi à prendre aucune place (et a perdu certains de ses élus) et l’ensemble des mouvements non liés à l’establishment républicain ne sont parvenus à remporter qu’une petite poignée de primaires.

Chez les démocrates, un phénomène moins important mais similaire a été observé. Aucun des élus majeurs qui se sont opposés à Bernie Sanders n’ont perdu leur siège. En particulier, Debbie Wasserman-Schultz l’ex-présidente du parti qui a dû démissionner juste avant la tenue de la convention démocrate suite à plusieurs scandales et qui était devenue la cible principale des soutiens de Bernie Sanders est parvenue, elle-aussi à la grande surprise des observateurs et des élus, à remporter (d’une courte majorité) la primaire pour son siège de représentante en Floride.

Pourtant, tous ces opposants aux establishments républicains et démocrates pensaient avoir une véritable chance de s’imposer après la montée de Donald Trump et Bernie Sanders. Ils avaient (souvent) avec eux l’enthousiasme de leurs militants, des salles combles, des réseaux se créant rapidement, des soutiens financiers importants et une couverture médiatique locale généralement large. Dans de nombreux cas, ils furent les premiers surpris de leurs propres défaites.

Hillary Clinton cherche à profiter de cette situation… risquant l’avenir de son propre parti !

Hillary Clinton est la première ravie (à court terme !) de cette situation. En effet, sa stratégie cherche à profiter de cette situation. Sa ligne ayant été en mesure de conserver le contrôle sur son parti lui permet d’être rassurée sur le déroulement de la campagne dans les quelques semaines qui restent avant le vote. De plus, sa stratégie visant ouvertement l’électorat républicain modéré pour la présidentielle est ainsi confortée. En effet, depuis la victoire de Donald Trump, Hillary Clinton joue fortement sur les divisions au sein de la droite. Elle s’attaque au nominé républicain sur les idées, mais surtout en le décrivant comme n’étant pas un véritable représentant des républicains. Elle joue directement sur le mouvement #NeverTrump et court après les votes des néo-conservateurs sur la politique internationale et des libéraux sur l’immigration. En insistant sur le discours profondément opposé des républicains qui ont gagné leurs primaires comparé à celui de Donald Trump, elle encourage les électeurs à voter pour elle, même s’ils décident de voter pour un républicain pour le sénat ou les Maison des Représentants.

Cette stratégie est cependant à double tranchant et inquiète de nombreux candidats démocrates. Si ce discours peut fonctionner chez les républicains qui n’ont pas voté pour Trump et qui sont toujours opposés à le faire, la conséquence risque d’être une nouvelle large victoire pour la droite aux législatives même si Hillary Clinton est élue. 

L’année 2017 s’annonce particulièrement difficile

En politique, 2017 sera la pire année post-élection présidentielle que les Etats-Unis auront à vivre depuis 1860, quel que soit le résultat. Aujourd’hui, les démocrates sont les favoris pour récupérer le contrôle du sénat avec une très faible majorité (pour rappel, pour faire passer des lois et la plupart des décisions sénatoriales, la majorité simple ne suffit pas : il faut 60 votes sur 100 sénateurs pour qu’une décision soit prise). A l’inverse, les républicains devraient conserver la main sur la chambre basse. Le Congrès sera donc divisé pendant au minimum deux ans.

Ensuite, quel que soit le résultat de l’élection présidentielle, les deux partis préparent déjà leurs armes pour s’opposer au ou à la futur(e) président(e). De nombreux élus républicains ont ouvertement annoncé que si Donald Trump est élu, ils s’opposeront à sa politique. Plusieurs l’utilisent même comme argument de campagne ! C’est le cas de beaucoup de candidats à la maison des représentants, mais aussi au Sénat : Marco Rubio a annoncé sa décision de se présenter à sa réélection en Floride sur l’argument qu’il sera une force d’opposition contre la Maison Blanche que ce soit Hillary Clinton ou Donald Trump qui remporte l’élection, réutilisant le même langage que durant la primaire et insistant sur le fait qu’il considère le nominé républicain comme étant un escroc (« Con-man »).

Cette situation ajoutée au fait que pour la première fois, le prochain président sera probablement une personne très impopulaire (Gary Johnson restant encore très loin dans les sondages), 2017 sera une année particulièrement difficile pour les Etats-Unis, s’annonçant comme une aggravation de deux décennies de divisions politiques particulièrement profondes.

Photo : DR
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