Un lecteur tient à me rappeler que Charles Dickens a effectué un second voyage aux Etats-Unis, en 1867-68, et qu’il en est revenu beaucoup plus satisfait que la première fois. Il est vrai que ses lectures publiques, véritable « show » à l’américaine avaient reçu un accueil enthousiaste, montrant que les Américains n’étaient pas rancuniers.
Mais, à 56 ans Dickens s’épuisait et il mourut deux ans plus tard. Choyé, vénéré, il était devenu à force de travail un auteur au succès mondial et en même temps un grand bourgeois, comme le Victor Hugo finissant.
Dickens n’avait pas l’acuité sociologique d’Alexis de Tocqueville qui parcourut les Etats-Unis avant lui. Il en tira « De la démocratie en Amérique » (1835-1840). L’approche du Nouveau Monde est plus fouillée, plus fine mais il ne sert à rien d’opposer leurs points de vue. Ils sont en fait très proches.
Au terme de son enquête, Tocqueville écrit (et cela vaut pour la France de Louis-Philippe)
« Tant que la révolution démocratique était dans sa chaleur, les hommes occupés à détruire les anciens pouvoirs aristocratiques qui combattaient contre elle se montraient animés d’un grand esprit d’indépendance, et, à mesure que la victoire de l’égalité devenait plus complète, ils s’abandonnaient peu à peu aux instincts naturels que cette même égalité fait naître, et ils renforçaient et centralisaient le pouvoir central. »
Et Tocqueville, désabusé, de tirer la morale :
« Ils avaient voulu être libres pour pouvoir se faire égaux et, à mesure que l’égalité s’établissait davantage à l’aide de la liberté, elle leur rendait la liberté plus difficile. »
La suite est prophétique :
« Je promène mes regards sur cette foule innombrable composée d’êtres pareils, où rien ne s’élève ni ne s’abaisse. Le spectacle de cette uniformité universelle m’attriste et me glace, et je suis tenté de regretter la société qui n’est plus. »
Tocqueville et Dickens ont la même réaction face aux désordres sociaux générés par la révolution industrielle avec cet atout pour Dickens qu’il l’a subie enfant et adolescent, de la prison pour dettes de ses parents à la fabrique de cirage pour lui.
A 24 ans, Dickens écrit ce qui est sans doute son chef d’œuvre , « Les Papiers posthumes du Pickwick Club » (1836).
Monsieur Pickwick est à la fois Don Quichotte et Sancho Pança mais il est plus : il incarne une Angleterre riche en saveurs, joviale et cruelle à la fois, épicurienne aussi ; tavernes et diligences, pintes de bière et tranches de bœuf froid, punchs et grogs pour fuir ce qui tue l’humanité : le rigorisme des religions du Livre (ici, les puritains) et la cupidité qui use et abuse de la loi… Pickwick et ses amis ne sont pas des révoltés, ils jouent de la causticité, du sarcasme…En fait, ils s’accommodent d’une société organique avec ses codes et sa hiérarchie mais qui laisse des ouvertures et même des détours, qui n’étouffe pas la singularité.
A cet aune-là qui est le moins « pickwickien » des deux candidats à la Maison-Blanche ? Trump, frustre, inculte, brutal qui engloutit une part de sa fortune dans une campagne qu’il ne domine pas ; Trump qui ne se cache pas et dévoile tout ou presque ; Madame Clinton, épouse bafouée mais pas gênée, rouée à l’extrême, bonimenteuse de grands principes et qui réarmera l’Amérique pour satisfaire ses mandants de Wall Sreet. Faut-il vraiment choisir ? En fait, l’avers et le revers d’une même Amérique.
Jean HEURTIN
Photos : DR
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