« On n’est pas près de voir la vigne en Normandie et en Picardie » ironise sur les ondes d’Europe 1 Olivier Poussier en réponse au timide desserrement européen du droit de plantation entré en vigueur le 1 janvier 2016.
Les cibles de la condescendance du meilleur sommelier du monde de l’année 2000 sont pourtant très mal choisies, car il se trouve que la Normandie arbore déjà un vignoble au beau milieu de la plaine céréalière (voir article Breizh info les vignes du notaire) et une vigne héroïque s’accroche à la pente vertigineuse du terril d’Haillicourt dans le Nord-Pas-de Calais.
A vrai dire la saillie révèle assez bien un état d’esprit très représentatif de l’intelligentsia du vin, confite dans la certitude d’une fin de l’histoire de la vigne, achevée selon elle par l’exploration historique des potentialités de tous les meilleurs terroirs. Du problème de plonger plus son nez dans le verre que dans les livres d’histoire, notre star de la sommellerie n’a manifestement jamais lu le texte de la « querelle des anciens et des modernes sur les facteurs de qualité du vin » de Roger Dion, qui l’aurait invité à regarder cette réforme sous un jour un peu plus optimiste. A défaut de recul historique, l’expert sommelier se fourvoie dans une interprétation caricaturale de la boîte de Pandore ouverte aux méchants industriels pointés comme les seuls gagnants de l’ouverture du droit de plantation à de nouveaux territoires. Une inquiétude infondée au regard d’une extension qui restera confinée à 1% de la superficie du vignoble français. Enfin est-il besoin de rappeler que les grands vinassiers produisent sans vergogne, depuis un bon moment déjà et en quantité significative, leur piquette dans les aires d’appellation d’origine…
« Sans l’homme le terroir n’est qu’une espérance » Jacky Rigaux
Dans le secteur vitivinicole, le fâcheux penchant libéral de l’Union européenne si souvent combattu, pourrait ainsi offrir à d’audacieux vignerons l’opportunité de mettre en valeur de nouveaux terroirs au foncier beaucoup plus accessible. Un nouveau front pionnier se dessine pour une culture par nature coloniale et conquérante qui n’aurait jamais dépassé les frontières du pourtour méditerranéen, si elle avait toujours dû obéir au respect de ses origines bioclimatiques. Mais voilà, la vigne aime souffrir ! Elle donne le meilleur exposée à des conditions défavorables, quand elle est poussée dans ses retranchements physiologiques, aidée dans son combat par le « vouloir-humain » véritable catalyseur de l’expression des pleines potentialités de son terroir. Le mouvement de replantation d’anciens terroirs abandonnés et les avancées de la vigne en terra incognita prennent la forme d’initiatives encore isolées, mais cette première vague annonce une tendance beaucoup plus profonde, susceptible de faire entrer la vigne dans une nouvelle ère de conquête.
La revanche de l’histoire
A son échelle, le projet de plantation en terre morbihanaise s’inscrit dans cette volonté de donner la possibilité à une culture résolument identitaire de révéler l’âme d’un lieu encore inexploré, enfin presque…
Car la presqu’île de Rhuys hérite d’un passé viticole qui remonte au XVIIème siècle, achevé sans gloire dans les vapeurs de la distillation tant l’horrible piquette du Morbihan était inconfortable à boire. L’historien vannetais Bertrand Frélaut ajoute avec moquerie qu’il fallait « tenir son verre dans une main et tenir le mur dans l’autre » pour en supporter l’acerbité. Durant l’entre-deux-guerres les vieilles vignes de folle blanche dévastées par le phylloxera ont été arrachées sans regret, remplacées par les hybrides producteurs directs américains comme le noah. Leur interdiction en 1934 précipite la fin d’une viticulture de masse qui s’était propagée dans toute la presqu’île pour trouver finalement un précaire débouché dans l’eau de vie sarzeautine, avant l’amorce d’un déclin inexorable durant les années 30.Contrairement à l’idée reçue d’une inadéquation de la vigne avec le temps breton, la piètre qualité s’expliquait moins par l’inclémence du climat que par l’absence d’une vraie culture vigneronne chez les agriculteurs de la presqu’île dont la vigne ne représentait qu’un expédient au regard des autres cultures et surtout de l’élevage.
Le premier vignoble commercial de Bretagne
A l’exception du muscadet, la vigne en Bretagne est l’affaire de petites associations. En effet le droit de planter des raisins de cuve à des fins commerciales doit se prévaloir d’une antériorité historique qui n’a jamais été reconnue par le système des appellations d’origine. De fait, seuls de petits vignobles à visée culturelle ou expérimentale comme celui du mont Garrot au bord de la Rance témoignent de la présence d’une vigne bretonne prospère au temps des abbayes. En ce sens, le projet porté par Louis Chaudron marque une rupture d’importance, en mesure de donner naissance au premier vignoble commercial du Morbihan. Ce jeune trentenaire s’est formé à bonne école, il travaille depuis quelques années dans les vignes du vigneron « bio » le plus anticonformiste du muscadet : Marc Pesnot.
Un atout de taille si l’on songe à sa folle blanche mature en diable cambrée par une acidité vibrante mais nullement revêche. L’indigne cépage réputé pour sa verdeur devrait pouvoir bénéficier des mêmes soins et réhabiliter le vin à trois* de la presqu’île. De toute façon, sous une latitude aussi septentrionale, le choix de la qualité s’impose et l’engagement agrobiologique constitue un auxiliaire indispensable à sa pérennité. Pour l’heure, Louis Chaudron se débat avec une procédure d’autorisation longue et complexe en dépit de son récent assouplissement. La commune de Sarzeau doit lui céder la jouissance de 4 hectares, l’emplacement précis sera déterminé par les conclusions des études géologiques mais la détermination du jeune vigneron soumise à rude épreuve demeure entière.
La résurgence de ce type de vignoble peut sembler anecdotique aux yeux des spécialistes du vin : Faut-il leur rappeler que leur valeur ne se jauge pas à la quantité d’hectolitres produite mais à l’aune de leur charge culturelle et affective incarnée par une empreinte paysagère souvent improbable et insolite. Le profil rigoureux de Louis Chaudron et sa formation auprès de Marc Pesnot militent pour la réussite prochaine de cette vigne pionnière. Gageons que le vin de la presqu’île aura, selon la belle expression de Jacques Puisay, « la gueule du lieu où il est né et les tripes de l’homme qui l’a vinifié ! ».
Raphno
* Vin à trois : vieille expression qui renvoie à des vins excessivement acides pour lesquels le buveur devait s’entourer de deux comparses capables de le soutenir face au choc de son aigreur.
Crédit photo : DR
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2 réponses à “Bretagne. Le retour de la vigne dans la presqu’île de Rhuys”
http://www.histoire-normandie.fr/une-culture-oubliee-les-vignobles-de-normandie
je crois que quelqu’un vient de replanter une vigne sur les coteaux de la Seine –
En Pologne également il y a de la vigne – sans doute des variétés adaptées ?
Faire remonter l’histoire du vignoble au XVII Siècle est une erreur. Dans « De excidio et conquestu Britanniae » écrit au VI Siècle, Saint Gildas parle bien de vignobles situés en presqu’ile de Rhuys.