29/08/2016 – 07H45 Nantes (Breizh-info.com) –Nous l’évoquions dans une chronique samedi 27 août, Anne-Sophie Martin vient de publier « le disparu » aux éditions Ring. Le livre, écrit sous la forme d’un roman, retrace « l’affaire Dupont de Ligonnès », du nom de cette tuerie intervenue à Nantes le 4 avril 2011.
Suite à la chronique, nous avons interrogé Anne-Sophie Martin à propos de son ouvrage.
Anne Sophie Martin – Le Disparu – Ring
Breizh-info.com : Qu’est ce qui vous a fasciné au point d’écrire un livre sur l’histoire de la famille Dupont de Ligonnès ?
Anne-Sophie Martin : cette histoire est l’une des plus fascinantes de ce premier quart de siècle! Une famille bourgeoise, bien éduquée, de bonne naissance, tout à fait « comme il faut », manifestement unie et heureuse, et un jour de printemps, une tuerie familiale!
Cinq corps retrouvés au jardin – sans compter les deux chiens de la maison – inhumés « religieusement » comme si cette tombe était leur demeure éternelle.
Et au final, un suspect n°1 tout à fait sidérant, le bon chef de famille, un quinquagénaire sans histoires, qui a organisé une « disparition parfaite »: c’est bien la seule certitude absolue de cette histoire. Car est-il mort ou vivant? Cinq ans plus tard, la question taraude encore beaucoup de monde.
Comme j’ai enquêté longuement sur cette affaire, peu à peu une lecture, un regard s’est installé: il fallait suivre les écrits laissés par cet auteur présumé pour comprendre ce qui pourrait être son cheminement criminel, son journal intime des derniers mois de désespoir. Une faillite secrète.
Breizh-info.com : Pour vous, aucun doute, Xavier Dupont de Ligonnès a bien tué sa femme et ses enfants ? Votre livre évoque tout de même quelques zones d’ombres non ?
Anne-Sophie Martin : Le doute judiciaire subsistera jusqu’au jour où un procès aura déclaré cet homme coupable, ou non. Il n’y a pas de zones d’ombre vraiment, mais une cascade de questions sans réponses, encore à ce jour.
Pourquoi? Pourquoi ces exécutions méthodiques, deux balles dans la tempe d’enfants drogués ce qui est particulièrement « choquant »? Des crimes qui n’ont pas laissé de traces dans la maison – absence de « scène de crime » -, pas d’empreintes, pas d’arme retrouvée…
Et finalement aucune preuve formelle. Des victimes dont on n’a pas réussi à reconstituer l’histoire de l’assassinat! C’est vertigineux… La forme du roman permet à mes yeux de tirer une ligne à partir des traits d’union, ou de reconstituer le puzzle, comme on veut.
Breizh-info.com : Ne peut on pas imaginer plutôt un règlement de compte sur fond de dettes ? Pourquoi aurait il inscrit ses enfants au tir si c’était pour les assassiner après ?
Anne-Sophie Martin : Un homme « criblé de dettes ». Cette version est insuffisante, car depuis des années, les Dupont de Ligonnès avait un train de vie trop important. Mais au fond, il fallait depuis longtemps trouver des trésors de ressources pour boucler les fins de mois. Cinq ans, dix ans? On parle souvent de la force de l’habitude, mais peut-être à tort. On ne s’habitue pas à l’humiliation d’aller toujours vers l’un vers l’autre pour réclamer de l’aide.
Après il y a des étrangetés, des contradictions: pourquoi emmener ses enfants au stand de tir ou s’enquérir du prochain petit boulot, et pourquoi acheter des protège-bas à son épouse à quelques jours ou quelques heures de l’anéantissement? On peut imaginer une hésitation, un terrible débat de conscience; mais on peut aussi y déceler la nécessité « supérieure » de maintenir l’ordinaire de la vie quotidienne jusqu’au bout afin de n’éveiller aucun soupçon.
Breizh-info.com : Il ressort de votre ouvrage que les avancées majeures dans l’enquête ont été faites par d’autres personnes que la police. Pourquoi ?
Anne-Sophie Martin : C’est vrai que les voisins ont eu des soupçons réels et que la famille d’Agnès n’a pas cru à la version de l’espion américain chargé de démanteler un réseau international de drogue, en contrepartie d’une procédure américaine de protection de témoins. Une inquiétude peut-être jugée infondée au départ par les services d’enquête.
C’est vrai aussi que des internautes ont exhumé des documents essentiels pour comprendre l’histoire réelle de cette famille et de cet homme.
Mais c’est vrai surtout que cette chasse à l’homme était perdue d’avance, car le suspect a eu près de trois semaines pour organiser Sa version (un départ précipité) et Sa disparition.
Il est difficile pour la police de concevoir qu’un « primo-délinquant » puisse s’esquiver définitivement sans laisser de traces! Or des traces, il en a laissé tellement que personne ne pouvait imaginer que c’était pour mieux brouiller les pistes. C’est le grand paradoxe de l’affaire.
Breizh-info.com : Vous pensez que Xavier Dupont De Ligonnès est encore en vie. Qu’est ce qui vous fait dire ça ? Le scénario de son enlèvement, ou même de son suicide, n’est il pas plausible selon vous ?
Anne-Sophie Martin : Tous les scénarios ont été exposés par les uns ou les autres. Mais depuis plus de cinq ans, rien n’est venu en valider un seul! A mes yeux, il est évident qu’on ne dépense pas autant d’énergie et d’intelligence à justifier l’absence des siens, à mettre en scène la version d’un départ professionnel précipité, à dissimuler des corps, à brouiller les pistes, si c’est pour finir par se donner la mort.
Il y a de la surpuissance dans ce passage à l’acte. Je l’imagine donc survivant, quelque part dans le monde. Est-il parfois sujet à des problèmes de conscience, aux remords, à des « flashs » violents? C’est le plus grand mystère.
Breizh-info.com : quel impact a eu cette affaire dans l’entourage proche des DDL ? Et au sein de la communauté catholique de Nantes qu’ils fréquentaient ?
Anne-Sophie Martin : L’entourage des deux époux n’était pas vraiment « soudé », sauf autour des enfants. La famille de Xavier, du moins celle qui s’est exprimée publiquement, a décidé de défendre son honneur contre vents et marées, et il devait l’espérer, celle d’Agnès a choisi le silence et le recueillement. Les victimes de ces assassinats n’ont pas eu de porte-voix, comme c’est souvent l’usage dans les affaires criminelles.
La communauté catholique de Nantes, du moins celle que j’ai pu approcher, s’est abritée derrière une défiance – pour ne pas dire une aversion – des médias pour garder porte close et museau coi. Mais la police a pu recueillir au départ des témoignages assez surprenants. J’ai préféré ne pas en faire état ni lors de mon travail journalistique, ni dans ce roman.
Propos recueillis par Yann Vallerie
Crédit photo : DR
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