En ce milieu d’été, il n’est pas superflu d’évoquer le souvenir de la bataille de Saint-Aubin-du-Cormier (28 juillet 1488) qui mit un terme à l’indépendance du Duché de Bretagne. Un mémorial a été inauguré le 28 juillet 1988 à proximité immédiate de « la lande de la rencontre » sur laquelle se déroula l’affaire qui opposa des Bretons assistés de 700 lansquenets allemands envoyés par Maximilien d’Autriche, 2500 fantassins et arbalétriers Gascons et Béarnais, un contingent de 1000 Aragonais, des Castillans et enfin une troupe de 300 Anglais rescapés d’un accrochage avec les troupes françaises qui eut lieu à Dinan.
Cette troupe disparate de 11 à douze mille hommes avait un commandement multiple et mal organisé dont la figure principale était le maréchal Jean de Rieux. Peu de nobles l’avaient rejointe et certains (dont Jean II de Rohan) servaient même dans l’armée du Roi de France forte de 10 000 hommes. Le contingent anglais qui comptait 400 hommes lors de son débarquement à Saint-Malo était commandé par Sir Edward Woodville (qui se faisait appeler Lord Scales) le capitaine et Lord de l’Ile de Wight qui avait levé et formé cette petite troupe en dépit de l’interdiction que lui en avait faite le Roi d’Angleterre Henri VII qui ne voulait pas de conflit avec son « most beloved cousin » Charles VIII mais qui était très mal à l’aise compte tenu de l’aide que lui avait apportée le Duc de Bretagne François II lors de son exil à Vannes (1471 – 1485 ; c’est au cours de cet exil qu’Henry Tudor apprit le breton, ce qui fait de lui le dernier roi à avoir parler cette langue). Il faut préciser que le Roi de France l’avait aidé à se saisir du trône d’Angleterre, d’où sa position inconfortable et son hésitation.
Au cours de l’exil d’Henri Tudor, Edward Woodville, qui était accompagné de son ami John, le fils cadet de William, 16e Earl of Arundel, vint en Bretagne pour tenir compagnie à celui qui allait devenir Henri VII, ce qui lui permit plus tard d’avoir ses entrées chez le Roi, pour lequel il combattit à la bataille de Bosworth en 1485 et à celle de Stoke en 1487. Henry VII le fit membre de l’ordre de la Jarretière en 1487. Edward Woodville est connu en Grande Bretagne sous le nom de ‘’The last knight errant’’ parce qu’il est considéré comme ayant été le dernier chevalier à vouloir vivre conformément à l’éthique chevaleresque, ce qui l’amena à participer à de très nombreuses batailles, souvent accompagné de son ami John dont un des frères avait épousé la sœur de Woodville. Il participa à des batailles en Angleterre, en Ecosse, en Bourgogne, en Espagne à Loja en 1486 contre les Maures et, pour finir, en Bretagne le 28 juillet 1488, à la tête de ses compagnons anglais auxquels il avait réussi à faire traverser la Manche à l’insu de son Roi qui préférait ne pas savoir exactement ce qui se passait sur l’Ile de Wight en ce printemps 1488. Après le départ de Woodville, Henry VII écrivit une lettre datée du 20 mai 1488 à son ‘’most beloved cousin’’, alors que Woodville était déjà à Saint-Malo, pour l’informer que ce dernier avait rejoint le camp breton malgré l’interdiction qui lui en avait été faite. Et il ajoutait que Woodville avait un complice qui n’était autre que le frère cadet du 17e Earl of Arundel, John, auquel l’interdiction royale de rejoindre la Bretagne avait été transmise.
De Saint-Malo, la troupe de Woodville passa par Dinan où elle perdit un quart de son effectif au cours d’un accrochage comme nous l’avons écrit précédemment puis se rendit à Rennes où elle fut magnifiquement reçue ; elle rejoignit ensuite les autres combattants qui se regroupèrent à Andouillé le 24 juillet avant de combattre dans l’avant-garde de l’armée bretonne le 28 juillet et d’être presque totalement détruite. Si l’on en croit la tradition, seul un jeune garçon du nom de Diccon Chekke réchappa du massacre et réussit à rejoindre l’Ile de Wight.
Pendant ce temps, à l’Ile de Wight, John Fitzalan (Fitzalan était le patronyme de la famille des earls d’Arundel depuis 1100 environ ; en 1488, les Fitzalan signaient Arundel comme ils le faisaient depuis un siècle environ) continuait à préparer une deuxième expédition, conformément aux ordres de Woodville, qu’Henry VII, après une longue hésitation, aurait fini par valider selon Alain Lebreton. Quoiqu’il en soit, il traversa la Manche à son tour pour rejoindre son compagnon Woodville mais il arriva trop tard, après le 28 juillet, et il rejoignit le maréchal de Rieux qui était retranché à Dol (la famille Fitzalan était d’ailleurs originaire de Dol que l’ancêtre de John prénommé Alan quitta vers 1100 pour se mettre au service du roi Henry Ier Beauclerc auquel le père d’Alan, le sénéchal de Dol, avait rendu de grands services lors de l’exil du futur roi au Mont Saint-Michel). Il n’était pas un inconnu en Bretagne puisqu’il avait eu l’occasion d’y séjourner aux côtés d’Henry Tudor. Il fit la connaissance d’une parente à la mode de Bretagne du maréchal Jean de Rieux qu’il épousa et avec laquelle il s’installa dans une des seigneuries de ce dernier au Grand-Fougeray (35) où il vécut longtemps sous le nom de Jean Arondel (1458 – 1533).
Lors de la construction du monument de Saint-Aubin du Cormier, une erreur a été faite ; il a en effet été gravé dans la pierre que le commandant de la troupe anglaise était Talbot, ce qui est inexact. Une association anglaise a relevé l’erreur et rétabli la vérité pour que nous gardions le souvenir du dernier chevalier errant.
B. Guillard
Crédit photo :DR
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