USA. Trump, Clinton : des rapports très différents avec les médias

27/08/2016 – 05H30 Washington (Breizh-info.com) – Tout au long des élections américaines de 2016, retrouvez chaque vendredi l’analyse de Pierre Toullec, spécialiste de la politique américaine, en exclusivité pour Breizh Info ! L’occasion de mieux comprendre les enjeux et les contours d’élections américaines finalement assez mal expliquées par la majorité de la presse subventionnée – sponsor démocrate de longue date. L’occasion également d’apprendre ce qui pourrait changer pour nous, Européens, suite à l’élection d’un nouveau président de l’autre côté de l’Atlantique.

Suite de l’analyse de Pierre Toullec, à propos des élections américaines et du traitement médiatique, ainsi que des relations qu’entretiennent Donald Trump et Hilary Clinton avec les médias.

Pourquoi ce phénomène ? Est-ce une modification du panorama médiatique américain ? Pourquoi des médias conservateurs virulents contre John McCain en 2008 et Mitt Romney en 2012 se sont-ils rangés derrière leurs candidatures après les primaires mais ne le font pas pour Donald Trump en 2016 ?

Deux candidats, une longue amitié mais une expérience de vie fondamentalement différente

Donald Trump a souvent parlé de politique au cours des années mais ne s’est jamais réellement lancé  dans ce domaine avant l’élection du président Obama. Il a certes soutenu de nombreux candidats au cours des trois dernières décennies et pris position. En 2000, sa candidature à l’élection présidentielle pour obtenir la nomination du Reform Party fut de courte durée. Ce parti ,fondé par Ross Perot en 1995, représentait la troisième force politique en 1996 et 2000. Il défendait trois thèmes majeurs : un budget fédéral équilibré, la limitation de l’immigration et l’opposition au libre-échange.

Après une véritable tentative pour remporter cette primaire, il abandonna la course suite à une profonde division au sein de ce parti. Elle conduisit à sa quasi-disparition. Après avoir obtenu 8,4% des voix en 1996, le Reform Party s’est effondré à 0,43% en 2000, 0,38% en 2004 puis n’a plus réussi à obtenir de résultat supérieur à 1000 (!) voix sur l’ensemble du territoire américain. Enregistré comme démocrate de 2001 à 2008, il a soutenu la candidature de son amie de trente ans, Hillary Clinton, à la primaire de cette année-là. Cet événement l’a relancé dans la course. Opposé à la victoire de Barack Obama, il a finalement décidé de soutenir le républicain John McCain. Puis il a commencé à s’imposer dans la droite américaine en devenant le fer de lance du mouvement des « birthers ». Il affirmait que le président Obama ne pouvait pas être à ce poste car il n’était pas né sur le territoire américain. Après avoir flirté avec une candidature en 2012, il s’est finalement engagé dans la primaire de 2016 avec les résultats que l’on sait.

La carrière médiatique de Donald Trump

Cette présence plus ou moins continuelle de Trump dans la politique américaine n’a pourtant pas été au centre de sa carrière. Héritier du groupe immobilier Trump, son ambition était de créer une marque autour de son nom pour continuer l’œuvre de son père. Au-delà de l’immobilier, il s’est lancé dans le football américain, la boxe, les concours de beauté et la télé-réalité, chacune de ces initiatives étant lancée avec l’objectif d’augmenter sa reconnaissance et en particulier celle de son nom.

Depuis le début des années 1990, sa stratégie se résume d’une phrase : « all press is good press », que l’on traduit en français « il n’y a pas de mauvaise publicité ». Il l’a durement appris en février 1990, lorsqu’un scandale sexuel l’a propulsé sur le devant de la scène médiatique et a mis fin à son premier mariage. Cette expérience a eu un impact profond sur son avenir : plutôt que de détruire sa carrière comme ce fut le cas de nombreux autres hommes politiques, il a au contraire pu en profiter – étant dans le milieu des affaires – d’une manière très similaire à d’autres célébrités qui ont utilisé leurs propres scandales sexuels pour se faire un nom.

C’est à ce moment que la carrière médiatique de Donald Trump a réellement pris son envol. Cette leçon de vie – qui est loin d’être vrai pour tout le monde – l’a particulièrement marqué et a transformé son attitude envers les médias en général. Tout au long des années 1990, il a capitalisé sur cette couverture pour construire sa renommée. Après 1995, il a commencé à tourner son regard vers de nouvelles activités beaucoup plus médiatiques qui pouvaient entraîner de nouveaux scandales : les concours de beauté et la télé-réalité. Pendant les vingt années suivantes, Donald Trump a surfé sur cette nouvelle réalité et basé sa reconnaissance par le public sur ce principe. Qu’importe que ce qu’il dise ou vive soit positif ou non. L’important est d’être entendu. « Il n’y a pas de mauvaise publicité ».

La carrière médiatique de Hillary Clinton

A l’inverse, Hillary Clinton a connu les affres de la critique et des scandales médiatiques pour une personnalité politique. En particulier, la découverte en 1998 de l’aventure sexuelle de Bill Clinton avec Monica Lewinsky de 1995 à 1997 a failli mettre fin au mandat du président. Selon certains analystes, cela a conduit à la victoire de George W Bush en 2000 face à un parti démocrate décrédibilisé et considéré comme sans valeurs morales.

En conséquence, Hillary Clinton se méfie de la presse et des scandales depuis cette période. A l’inverse de Donald Trump, elle voit la mauvaise publicité comme un véritable risque politique qui peut mettre fin à une carrière en un temps record.

En termes d’images, deux candidats fondamentalement différents

Cette différence d’analyse de la relation avec les médias est fondamentale. Elle pourrait expliquer en grande partie la différence de relation entre les candidats et la presse. Il reste que d’autres éléments sont à prendre en compte. L’image de Hillary Clinton et de Donald Trump aux yeux des électeurs américains n’est similaire que sur un point : leur immense impopularité. 53% des citoyens affichent une mauvaise opinion de la démocrate et 61,1% du républicain. C’est historique dans le sens où cette compétition va probablement se jouer non pas sur qui est le plus populaire mais au contraire qui est le moins impopulaire des candidats.

Mais se limiter à ces chiffres serait une grave erreur. La raison de ces impopularités explique la différence de stratégie médiatique de ces deux candidats. Donald Trump est peu apprécié car considéré comme trop imprécis dans son programme, ayant trop peu d’expérience pour être président des Etats-Unis et pour un discours jugé trop clivant. A l’inverse, Hillary Clinton ne reçoit pas du tout ce genre de critique. Son impopularité vient du fait que la majorité des américains la voient comme une menteuse et une personne indigne de confiance.

La relation des candidats avec les médias en est complètement modifiée ! Donald Trump peut se permettre de continuer à chercher à dominer le cycle médiatique par des phrases à scandale afin de rester en tête d’affiche. C’est sa stratégie. Il ne voit pas son impopularité comme un problème, il préfère se concentrer sur sa présence continuelle à la Une de tous les médias. Les critiques envers sa campagne, sa femme ou son programme l’encouragent davantage qu’elles ne le ralentissent. C’est – notamment – pour cela que les appels des républicains pour qu’il modère ses propos et construise un programme plus détaillé n’ont que peu d’effets sur le ton et le langage qu’il utilise. Cette semaine a pourtant montré une légère inflexion de son discours sur l’immigration. Afin de continuer cette stratégie de « Il n’y a pas de mauvaise publicité », il organise un maximum d’événements, souvent dans des Etats qui lui sont favorables pour montrer une foule nombreuse. Il intervient aussi souvent que possible dans les médias (principalement télévisés et radio) et sur son compte Twitter.

A l’inverse, Hillary Clinton sait que les américains n’ont pas confiance dans ce qu’elle dit. Après une vie entière dédiée à la politique, les électeurs savent qu’elle est versée dans l’art de la langue de bois. Prendre la parole est donc risqué pour elle. Répondre – même correctement – à des questions de journalistes peut n’avoir aucun effet bénéfique si le public ne la pense pas honnête. Sa stratégie est donc l’inverse de celle de Donald Trump : parler le moins possible pour éviter les scandales. Pour cette raison, elle évite de faire de nombreux meetings politiques et, à la date du vendredi 26 août 2016, sa dernière conférence de presse a été tenue il y a 242 jours !

La différence de traitement médiatique de Donald Trump et Hillary Clinton : une réalité davantage liée aux stratégies de ces deux candidats qu’à une volonté médiatique partiale.

La différence de traitement médiatique des favoris à l’élection présidentielle tient donc davantage à leurs stratégies médiatiques. Hillary Clinton se sait particulièrement vulnérable. Elle n’est pas Barack Obama et en a pleinement conscience. Elle sait qu’elle traine de très nombreux scandales datant de sa présence au ministère des affaires étrangères. Elle a débuté ses premiers pas dans l’univers politique en 1962, à l’âge de 15 ans. Toute sa vie a été un entrainement à l’action et au discours, à la maîtrise de l’image et à la victoire électorale. Elle applique toute son expérience dans cette campagne et cherche à contrer les scandales qu’elle traine en cherchant à limiter son exposition et en envoyant ses soutiens parler à sa place. Moins elle est exposée, moins elle prend de risques. Dans le même temps, sa crainte des scandales l’a convainc ue que Donald Trump, qui cherche à jouer sur ce terrain, est en train de détruire lui-même sa campagne présidentielle. Son opinion est d’ailleurs partagée par de nombreux cadres républicains.

Donald Trump, à l’inverse, ne comprend pas cette stratégie. Il l’a clairement exprimé le 3 août dernier : « Je ne comprends pas pourquoi nous ne menons pas de beaucoup » . Le républicain reste persuadé que l’important est de dominer dans les médias. La primaire lui a donné (temporairement ?) raison. Sa campagne contre les adversaires de son parti s’est concentrée sur la domination dans les médias par des petites phrases et des prises de position que les journalistes français qualifieraient de « dérapages ». En restant continuellement en tête d’affiche, il a pu attirer vers lui des millions d’électeurs et empêcher ses adversaires d’être visibles sans avoir à dépenser d’argent pour organiser une structure locale ni payer des spots publicitaires.

La conséquence est celle que l’on sait : Donald Trump est bel et bien sur le devant de la scène et il domine dans l’ensemble des médias. Mais les journalistes et les activistes politiques décortiquent ses paroles et analysent sous une lumière très précise chacune de ses prises de position, une réalité à laquelle il n’est pas habitué. A l’inverse, en restant dans l’ombre au maximum, Hillary Clinton se protège. Pourtant, il y a plus que matière à parler de ses scandales. Les questions sur les e-mails classés secret défense qu’elle n’a pas protégés et qu’elle a tenté d’effacer pour ne pas ternir son image, les scandales du financement de la Clinton Foundation en échange de faveurs politiques ressortent  encore une fois. Mais, chaque fois que les médias en parlent, plutôt que de répondre pour se défendre, la démocrate ignore les accusations et reste silencieuse sur le sujet. A l’inverse, chaque fois qu’une personnalité attaque Donald Trump, ce dernier se sent obligé de répondre. Le pire exemple fut certainement le cas de la famille Khan.

Le père d’un soldat musulman tué alors qu’il se battait au nom des Etats-Unis en 2004 a pris la parole lors de la convention démocrate pour violemment attaquer Donald Trump sur la question du premier amendement et de la liberté religieuse. En l’ignorant, ce discours aurait été rapidement oublié. Mais le républicain n’a pas souhaité réagir ainsi. Au contraire, il a attaqué les époux Khan. Il a créé ainsi une polémique qui aura duré plus de deux semaines. Elle lui a attiré les foudres des médias de gauche comme de droite. Seuls ses plus fervents supporters l’ont défendu dans cette affaire.

Il est donc clair que les médias américains (et français) ont en effet une orientation fortement hostile à Donald Trump et parlent peu des scandales entourant Hillary Clinton. Cependant, cette réalité était partiellement présente pendant les décennies précédentes. La différence d’intensité au cours de cette élection présidentielle de 2016 est l’opposition complète entre les stratégies de Donald Trump et de Hillary Clinton, bien au-delà des prises de position et des scandales qui entourent les deux candidats profondément impopulaires.

Photos : DR
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